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R. Cela me suffit, et je ne m'arrêterai pas à prouver que le siècle de Voltaire n'a fait que vulgariser et paganiser les infamies que les âges précédents avaient essayé d'ennoblir, et même (ce qui est horrible) de christianiser (1).

Voilà ce que j'appelle la honte et le mal par excellence de l'Europe; et voici le remède que l'auteur et le conservateur de la vie des corps, de la vie des esprits et de la vie sociale, a opposé au mépris des lois qui sauvegardent toutes ces vies. Ce remède, ce sont les trois anathèmes gravés dans le fond de notre constitution physique, de notre constitution intellectuelle, de notre constitution sociale.

D. Quels sont ces anathèmes?

R. L'anathème gravé dans notre constitution physique n'a pas besoin de longs commentaires (que vous trouverez d'ailleurs dans les livres spéciaux de médecine). A ceux qui refusent de croire que le vice putréfie les âmes, il suffit de dire: Regardez les corps! « Les tyrans, demandait Bourdaloue prêchant à la cour, ont-ils jamais inventé des tortures plus insupportables que celles que les plaisirs font souffrir à ceux qui s'y abandonnent? Ils out amené dans le monde des maux inconnus au genre humain; et les médecins enseignent d'un commun accord que ces funestes complications de symptômes et de maladies qui déconcertent leur art, confondent leur expérience, démentent si souvent leurs anciens aphorismes, ont leur source dans les plaisirs (2). » L'anathème physique peut se formuler ainsi : Le corps humain qui gouverne l'âme, au lieu d'en être gouverně, tombera au-dessous de la bête, car celle-ci ne pourrit pas de son vivant.

L'anathème intellectuel est écrit dans cette parole prophétique du patriarche Jacob à un fils sans pudeur: Tu t'es répandu comme l'eau, jamais tu ne t'élèveras (3). Qui n'a pas appris de la religion ou de la philosophie éclairée par

(1) La Science de la vie, leçon XLIV.

(2) Sermon contre l'amour des plaisirs, premier point.

(3) Genèse, XLIX, 4.

la foi à respecter la loi saintement mystérieuse par laquelle Dieu perpétue le phénomène divin de la vie, ne sera jamais grand ni dans sa pensée ni dans ses œuvres. Mais les esprits sacrilégement frivoles qui se font un jeu public de cette loi sont condamnés à errer dans les ténèbres, à se consumer dans les agitations de l'impuissance, à n'élever que des ruines. Donnons en exemple deux faits géneraux. Premier fait. D'où vient que les descendants des puissantes races qui fondèrent au moyen âge, ici des monarchies à l'épreuve des orages et qui ne faisaient que grandir avec les siècles, là des républiques, petites par le territoire, mais grandes par leur renommée militaire, commerciale, et leur durée; d'où vient, dis-je, que les descendants de ces races n'ont su que démolir ce que leurs ancêtres avaient élevé? D'où vient que la politique moderne, révolutionnaire ou soi-disant contre-révolutionnaire, n'a fait que s'embarrasser dans ses œuvres, que s'ensevelir sous ses constructions les plus vantées, et vérifier par ses vertiges la parole de nos prophètes: Ils se sont troublés et agités comme un homme ivre; toute leur sagesse a été dévorée..... Le mépris s'est répandu sur les princes, et les a jetės hors de leur voie... Ils n'ont rien su, rien compris; ils marchent dans les ténèbres; aussi la terre est-elle ébranlée jusque dans ses derniers fondements (1)?

Hélas! qui ne le sait? les classes influentes se sont répandues comme l'eau, et voilà pourquoi tout s'est affaissé sous leurs pieds et sous leurs mains. L'eau mêlée à la poussière a donné de la boue, et ce qu'on élève sur la boue retombe dans la boue. C'est l'Esprit du Seigneur qui crée et perpétue les nations, et cet Esprit ne demeure pas dans les hommes devenus chair (2).

Second fait.

-

Pourquoi de nos innombrables ateliers de poésie et de peinture ne sort-il plus de ces créations qui

(1) Ps. CVI, 27, 40; LXXXI, 5.

(2) Genèse, VI, 3.

immortalisent leur siècle et la nation qui les produit? Pourquoi les poëmes héroïques que nous pouvons, avec quelque droit, comparer à ceux de l'antiquité, sont-ils tous antérieurs à l'explosion de nos lumières modernes ? Pourquoi, en parcourant nos galeries et bazars de peinture, l'âme chrétienne, qui a le sens du beau, s'afflige-t-elle de n'y rencontrer que des Christs, des Vierges, des saints et saintes, auxquels la conscience dit: Je ne vous connais pas; sortis de la poussière, vous rentrerez dans la poussière ?

