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D. Quel est ce préservatif?

R. C'est le dogme fondamental: Dieu est charité, et il a tellement aimé les hommes, qu'il leur a fait le sacrifice de son Fils, afin qu'ils devinssent les héritiers de son royaume et les consorts de la nature divine. Expliquons cela.

Le dogme infernal de l'humanité-Dieu n'est, comme toutes nos erreurs, qu'une vérité dont on abuse. L'orgueil, qui soutient ce dogme, n'est, comme tous nos vices, qu'un excès, un abus des instincts légitimes que Dieu a mis en

nous.'

L'erreur de l'humanité-Dieu est la corruption de cette vérité catholique : L'homme est destiné à devenir le consort de Dieu. La corruption est en ceci, que, niant le fait de notre adoption divine par Jésus-Christ, l'homme ose se poser en Dieu absolu et dire : Pas d'autre Dieu que moi!

L'orgueil est l'excès, l'abus de l'estime et de l'amour de nous-mêmes; aussi le catéchisme le définit-il une estime, un amour désordonné de soi. L'excès, le désordre est en ceci, que, au lieu d'estimer' et d'aimer le bien qui est en nous, comme un don du Père céleste, et d'en attendre l'accroissement du secours de sa grâce encore plus que du bon emploi de nos forces, nous nous en glorifions comme d'un bien propre, et nous prétendons travailler sans Dieu, et même contre sa loi, à notre agrandissement.

A

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Ces principes nous expliquent les sympathies que trouve dans le cœur humain le dogme de l'humanité-Dieu, si absurde qu'il soit. En effet, l'estime et l'amour ardent de nous-mêmes nous inspirent une profonde répulsion pour le néant, et même pour le simple titre de créature, qui veut dire extrait du néant; répulsion qui n'a rien en soi que de naturel et de légitime, puisque, en daignant nous appeler à l'héritage de sa grandeur, Dieu nous a donné l'instinct d'une si haute dignité et beaucoup d'éloignement pour notre point de départ : le néant. Nous devons convenir, sans doute, que nous avons commencé d'être, et que, si nous sommes, c'est uniquement à l'Être éternel que nous

le devons; mais si Dieu ne nous apparaissait qu'en sa qualité de créateur et de maître absolu, nous pourrions le craindre, nous ne l'aimerions pas. Le contraste de sa grandeur et de notre bassesse, de sa félicité et de nos misères, nous humilierait, nous aigrirait. L'aigreur dégénérerait bientôt en aversion; l'aversion produirait la négation de Dieu, et celle-ci serait la proclamation de l'humanité-Dieu.

Comment prévenir, dissiper cette humiliation, cette aigreur? Comment satisfaire ce qu'il y a de naturel, de légitime, dans l'estime, dans l'amour de nous-mêmes, dans notre susceptibilité et fierté? Le moyen, je l'ai dit, est dans la foi au Dieu-Charité. Vous allez le voir.

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Le Dieu qui crée l'univers par l'inspiration de son amour, qui, élevant l'homme au-dessus de toutes les créatures visibles, le forme à son image et ressemblance, converse avec lui comme un père avec son enfant, le prépare aux grandeurs du ciel par l'investiture de l'empire terrestre, le ramène avec bonté et le traite avec miséricorde, après une révolte marquée au coin de la plus noire ingratitúde; ce Dieu, dis-je, n'a rien qui puisse humilier et aigrir l'homme; s'il ne prend pas encore communément le doux nom de père, on sent qu'il en a les entrailles. S'il fait sonner haut son nom de Jéhovah, de Créateur et de Maître absolu de toutes choses, on voit que ce n'est pas pour se glorifier, mais pour avoir occasion de glorifier les hommes qui lui rendront gloire et mépriseront les dieux de pierre, de métal, de bois, qui ne savent que boire le sang des victimes humaines. En somme, tel qu'il apparaît dans l'ancienne löi, Dieu est vraiment digne d'adoration et d'amour; et pourtant, s'il fut adoré et craint, il fut peu aimé, tant les hommes le jugeaient encore trop haut!

Mais le Dieu-Charité qui s'anéantit jusqu'à prendre notre nature avec ses faiblesses, pour nous communiquer sa divinité avec ses perfections; le Dieu qui épuise jusqu'à la lie le calice de nos humiliations et de nos douleurs, pour reconquérir nos droits à la gloire et aux délices éternelles ;

le Dieu que son ineffable amour retient captif sur nos autels, pour nous donner le pain de vie et le gage de notre résurrection glorieuse; l'Emmanuel, le Dieu-avec-nous, qui réalise et nous apprend à réaliser le vœu de nos vœux : notre divinisation! voilà le Dieu fait pour régner sur les ames, et dont on doit dire avec saint Paul: Si quelqu'un ne l'aime pas, qu'il soit anathème (1)! Voilà le Dieu qui prévient et qui tue dans son germe l'objection mère.

Jésus-Christ, c'est le vrai Grand-Tout (2), remplaçant l'absurde unité du panthéisme par une unité infiniment plus grande et plus glorieuse pour nous. Il dit en toute vérité: Je suis l'alpha et l'oméga, le principe et la fin, l'auteur et le consommateur de tous les êtres; l'Humanité, c'est moi! Mais, en me faisant homme, je ne me suis proposé qu'une chose que tous les hommes puissent devenir ce que je suis, arriver à la hauteur où je serai éternellement, partager ma royauté et mon trône.

