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En effet, si le respect pour l'autorité est le fondement de l'ordre social, comme nous l'avons vu dans le quatrième commandement, il est clair que ce respect ne sera qu'illusoire ou bassement servile, tant qu'il ne sera pas religieux, filial, animé par l'amour et fondé sur cette considération, que les dépositaires de l'autorité sont envers nous les ministres de la bonté divine.

Quant aux cinquième et huitième commandements, il est également visible qu'on n'observera jamais bien les défenses contenues dans la lettre, si l'on n'entre pas dans le sens que l'esprit chrétien nous a révélé sous l'écorce de la lettre Quiconque hait son frère est homicide; d'abord homicide de lui-même, attendu que celui qui n'aime pas reste dans la mort; ensuite homicide de son prochain, car la haine produit la haine, et, quand la haine a tué les âmes, elle tend à détruire les corps.

Donc le vrai moyen d'éviter le mal du prochain et le nôtre, c'est de travailler à son bien et au nòtre, en prenant pour règle cette loi de Jésus-Christ, loi qu'il a reproduite sous ces trois formes: Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Tout ce que vous voulez (raisonnablement) que les hommes fassent pour vous, faites-le pour eux. Le commandement nouveau que je vous donne est que vous vous aimiez entre vous, comme je vous ai aimés (1).

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En méditant ces trois courtes phrases, vous y découvrirez les conditions indispensables de la vie éternelle pour les individus et de la vie temporelle pour les peuples chrétiens. Vous verrez que le peuple qui comprendrait bien ces phrases et les observerait pourrait jeter au feu toutes ses lois, et que toutes les lois du peuple qui a mis en oubli ces phrases ne serviront qu'à le conduire au feu.

(1) S. Matthieu, VII, 12; XXII, 39.

S. Jean, XIII, 34.

SIXIÈME ET NEUVIÈME COMMANDEMENT.

« LUXURIEUX POINT NE SERAS DE CORPS NI DE CONSEN

«TEMENT. »>

« L'OEUVRE DE CHAIR NE DÉSIRERAS QU'EN MARIAGE SEU

«LEMENT. »

D. Quel rapport y a-t-il entre ces deux commandements et ceux qui les précèdent ?

R. Ce rapport, le voici. Par les trois premiers commandements, il nous est ordonné d'adorer, d'aimer, de respecter et d'imiter par-dessus tout celui qui est la source première de la vie et son dispensateur suprême; - par le quatrième, d'honorer et d'aimer les ministres dont Dieu se sert pour nous communiquer et conserver le bienfait de la vie; par le cinquième et le huitième, de respecter et d'aimer dans tous ceux qui l'ont reçu le bienfait de la vie; - par le sixième et le neuvième, il nous est défendu de déshonorer en nous le don divin de la vie, en en souillant et violant les lois.

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Le Père infiniment pur et bon qui nous a créés à son image et ressemblance, qui nous a régénérés par le sang du Verbe fait chair et les dons de l'Esprit sanctificateur, afin de nous donner accès un jour au torrent de volupté divine où s'enivrent les habitants des cieux (1), ne veut pas que nous perdions à jamais cette âme et ce corps rachetés à si grand prix (2), en nous laissant aller aux ignobles appétits qui nous sont communs avec la bête. Par la défense qu'il nous fait des affections impures et de ce qui les provoque, il tient à s'épargner et à nous épargner l'affreux spectacle de notre dégradation dans le temps et dans l'éternité, spectacle qu'il a peint lui-même dans ces paroles : L'homme, que j'avais

(1) Ps. XXXV, 9.

(2) Prem. ép. aux Cor., VI, 20.

couronné de gloire et d'honneur, et élevé au-dessus des œuvres de mes mains, s'est ravalė jusqu'à l'animal sans intelligence et lui est devenu semblable. Ce chemin les conduit à la ruine, et pourtant ils s'y complaisent. Ils descendront comme un vil troupeau dans l'abîme, et la mort en fera sa pâture (1).

Croyez-vous que Dieu se montre trop sévère en exigeant que nous conservions le rang sublime qu'il nous a assigné dans la création, et que nous ne tombions pas au-dessous des brutes en voulant vivre comme elles?

D. Au point de vue chrétien, le précepte est sans doute très-juste; mais, hélas! si l'esprit est fort, la chair est faible, et l'obligation pour l'homme de vivre en pur esprit soulève naturellement cette question : Qui donc pourra être sauvé (2)?