La réponse est encore la même. Les beautés immortelles, divines, qui ravissent constamment l'âme et font battre le cœur des peuples de génération en génération, restent inconnues aux talents avilis par le culte des beautés qu'unë pamoison fait évanouir. En attendant que la religion nous crée de nouveau des peintres et des poëtes, il faudra nous contenter des savants dessinateurs, des habiles coloristes que l'art nous donnera pour peindre des batailles, des scènes de ménage, des rixes de cabarets; il faudra nous contenter des ingénieux versificateurs qui réussiront dans le drame bourgeois, qu'Alfieri appelait l'épopée des grenouilles (1).

Ils se sont répandus comme l'eau, ils ne s'élèveront pas. Cependant, comme le feu fait bouillonner l'eau et lui donne la force d'emporter un ballon dans les nues, de même le feu de l'esprit produit des illustrations qui s'élèvent un instant aux applaudissements de la foule, et retombent à terre comme le ballon et l'eau.

La forme a beau être parfaite, elle subit la destinée du plus beau des corps humains, quand l'âme lui manque. Tant que la poésie n'adorera pas le Dieu vivant, elle justifiera la plaisante définition de Rivarol: « C'est une prose gâtée où les vers se sont mis. » Citons mieux que Rivarol et le demi-païen Alfieri aux talents qui veulent survivre à leur renommée; disons-leur avec saint Paul: Si vous vivez selon

(1) V. Mémoires d'Alfieri (le tragique), écrits par lui-même.

la chair, vous mourrez; mais si vous mortifiez les inspirations de la chair par l'esprit, vous vivrez, vous et vos œuvres (1).

L'anathème social est dans les paroles du Seigneur à David, devenu adultère et homicide: Ce que tu as fait, toi, dans le secret, je permettrai, moi, que cela se fasse à la vue des peuples et au grand soleil (2).

Quand, chez des nations plus favorisées du ciel que David, puisqu'elles ont eu pour précepteur, non les patriarches et les prophètes, mais le Fils de Dieu lui-même, la loi des lois sociales est devenue matière à divertissement pour les beaux esprits;-quand les classes supérieures ont assez applaudi, encensé ceux qui leur ont appris à rire aux dépens des maris et des parents outragés; - quand on a assez répété : L'Europe moderne, c'est Voltaire? l'Allemagne actuelle, c'est Goethe!-Quand les disciples de ces deux génies antichrétiens ont eu assez traîné dans la boue Jésus-Christ, sa mère, ses saints, son Église, et mis sur la même ligne les filles de Vincent de Paul et les filles de prostitution; quand, dis-je, tout cela est devenu, non un fait individuel, national, mais un fait européen, voici ce qui arrive naturellement et nécessairement.

Des bas-fonds de la société, il surgit par millions des géants de perversité qui jurent de faire à la face du soleil, à la lueur des cités en feu, au milieu du råle des mourants et des ricanements de l'enfer, ce que d'autres ont fait plus haut avec toutes les grâces de l'esprit et le génie de la corruption délicate et savante.

Vous me comprenez, je pense, et vous savez si j'invente. D. Non, certes, vous n'inventez pas ! Nous en avons assez vu et entendu pour croire à ce que Dieu nous a préservés de voir.

R. Oui, Dieu, qui sait mieux que nous ce que lui ont

(1) Ép. aux Rom., VIII, 13. (2) Livre Il des Rois, XII, 12.

coûté les nations chrétiennes, leur montre la verge avant de frapper, et leur tend la main dès qu'elles témoignent quelque disposition au repentir. Cette main, il nous l'a tendue; mais ce n'est qu'un répit. Si les classes influentes n'en profitent pas pour réparer un mal immense, la main se retirera, le mal produira ses fruits, et le monde verra ce qu'il n'a jamais vu comment périssent des nations chrétiennes !

SEPTIÈME ET DIXIÈME COMMANDEMENT.

« LE BIEN D'AUTRUI TU NE PRENDRAS NI RETIENDRAS A TON

ESCIENT. »

« BIENS D'AUTRUI NE CONVOITERAS POUR LES AVOIR INJUS

TEMENT. »

D. Comment rattachez-vous ces deux derniers commandements aux autres?

R. En commençant l'explication des deux précédents, je vous ai fait voir que les six premiers articles et le huitième du Décalogue tendent à conserver et à développer dans les hommes le bienfait divin de la vie. Eh bien, par les septième et dixième articles, le législateur suprême nous ordonne de respecter les biens qu'il a destinés à l'entretien de notre vie physique et morale; il fonde le droit de propriété, sans lequel il n'y a ni éducation sociale, ni sécurité pour la vie de l'àme et du corps; et il complète ainsi cette législation si courte et si parfaite, dont le Sauveur disait : Si vous voulez entrer dans la vie, observez les commandements.

D. Est-ce que le droit de propriété importe si fort à la vie sociale?

R. Oui : point de véritable vie sociale sans ce droit. Faites, par son abolition, que la terre et ses fruits soient à tous, aussitôt le travail cesse, et la famine contraint les hommes à

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