Comment s'offenser de tant de grandeur, puisqu'elle appartient à celui qui a daigné nous appeler ses frères, bien plus, les membres de son corps, et qu'il ne tient qu'à nous de la partager avec lui?

Comment refuser au Dieu crucifié pour nos crimes la soumission à ce qu'il y a dans sa loi de plus crucifiant pour l'orgueil et la chair? Cette confession, qui fait tant d'incrédules, cet aveu de nos fautes à l'oreille du ministre sacré, est-ce donc une obligation si révoltante, quand on l'étudie en face de cette croix où l'expiation de nos iniquités a coûté au Fils du Très-Haut tant d'humiliations et de tortures?

D. Oui, toutes les objections se résolvent en fumée au pied de la croix. L'essentiel est d'attirer les incrédules à ce point de vue ; mais ce n'est pas facile.

R. La chose est moins difficile que vous ne le pensez. Il y a dans la croix une puissance d'attraction qui a vaincu

(1) Prem. ép. aux Cor., XVI, 22.

(2) Et omnia in Ipso constant. Ep. ad Coloss., I, 17.

les répugnances d'un monde bien plus incrédule que le nôtre, et justifié cette parole: Quand on m'aura élevé, j'attirerai tout à moi. Cette puissance est toujours la même. On ne saurait trop le redire à ceux qui travaillent à la conversion des âmes: la science des sciences, pour vous, doit être celle de saint Paul, la science de Jésus et de Jésus crucifié. A l'exemple du grand convertisseur des nations, pénétrez aussi avant que vous pourrez dans les profondeurs de la charité de Jésus-Christ, et vous en sortirez avec des traits qui iront droit au cœur des ennemis du roi des âmes (1), et y tueront l'esprit d'incrédulité, qui n'est qu'un sentiment de défiance envers Dieu, défiance prompte à dégénérer en aversion. Vous gagnerez plus à répéter les sept paroles descendues de la croix, qu'à emboucher les trompettes et à faire vibrer les foudres et les éclairs du Sinaï.

En faussant dans les esprits la notion de Dieu et en exaltant prodigieusement l'orgueil, le protestantisme, le jansénisme et le philosophisme ont préparé la voie au rationalisme pantheiste et athée. Qu'est-ce en effet que le Dieu de Luther, de Calvin, de Bèze, de Jansénius et d'Arnauld? C'est le dieu fataliste, sans justice, sans amour, qui commande des choses impossibles, et qui prédestine, selon son bon plaisir, les uns à se prosterner éternellement devant sa face pour glorifier sa capricieuse miséricorde, les autres à descendre dans le feu inextinguible, pour servir de monument à son absurde justice; dieu égoïste et jaloux, qui fait de ses élus des esclaves muets et impuissants, dont il ne veut pas que nous honorions la mémoire, que nous réclamions l'appui. Qu'est-ce que le dieu du philosophisme déiste? C'est le dieu muet et inexorable de la nature, qui, nous gouvernant par des lois générales et inflexibles, regarde du même il l'oppresseur, l'opprimé, l'assassin, la victime, donne aussi peu d'attention à nos prières qu'au chant de la cigale et au bruit du torrent. Or, pendant qu'ils

(1) Ps. XLIV, 6.

prêchaient un dieu régnant despotiquement sur des hommes-machines, les réformateurs biblistes et sophistes, par une contradiction naturelle à l'erreur et très-logique, proclamaient l'indépendance et la souveraineté religieuse de chacun.

De là, dans les âmes, un fonds d'aigreur et d'hostilité contre la notion d'un Dieu distinct de l'univers et de l'homme; de là une tendance à repousser comme un abus toute autre religion que celle de l'humanité. Le remède à cette terrible maladie est dans le développement de cette définition : La religion par excellence de l'humanité, la religion qui divinise vraiment les hommes, est celle qui, au lieu de sacrifier les hommes aux dieux qu'ils se sont donnés dans le ciel ou sur la terre, a pour base de sa foi et de son culte le sacrifice réel du vrai Dieu au salut du genre humain.

J'ai dévoilé l'objection capitale qui se cache dans les replis les plus secrets de l'âme et y dresse des autels à l'orgueil. Il me reste à vous parler de celle qui se produit au grand jour et nous prend du côté de l'intérêt.

CHAPITRE III.

De l'objection que l'on ressasse depuis six mille ans, et toujours avec succès.

D. Quelle est cette objection?

R. C'est l'objection qui séduisit Ève et qui se réduisait à ceci : « Votre soumission aveugle à la loi de Dieu fait de vous des enfants incapables de discerner le bien du mal; prenez de ce fruit, et, acquérant du même coup la science et la liberté, vous serez comme des dieux. »

C'est l'objection qui perdit les enfants de Dieu, quand, cédant aux attraits des filles des hommes, ils se dirent: « La famille de Caïn excelle dans l'art d'exploiter la terre et d'élever les enfants; recherchons donc son alliance. »>

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