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R. Le fondement éternel des vrais rapports entre les deux puissances, le voici : Dieu n'a pas entendu créer deux hommes, l'un spirituel, l'autre matériel; l'un temporel, l'autre éternel. L'homme est un, sa destinée est une. Cette destinée commence, se prépare dans cette vie, et s'accomplit dans l'autre. Pour appeler les hommes à l'existence et les aider à remplir leur destinée, Dieu a établi la paternité humaine, qui se divise, comme je l'ai dit en expliquant la quatrième parole du Décalogue, en paternité domestique, en paternité religieuse et en paternité civile ou politique. Ces trois pouvoirs ont la même source, Dieu; le même but, la bonne éducation des hommes, laquelle consiste à les diriger vers leurs destinées; la même règle fondamentale, la loi de Dieu. Les fonctions seules diffèrent.

Le sacerdoce est chargé de notifier à tous, supérieurs et inférieurs, la loi qui exprime les volontés de Dieu et définit nettement le bien et le mal de l'homme. Son devoir est de procurer l'observation de cette loi, par la puissance de la parole, par l'administration des sacrements et par l'emploi des censures ou du glaive spirituel. Ce que le prêtre fait dans la sphère ecclésiastique, le père et la mère doivent le faire, selon la mesure de leurs moyens d'action, dans la sphère de la famille porter leurs enfants au bien, les détourner du mal, par la parole, par l'exemple, par les récompenses et les corrections. Et ce que ceux-ci font dans la famille domestique, le pouvoir civil le fait dans la grande famille de l'État, en díctant des lois justes, en veillant à leur exécution, en usant de tous les moyens en son pouvoir pour favoriser le bien et réprimer le mal. Mais son action ne s'arrête pas là.

De même que le prêtre, pour former l'homme intérieur et asseoir l'ordre social sur son premier et irremplaçable fondement (la conscience), doit pénétrer avec le glaive spirituel de la parole dans tous les détails de la vie individuelle, domestique et civile, pour les conformer à la règle du bien et en retrancher le mal, de même le magistrat politique,

armé du glaive matériel pour la défense du bien et la répression du mal, doit intervenir dans toutes les sphères de la société où des grands désordres éclatent. Il entre dans le sanctuaire de la famille, quand la tranquillité y est gravement compromise par la révolte des enfants ou les excès du pouvoir domestique. Il y entre comme juge des différends qui y surgissent, des crimes qui s'y commettent, et comme législateur, chargé de défendre l'autorité paternelle contre les attentats de ses subordonnés et contre ses propres écarts. Il entre dans la sphère ecclésiastique, quand, par le mépris opiniâtre de la constitution et des lois de l'Église, le laïque veut y usurper ou troubler les fonctions du prêtre, ou que celui-ci, en révolte contre ses chefs, s'érige en ministre de l'erreur et du mal; mais il y entre simplement comme défenseur de l'ordre établi par Dieu même et des lois ecclésiastiques destinées à le conserver. S'il veut se porter juge entre le simple fidèle et le prêtre, entre celui-ci et l'évêque, entre l'évêque et le pontife suprême, il trouble dans sa première source l'ordre général qu'il doit maintenir, et introduit la mort au cœur même de la société.

Qu'est-ce donc que le souverain politique au point de vue chrétien? C'est le ministre de Dieu, défendant au dehors l'ordre universel, que les ministres de la religion, secondés par les chefs de famille, établissent et fondent dans les consciences. C'est, comme on l'appelait autrefois, l'évêque extérieur, le pontife du dehors, protégeant par l'exercice légitime de son pouvoir tout ce qui s'accomplit de plus grand sous le soleil: la procréation et la bonne éducation des hommes. Aussi l'Église, considérant la souveraineté politique comme un sacerdoce, a-t-elle dans ses livres liturgiques une formule de consécration pour les têtes souveraines comme pour les têtes sacerdotales, pour le sceptre et l'épée, comme pour le bâton pastoral. Et depuis que l'esprit sécularisateur a porté les princes à repousser l'onction sainte, pour se présenter devant les nations appuyés uniquement sur la loi civile et l'épée non bénite, l'Église n'a

pas cessé pour cela de défendre le caractère divin de leur pouvoir, de leur donner la première place dans les honneurs religieux, dans les prières publiques, selon ce précepte de l'Apôtre, qui atteste la profonde vénération et du sacerdoce et des fidèles pour la souveraineté, à une époque où elle en paraissait peu digne : Je demande donc avant toutes choses, écrivait-il à l'évêque Timothée, que l'on adresse des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes pour les rois et pour tous ceux qui sont constitués en dignité, afin que nous menions une vie calme et tranquille, en toute piété et honnêteté; car cela est bon et agréable à notre Dieu sauveur, qui veut que tous les hommes se sauvent et arrivent à la connaissance de la vérité (1).

