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R. Je vous prie d'observer qu'il ne s'agit pas ici de foi spéculative, mais de foi pratique, et je vous demande où est la nation qui puisse se vanter d'être, ou d'avoir été, à une époque quelconque de son existence, fidèle de tout. point aux prescriptions de l'Église catholique. Cette nation n'a jamais existé, n'existera jamais, ne fût-elle composée que de quelques milliers de familles dirigées par les Apôtres en personne.

Ne comprenez-vous pas que la religion catholique, par là même qu'elle est divine, qu'elle nous donne la perfection du Père céleste pour but et Jésus-Christ pour modèle, ne peut déployer ici-bas toute sa puissance sanctificatrice; que le propre d'une telle religion est d'exciter les hommes à marcher sans relâche dans le chemin de la vérité et de la vertu, de condamner la routine, l'apathie et l'orgueil pharisaïque qui croient en avoir assez fait; et que, pour cette religion, toute la perfection de l'homme consiste dans un effort continuel vers la perfection suprême? On ne peut donc dire d'aucun homme, si saint qu'il soit, d'aucune réunion d'hommes, quelle que soit la masse qu'elle offre de lumières et de vertus : C'est le chef-d'œuvre de la religion catholique, elle ne peut rien produire de plus grand.

Les chefs-d'œuvre de la religion de Jésus-Christ, préparés et dégrossis ici-bas, n'acquièrent le maximum de leur valeur que dans l'éternité.

nes.

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Résumons. Il n'y a point de nations protestantes qui ne soient encore catholiques par les croyances et les pratiques, par les institutions et les habitudes qui les font chrétienIl n'y a point de nations catholiques qui ne soient protestantes dans la juste mesure de leur insoumission aux prescriptions de l'Église catholique. Cela étant, le parallèle des unes et des autres dans le but d'imputer au catholicisme le mal des nations catholiques, au protestantisme le bien des nations protestantes, serait non-seulement une injustice, mais une absurdité. Le catholicisme a le droit de revendiquer les progrès réels dans le bien des na

tions chrétiennes quelconques et d'imputer au protestantisme leurs égarements et leurs misères.

Cependant, il est notoire qu'il existe des nations suffisamment soumises à la religion catholique pour en éprouver en grande partie les salutaires influences et pour mériter le titre de catholiques, et qu'il en existe d'autres qui, par leur haine contre l'Église de Jésus-Christ et leur profession en théorie du principe protestant, ont éprouvé plus ou moins la valeur sociale de celui-ci. Acceptons donc le parallèle, ainsi limité, des unes et des autres, et discutons les faits allégués par les partisans du protestantisme.

CHAPITRE IV.

S'il est permis de vanter nos progrès scientifiques, littéraires et politiques, depuis l'an 1520.

D. Contester ces progrès, ne serait-ce pas contester l'évidence?

R. Soit; mais on peut reconnaître ces progrès sans les juger dignes d'admiration. Ils sont bien médiocres en effet, quand on les compare à l'élan général des esprits vers la fin du quinzième siècle. Les ignorants s'imaginent que l'Europe sommeillait alors sous l'éteignoir du pouvoir pontifical et de l'inquisition. Écoutons une plume non suspecte.

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C'était alors, nous dit M. Guizot, pour la haute église, surtout en Italie, le temps du plus brillant développement... Elle se livrait avec orgueil à tous les plaisirs d'une civilisation molle, oisive, élégante, licencieuse, au goût des lettres, des arts... On croit, en vérité, quand on parcourt cette époque, quand on assiste au spectacle de ses idées, à l'état des relations sociales, on croit vivre au milieu du dix-huitième siècle français. C'est le même goût pour le mouvement de l'intelligence, pour les idées nouvelles...

Ce temps est aussi celui de la plus grande activité extérieure des hommes; c'est un temps de voyages, d'entreprises, de découvertes, d'inventions de tous genres. C'est le temps des grandes expéditions des Portugais le long des côtes d'Afrique, de la découverte du passage du cap de Bonne-Espérance par Vasco de Gama, de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, de la merveilleuse extension du commerce européen. Mille inventions nouvelles éclatent; d'autres, déjà connues, mais dans une sphère étroite, deviennent populaires et d'un fréquent usage. La poudre à canon change le système de la guerre; la boussole change le système de la navigation. La peinture à l'huile se développe et couvre l'Europe des chefs-d'œuvre de l'art. La gravure sur cuivre, inventée en 1260, les multiplie et les répand. Enfin, de 1436 à 1482, l'imprimerie est inventée (1). » Ajoutons que l'immortel chanoine de Frawenburg (Copernic), après avoir étudié à Bologne et professé à Rome les mathématiques et l'astronomie, venait de découvrir le véritable système du monde.

