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poussière est d'un grand emploi dans le polissage des pierres et des métaux), est uniquement composée de carapaces d'animalcules infusoires appartenant à trois espèces distinctes; et il estime qu'un centimètre cube de cette pierre, pesant environ six décigrammes, renferme plus de deux milliards d'individus de l'espèce appelée gaillonella distans. M. d'Orbigny a constaté que les tests ou coquilles des animalcules du genre des foraminifères (dont on connaît déjà environ quinze cents espèces), sont tellement prodigués dans le calcaire des environs de Paris, qu'un pouce cube, pris au hasard à la carrière de Gentilly, en donne de cinquante à soixante mille.

Il est donc certain que l'échelle de la vie animale commence à une profondeur incalculable au-dessous de l'homme; -que le nombre des espèces dans chaque genre, et des individus dans chaque espèce, va croissant à mesure que nous descendons dans cet abîme; - qu'une grande portion de la matière solide de notre globe, réputée jusqu'ici inorganique, prend désormais place parmi les produits d'ètres doués d'une vie supérieure à celle des végétaux ; — enfin, que, dans l'état actuel de la science, la prétention de calculer approximativement le nombre des espèces animales serait parfaitement absurde.

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Abandonnons aux savants l'exploration des miracles de sagesse et de puissance qui éclatent dans l'organisation, les mœurs et l'industrie des habitants d'un monde totalement inconnu avant l'invention du microscope. Comme nous avons fait pour le règne végétal, choisissons dans le nombre des animaux visibles une espèce quelconque bien connue, par exemple, la chenille.

D. Ne pourriez-vous pas choisir un sujet plus avenant? R. Eh bien! prenons le charmant volatile qui, par un beau caprice de la nature, est en même temps le père et le fils de la chenille.

Vous savez probablement que, à certaine époque de l'année, les chenilles cessent tout à coup de ravager nos arbres

pour se construire, de leur propre substance, un palais d'or (chrysalide) qui sert de tombeau à la chenille, de berceau au papillon.

La chrysalide varie quant à la forme et à la couleur, quant à la manière dont elle se suspend ou se colle à une feuille, à un ramuscule; mais, soit qu'elle reste à découvert, comme dans la plupart des espèces, soit qu'elle s'entoure, comme le ver à soie, d'un merveilleux tissu, elle offre toujours une demeure parfaitement abritée contre les intempé ries de l'air, et abondamment pourvue des choses nécessaires à la première éducation du nouvel être qu'elle contient. Que se passe-t-il dans cette mystérieuse retraite où l'on aperçoit à peine quelques légers mouvements? Nous l'ignorons. Mais, après un intervalle qui peut s'étendre de vingt jours à trois cents, nous voyons la paroi la plus mince de la maisonnette se briser et livrer passage à un animal dont la structure, les mœurs et les instincts diffèrent prodigieusement de ceux de la chenille.

Celle-ci rampe misérablement à terre et sur les arbres, n'a pour se hasarder dans les airs qu'une corde qu'elle file péniblement, ne vit que du parenchyme des feuilles qu'clle broie à l'aide d'une mâchoire, qu'elle digère dans un ou plusieurs estomacs qui se prolongent d'un bout de son corps à l'autre. Au contraire, par l'élégance de son organisation, de ses vêtements, de ses allures, le papillon est un des plus aimables habitants de l'air, ne vivant que du suc le plus délicat des fleurs, qu'il puise à l'aide d'une trompe ou d'un suçoir. Rien ne peint mieux le contraste de ces deux êtres, qui paraissent pourtant n'en faire qu'un, que ces locutions proverbiales Laid comme une chenille, joli comme un papillon.

Laissons à de plus habiles l'examen détaillé du corps de l'insecte, et, nous bornant aux ailes, faisons-en une étude qui soit à la portée de tous.

Il n'y a personne, depuis l'enfant jusqu'au vieillard, qui n'admire la richesse, l'éclat et la variété des couleurs de bon

nombre de papillons de jour. Il n'y a personne encore qui ne sache qu'il suffit de frôler entre les doigts l'aile d'un papillon pour en ôter les couleurs et réduire ce riche tableau à n'être plus qu'une toile transparente. En examinant au microscope la poussière colorante qui s'est attachée aux doigts, on trouve que ces pulviscules sont autant d'écailles ou de plumes taillées sur différents modèles, et destinées, par leurs facettes lisses et polies, à produire de grands effets de lumière. L'examen de la toile révèle aussi deux tissus, dont l'un est comme la charpente ou le canevas de l'aile, dont l'autre est une gaze unissant beaucoup de solidité à une incomparable délicatesse, et criblée d'une infinité de logettes propres à recevoir les plumes ou les écailles. Raisonnons maintenant.

Quel est l'artiste qui a conçu et exécuté avec tant de profusion ces inimitables tapisseries devant lesquelles le chefd'œuvre que l'atelier des Gobelins avait envoyé à l'Exposition de Londres (le massacre des Mameluks) n'est qu'une grossière ébauche? Qui a dirigé avec tant d'adresse la trame de ces millions de fils? Quel est l'opticien qui a taillé, arrangé et planté ces millions d'écailles ou de plumes? Mettons qu'il n'y ait là que ce que l'œil nu y découvre, une toile et de la poussière; quel est le peintre qui, après avoir préparé la toile, a si bien choisi et disposé ces atomes de poussière, qu'il en résulte un tableau au pastel d'une perfection désespérante?