Est-ce là, je vous le demande, ravaler le pouvoir politique?

D. Non; il est probable que les grands zélateurs de la dignité du pouvoir politique contre les entreprises du sacerdoce n'ont qu'un but, en brouillant les deux puissances: renverser l'une par l'autre, et établir sur les ruines de l'empire et du sacerdoce le despotisme illimité des autocrates révolutionnaires.

R. Si tous ne se proposent pas ce but, tous du moins y travaillent. Mais, s'il est facile d'appeler la ruine sur les empires politiques les plus forts, quand on les tourne contre l'empire religieux fondé par le Christ, l'histoire prouve que celui-ci est à l'épreuve du despotisme et des autocrates conservateurs et des autocrates révolutionnaires. Sa constitution et ses lois, survivant toujours aux cent millions de constitutions et de lois politiques et civiles ensevelies dans les ruines du passé, ne permettent pas au bon sens d'examiner sérieusement cette question :

L'Église est-elle investie du pouvoir de faire des lois?

(1) Prem. ép. à Tim., II, 1-4.

PREMIER ET DEUXIÈME COMMANDEMENT
DE L'ÉGLISE.

« LES FÊTES TU SANCTIFIERAS, QUI TE SONT DE COMMAN-

DEMENT. »

« LES DIMANCHES MESSE OUÏRAS, ET LES FÊTES PAREILLE

MENT. »

D. Pourquoi des fêtes, quand le chômage religieux du dimanche peut suffire à la sanctification des âmes et au repos du corps?

R. Sur quoi fondez-vous cette affirmation tranchante : le repos du dimanche suffit aux besoins de l'âme et du corps? Ce n'est pas, certes, sur l'autorité du seul législateur compétent des âmes et du corps. Quelle nation eut autant de fêtes que les Juifs, obligés, par la loi du Sinaï, à se réunir, trois fois l'année, des extrémités du royaume, dans le temple de Jérusalem? Outre les grandes solennités dont la première (celle de Pâques) était de sept jours, la nation élue avait tous les sept ans une fête qui ne durait pas moins de trois cent soixante-cinq jours (année sabbatique). Ce n'est pas sur l'expérience des peuples modernes : montrezmoi les nations protestantes chez lesquelles la suppression des fêtes aurait contribué à la sanctification réelle du dimanche et à la prospérité morale et matérielle de toutes les conditions sociales. Ce n'est pas non plus sur le témoignage des masses les plus chrétiennes et les plus laborieuses, puisqu'il est bien prouvé que ces masses ont toujours été pour la multiplication des fêtes, et que la réduction de celles-ci, plusieurs fois tentée par les premiers pasteurs, est allée se briser contre les résistances populaires (1).

(1) V. Bergier, Dictionn. théolog., art. Fėles.

Quelles sont donc vos raisons et vos autorités pour demander, je ne dis pas une sage réduction des fêtes par l'accord des deux puissances, mais leur suppression totale? Tout bien examiné, vous n'avez pour vous que les théories des philosophes et des économistes antichrétiens; théories qui, en propageant partout le culte brutal des jouissances matérielles, ont donné au théâtre, au cabaret, aux lieux de débauche, le temps dérobé aux solennités chrétiennes, ont amené du même pas les excès du luxe et ceux du paupérisme, et préparé les boucheries sociales contre lesquelles • nous luttons.

D. Il y a du vrai dans tout cela. Mais ne faut-il pas tenir compte de la situation sociale que nous a faite la marche progressive des arts et de la civilisation? Avec des populations agglomérées dans les villes et les grands centres de l'industrie, vivant au jour le jour, travaillant forcément quand la demande arrive, et chômant de même quand elle n'arrive pas; avec cette guerre honorable, mais incessante, que se font les peuples de l'Europe sur le terrain de l'industrie manufacturière et du commerce; guerre que le perfectionnement prodigieux de nos moyens de fabrication et de communication ne fait que redoubler; guerre que le triomphe prochain du principe du libre échange rendra mortelle pour les nations paresseuses: avec tout cela, dis-je, n'est-il pas clair que la nation qui consacrera moins d'heures au travail se verra en proie à la misère, et, par là même, à la démoralisation?

R. Oui, certes, il faut tenir compte de la situation qu'on nous a faite; car cette situation, c'est la mort.

Est-ce la marche progressive de nos arts mécaniques qui nous a conduits fatalement à ce résultat? Non; nos machines sont innocentes du mal qu'on leur attribue, et ne reçoivent que les malédictions de l'ignorance. Chez des nations vraiment chrétiennes, le perfectionnement des moyens de production, de fabrication, de transport, aurait pour effet naturel une augmentation d'aisance et une dimi

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