Que ne pouvait-on pas se promettre de tant d'activité, de tant de moyens de succès? L'absurde programme de Lnther, remettant en question le système religieux qui avait élevé si haut l'Europe, et conviant tous les esprits à refaire la religion du Christ, fut le véritable éteignoir des progrès scientifiques, littéraires, politiques. Les plus nobles intelligences, unies jusque-là dans la foi aux vérités capitales qui éclairent et fécondent les travaux intellectuels, durent se partager en deux camps ennemis acharnés, l'un à démolir l'Église catholique et à lui substituer des constructions nouvelles, l'autre à défendre l'œuvre de Jésus-Christ, et à battre en brèche les inventions des novateurs. Quel a été le résultat scientifique, littéraire de ces interminables controverses qui durent toujours? Poussée de négation en négation, la théologie protestante en est

(1) Cours d'histoire moderne, x1o leçon.

venue à professer hautement le mépris de tout christianisme positif. La foi catholique n'y a gagné que quelques chefs-d'œuvre de discussion, dont elle n'avait nul besoin.

Supposez que les innombrables esprits, lancés par le protestantisme à la recherche du vrai christianisme dans la Bible, et qui n'ont enfanté, les uns que des sectes ridicules, les autres que des systèmes philosophiques aboutissant à l'athéisme; supposez, dis-je, que ces esprits eussent consacré leurs talents à la culture des sciences, des lettres, des beaux-arts: n'est-il pas vrai que nos conquêtes, dans ces diverses branches, seraient incomparablement plus grandes?

D. Il possible que les sciences et les lettres aient peu profité, aient même beaucoup perdu, dans ces tristes discussions. Mais, au milieu de ces abus de la liberté de penser en religion, ne voit-on pas un progrès réel dans les libertés politiques et civiles?

R. Je ne le vois pas, et M. Guizot, grand admirateur de la révolution religieuse, ne l'a pas vu davantage. En célébrant les bienfaits de la Réforme, il n'en signale qu'un : l'émancipation de la pensée, l'abolition du pouvoir spirituel. «Elle a laissé sans doute, dit-il, la pensée soumise à toutes les chances de liberté ou de servitude des institutions; mais elle a aboli ou désarmé le pouvoir spirituel, le gouvernement systématique et redoutable de la pensée. C'est là le résultat qu'a atteint la Réforme au milieu de ses combinaisons diverses. En Allemagne, il n'y avait point de liberté politique; la Réforme ne l'a point introduite; elle a plutôt fortifié qu'affaibli le pouvoir des princes; elle a été plus contraire aux institutions libres du moyen âge que favorable à leur développement (1).

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Il y avait donc des institutions libres au moyen âge. Elles étaient même si répandues, qu'on ne pourrait citer aucune nation chrétienne qui n'eût, sous diverses formes et à di

(1) Cours d'hist. moderne, xuo leçon,

vers degrés, des institutions politiques marquées au coin d'un sage libéralisme, avant la Réforme. Que fit celle-ci? Elle reconstitua, au profit des princes qui la favorisèrent, l'autocratie politique et religieuse que le christianisme avait abolie depuis les jours de Constantin. A l'épée féodale, dont le catholicisme avait limité les droits, elle ajouta le pouvoir spirituel des clefs, et dit aux chefs des États affranchis de la tyrannie papale : « Donnez à vos sujets des catéchismes et des symboles de foi, comme vous leur donnez des lois et des règlements civils; créez-leur des évèques, des ministres du Christ, comme vous leur envoyez des gouverneurs militaires et des agents du fisc. » Et l'histoire prouve que, à partir de Henri VIII et du grand maître de l'ordre Teutonique, Albert de Brandebourg, jusqu'à la reine Victoria et au roi actuel de Prusse, les souverains protestants ont librement usé et abusé du droit de réglementer les consciences de leurs sujets.

En même temps qu'il courbait les pays réformés sous le joug de grands et petits autocrates, le protestantisme, par les guerres qu'il allumait et les semences de sédition et de révolte qu'il répandait partout, contraignait les nations catholiques à faire, en tout ou en partie, le sacrifice de leurs libertés politiques et à chercher des garanties d'ordre dans la concentration du pouvoir et la dictature monarchique. La seconde moitié du seizième siècle est l'époque du développement progressif et illimité du gouvernement d'un seul sur les ruines des diverses institutions nationales, provinciales, municipales, par lesquelles le moyen âge l'avait tempéré. C'est un fait que l'illustre Balmès a mis dans le plus grand jour (1).

D. Cependant, vous admettrez une exception en faveur de l'Angleterre, qui jouit depuis près de deux siècles des plus amples libertés politiques et qui a favorisé en Europe le retour aux principes du gouvernement représentatif.

(1) V. le Protestantisme comparé au Catholicisme, t. III.

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