R. Puisque vous citez la question des disciples, vous connaissez la réponse du Maître : Quant aux hommes, cela est impossible; mais pour Dieu tout est possible (3). Or Dieu, qui est trop juste et trop bon pour nous commander l'impossible, a mis nos organes sous l'empire irrésistible de l'àme, et celle-ci ne sera jamais vaincue que quand elle voudra l'être. Tes appétits sont sous toi, et, si tu veux, tu les domineras (4), disait Dieu à Caïn agité par une passion non moins impérieuse que celle de la luxure. Croyez-le bien, cette ame humaine, assez grande pour embrasser d'un coup d'œil l'univers et s'élever de là, en un clin d'œil, au-dessus des cieux visibles; cette àme assez forte pour dire à son organisme: Je veux que tu abattes cette montagne ou que tu la perces de part en part; cette àme qui, chaque jour, dit à cet organisme : Va te mettre à la bouche de ce canon, à la pointe de ces baïonnettes, et garde-toi de laisser paraître le moindre frisson! cette âme, dis-je, a cent

(1) Ps. VIII, 6, 7; XLVIII, 13-15.

(2) S. Matthieu, XIX, 25.

(3) Ibid., 26.

(4) Genèse, IV, 7.

fois plus de force qu'il n'en faut pour dire au corps le plus inflammable: Je te défends ces bestialités, et, si le sang te fait la guerre, j'ai plus d'un moyen d'en diminuer la masse et l'ardeur.

Mais, pour que l'àme déploie cette force, il est nécessaire qu'elle vive; or elle vit de la pensée de la vie véritable, c'est-à-dire de la considération habituelle de sa sublime destinée. Qu'elle se place au point de vue évangélique, le seul qui éclaircisse le mystère de notre origine et de notre fin; qu'elle se persuade bien qu'elle entre dans ce monde périssable, non pour y jouir, mais pour combattre et y acquérir quelque droit aux jouissances éternelles qui l'attendent dans un monde meilleur. Qu'elle s'anime aux efforts nécessaires pour cela par la méditation, et de l'éternel royaume promis aux âmes chastes qui ont su réduire leur corps en servitude, et des éternelles ignominies et douleurs où se précipitent les âmes assez viles pour se mettre à la remorque de leur chair; qu'une âme, dis-je, se nourrisse de ces salutaires pensées et recoure aux remèdes que Jésus-Christ a établis pour aider au triomphe de l'esprit sur la chair; toutes les impossibilités de la continence s'évanouiront pour elle, ne seront plus que ce qu'elles sont en réalité : le rêve des âmes pourries.

Si vous jugiez ces dernières paroles trop dures, je pourrais vous les montrer, à peu près textuellement, dans des écrits qui font autorité pour les libertins.

D. Je crois en effet avoir lu quelque chose de semblable dans le citoyen Jean-Jacques.

R. Oui, et dans des écrivains encore plus éhontés que l'auteur d'Héloïse et des Confessions. Mais j'ai à cœur d'être bref sur cette matière, et voici les sujets de méditation philosophique que je me borne à vous offrir sur les sixième et neuvième commandements.

La luxure n'est pas seulement un vice, un mal; le créateur de la conscience humaine a voulu qu'elle portât en tout lieu sa flétrissure, et que les nations les plus corrompues

l'appelassent simplement le vice, le mal, et désignassent son contraire par ce beau mot: la vertu (1). Tant que ses victimes respectent cet arrêt de la conscience universelle et savent rougir de leur faiblesse, elles ne doivent inspirer aux cœurs chrétiens qu'une tendre commisération. Ce sont des enfants prodigues que la charité doit ramener aux bras du meilleur des pères. Ce sont des pécheresses publiques, des épouses infidèles, qu'il faut accueillir, comme le bon pasteur, en leur disant: Allons, courage! aimez et servez désormais ce Dieu qui payera d'un éternel amour le sacrifice de vos vices, tandis que les hommes n'ont payé que de leur mépris le sacrifice de votre vertu.

Ce qui mérite l'exécration de Dieu et des vrais amis de l'humanité, c'est la glorification publique du vice, le mépris solennel, la négation opiniâtre de la vertu. Avec son immense corruption, le paganisme n'en vint pas là : il adorait tout, le vice, la vertu, et cherchait une espèce de contre-poids à des mœurs abominables, à un culte infâme, dans les honneurs extraordinaires décernés à la chasteté conjugale, surtout à la virginité. Or ce que les enfants de ténèbres n'ont ni fait ni souffert, les enfants de lumière l'ont fait, le font encore.

Je le demande à tout homme un peu versé dans l'histoire littéraire moderne: Quelle est la thèse qui, depuis le sermon de Luther sur les nécessités du mariage, jusqu'à nos feuilletonistes et vaudevillistes actuels, a rallié le plus grand nombre de plumes européennes, et excité de plus vifs applaudissements? N'est-ce pas celle-ci : Nul ne peut résister aux convoitises de la chair; quiconque tente de le faire est un sot présomptueux; ceux que l'on croit y avoir réussi, tenez-les pour des tartufes?

Le fait vous paraît-il assez notoire pour que je sois dispensé d'en administrer la preuve ?

D. Oui, quant au siècle de Voltaire, qui malheureusement dure toujours.

(1) V. la Science de la vie, t. II, leçon XLII.

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