N'est-il pas vrai que, pour l'esprit qui veut se recueillir un instant, l'aile d'un papillon lui révèle Dieu avec autant de puissance que le spectacle des cieux ?

D. Oui, certes, et je pense qu'on multiplierait beaucoup les auditeurs de théologie en attachant ainsi la plus grave des sciences à l'aile d'un papillon. Cela vaudrait mieux, ce semble, qu'une foule d'argumentations latines et autres qui frappent peu, alors même qu'on a la patience de les lire ou de les écouter.

R. Soit, mais pour faire de la théologie qui joigne l'agré

ment à la force, peut-être est-il à propos que notre esprit rampe dans la poussière de l'école et vive d'abord de latin, d'autres choses, à l'exemple de la chenille, qui vit longtemps de sucs grossiers avant de s'envoler vers les cieux.

Encore un mot sur le papillon. Sa carrière est aussi courte que brillante; il ne survit pas à la saison qui l'a vu naître. Image de la légèreté et de l'insouciance, il n'en tient pas moins à revivre dans sa postérité, et on peut le citer comme un modèle de prévoyance et de tendresse paternelle.

Le moment de la ponte arrivé, s'il appartient aux espèces qui déposent leurs œufs à terre, soyez sûr qu'il les mettra à proximité du végétal qui devra fournir à ses petits leur première nourriture. S'il pond sur un arbre, il choisira l'arbre nourricier de sa famille, disposera ses œufs en groupe ou en anneau circulaire autour d'une branche, ayant soin de placer en dehors la pointe de l'œuf par laquelle sortira la chenille, attention que sa mère la chenille avait eue pour lui-même en construisant la chrysalide. Ces œufs, il les couvrira d'une espèce de colle ou de vernis, pour qu'ils ne soient ni emportés par le vent ni pénétrés par la pluie et le froid. S'ils doivent traverser l'hiver, la couche de vernis sera telle que l'arbre pourra périr par le froid sans que les œufs périssent. L'opération terminée, il dépose sans douleur sa dépouille mortelle, et même, dans certaines espèces, il en fait un abri à ses couvains.

Si l'éclosion a lieu en automne, nous verrons des milliers de petites chenilles profiter des derniers beaux jours pour se jeter sur le parenchyme des feuilles, le convertir en soie ou en coton d'une extrême finesse, et se préparer pour la mauvaise saison des demeures plus impénétrables au froid que nos appartements les mieux calfeutrés.

Ce premier chef-d'œuvre des petites ouvrières en présage d'autres, et, si nous les suivions au travail depuis leur réveil au printemps jusqu'à la formation de la chrysalide, nous trouverions que l'industrie de la chenille, supérieure à la nôtre, égale la beauté du papillon. L'organisation, en ap

parence si disgracieuse, de ces insectes serait elle-même la matière d'une belle étude.

Le savant Lyonnet, dans ses travaux anatomiques sur une seule espèce, a constaté l'existence, dans chaque individu, de quatre mille muscles bien distincts (1). En calculant grosso modo les combinaisons qu'impliquent la formation de chacun de ces muscles, leur assemblage dans le corps de la chenille, leur agencement avec mille autres petits organes, les uns indispensables à la production de la vie, les autres utiles à sa conservation, tels que les poils du magnifique velours qui couvre certaines espèces; poils visiblement destinés à servir de vêtement à l'animalcule et aussi de parachute, alors qu'un coup de vent le précipite du haut d'un arbre avant qu'il ait eu le temps de dérouler sa corde, etc., etc.; en calculant, dis-je, ces combinaisons, on arriverait à des cent mille, à des millions de preuves de la profonde sagesse de l'Inventeur de la chenille.

Cela étant, serait-il nécessaire de convoquer les milliards et milliards d'insectes qui nous offrent dans une année, au plus dans dix-huit mois, les trois merveilleuses existences de la chenille, de la chrysalide et du papillon, pour accabler des anathèmes du bon sens les athées, les panthéistes et les pédants sceptiques qui viennent nous répéter la phrase de leur père Rousseau : Ce n'est pas une petite affaire de connaître qu'il y a un Dieu ? (ÉMILE.)

D. Non, je commence à voir qu'il y a assez de sagesse dans une seule chenille pour mettre en déroute tous ces vains discoureurs.

R. Cependant, nous n'avons interrogé, et bien superficiellement, qu'une des espèces qui composent la chaîne immense du règne animal, depuis les animalcules infiniment petits, dont dix milliards ne rempliraient pas notre main, jusqu'à l'éléphant sur le dos duquel l'homme båtit des mai

(1) Voy, son Trailé anatomique de la chenille qui ronge le bois de saule (1762), 1 vol. in-4° avec planches. Lyonnet est aussi le traducteur de la Théologie des insectes, de Lesser.

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