Page images
PDF
EPUB

celle qui se rapproche le plus de l'Angleterre, pays classique du paupérisme. Un de ses journaux observait naguère que le nombre officiel des indigents secourus à Amsterdam est de 1 sur 3 habitants, tandis qu'à Paris il n'est que de 1 sur 10 (1).

Le paupérisme! ce mot nouveau que l'Angleterre a créé pour exprimer moins un mal nouveau que le développement excessif du mal de l'indigence, mal aussi ancien que le monde; le paupérisme, qui, de l'Angleterre, a étendu ses ravages sur le continent dans la juste mesure des efforts qu'on y a faits pour multiplier la richesse; le paupérisme, de qui est-il fils? du déchaînement de la cupidité, déchaînement dont je vous ai signalé la cause au commencement de ce chapitre.

Les richesses de ce monde, très-limitées de leur nature, sont presque toutes en circulation, chez des nations aussi avancées que les nôtres, et il en reste très-peu à découvrir dans le sein de la terre. Ruinez dans les âmes, comme a fait le protestantisme, la foi religieuse qui tempère l'ardeur de la cupidité et procure un emploi charitable des biens terrestres, le mouvement circulatoire de la richesse acquerra une vitesse prodigieuse. En suivant de l'œil ce mouvement, vous verrez qu'il est ascensionnel, qu'il perd en étendue ce qu'il gagne en hauteur, qu'il a pour résultat d'absorber les petits capitaux dans les grands (2), et de former cette pyramide sociale qui offre au sommet des montagnes d'or assises sur des abîmes de misère et de convoitises inassouvies. Tôt ou tard, si le niveau de la charité catholique ne les abaisse, les montagnes crouleront et le flot de la barbarie surnagera. De nos jours, comme au temps de Sénèque, les grandes richesses ne se forment qu'au moyen

(1) V. le Tijd, cité par l'Univers, numéro du 21 septembre 1852.

(2) « Les petits capitaux sont (en Angleterre) une chose inconnue; les capitaux moyens disparaissent peu à peu; les grands résistent seuls à la violence de la lutte, et il se fait autour d'eux comme un désert. » Études, t. I, P. 428.

de grandes misères (1). Mais, chez les nations chrétiennes, les grandes misères n'étant pas contenues par le frein de l'esclavage, comme chez les contemporains de Sénèque, il est dans leur destinée de dévorer les grandes richesses.

[ocr errors]

1

20

[ocr errors]

Pour en finir avec le vieux conte de la supériorité des nations protestantes sous le rapport du bien-être général, permettez-moi de citer quelques lignes écrites en 1845 (2) : « Dans la si monacale Espagne, avant sa révolution, les pauvres, dans leur rapport à la population générale, y donnaient; en Italie, en Autriche, pays aussi de moines, ; - en France, où certain parti qu'on écoute trop, n'en voudrait plus, en Angleterre, où Henri VIII a purgé le pays de cette espèce paresseuse, les pauvres donnent, quelques écrivains disent, et même de la population. Ajoutons qu'il est inouï, en pays catholique, que les indigents meurent de faim, tandis que, en Angleterre, « des rapports officiels, partis des dif férents comtés, avertissent chaque année le public qu'un grand nombre d'habitants meurent de faim; que la plupart sont réduits à manger de la chair de cheval, des grains avariés, à brouter l'herbe des champs et à fouiller mème dans l'auge des pourceaux. » (Cobbett, Lettre XVIe sur la Rẻforme.)

CHAPITRE VI.

A quoi se réduisent les autres avantages des populations protestantes sur les populations catholiques.

D. Ces avantages sont probablement ceux que vous avez énumérés à la fin de la grande objection, savoir plus d'ordre, de tenue, de propreté, de dignité, dans les popula

(1) Ex multis paupertatibus divitiæ fiunt.
(2) Solution de grands problèmes, t. III, p. 341.

tions protestantes, moins d'inclination au vice grossier de l'ivrognerie ?

R. Oui. Voyons d'abord ce qu'il y a de vrai dans les faits allégués.

Comme il s'agit ici principalement des masses, on m'accordera que l'Angleterre ne peut être admise à nous vanter la tenue, la dignité, la propreté, la sobriété de ses populations ouvrières. En fait d'habitudes contraires à tout cela, ses masses laborieuses ne peuvent être comparées qu'à elles-mêmes. Elle n'a pas le droit de nous objecter la misère, la saleté, l'ivrognerie des populations catholiques de l'Irlande, elle qui, depuis la révolution de 1688, a fait peser sur cette infortunée nation la plus exécrable tyrannie qu'ait éclairée le soleil.

M. Faucher, qu'on n'accusera pas de trop de prévention en faveur du catholicisme, parlant des ouvriers irlandais établis dans les centres manufacturiers les plus corrompus de l'Angleterre, déclare y avoir remarqué plus de sobriété et d'instruction dans les hommes, plus de chasteté et d'application aux soins du ménage dans les femmes, que dans le reste de la population. Il en fait honneur aux prédications du P. Matthew et au zèle du clergé catholique pour l'instruction de tous, surtout de l'enfance. « J'ai vu, J'ai vu, dit-il, le dimanche, cinq à six mille de ces enfants défiler processionnellement sous la bannière de saint Patrick, et la demipropreté, la décence de cette foule enfantine, est le progrès le plus grand ainsi que le plus inattendu qu'il m'ait été donné de constater (1).

[ocr errors]

Les États-Unis, notamment les États du Nord, sont les pays où les émigrants d'Europe, la plupart Irlandais, ont le plus donné lieu au reproche de paresse, de malpropreté, d'intempérance, par le contraste de leurs habitudes d'insouciance et de laisser-aller avec l'activité fiévreuse et le rigorisme puritain des anciens colons. Ici encore le remède

(1) Études, tom. 1, p. 327.

a suivi le mal, et l'Amérique du Nord reconnaît devoir au moine irlandais Matthew l'introduction et le succès de ses sociétés de tempérance.

Quand nous admettrions comme un fait que, dans le culte extérieur de la personne et de ce qui contribue à son bien-être, les populations protestantes sont supérieures aux catholiques, verriez-vous là un avantage sans inconvénients et qui puisse fonder une accusation contre l'influence sociale du catholicisme?

D. Le culte extérieur de la personne, sa bonne tenue, le soin de son bien-être, ne sont, il est vrai, qu'une partie de la bonne éducation; mais je crois y voir un bien réel, un progrès louable, et aussi quelque fondement au reproche que l'on fait au catholicisme de favoriser l'apathie de ses croyants en ne stimulant pas assez leur activité personnelle.

R. Il est vrai que l'Église catholique dispense ses croyants de la sublime tâche d'inventer la religion de Jésus-Christ; mais après ce que nous avons vu des obligations du catholique, dans les deux livres précédents, vous devriez comprendre, ce me semble, que le reproche fait à l'Église de favoriser l'apathie de ses enfants, de négliger une partie quelconque de leur bonne éducation, est souverainement injuste.

Le catholicisme étant une religion positive et prêchant une morale qui tend à élever les hommes à la plus haute perfection, on ne peut sans iniquité lui imputer les vices et les défauts qu'il condamne. Le protestantisme, au contraire, rendant chacun juge de ce qu'il doit croire et pratiquer, est par là même responsable de tous les désordres que son principe autorise. Le catholique ne se démoralise que parce qu'il refuse d'user ou qu'il abuse des moyens d'édification religieuse que lui offre l'Église; c'est dire qu'il n'est vicieux qu'autant qu'il est anticatholique. Mais le protestant le plus désordonné dans ses mœurs n'en est pas moins bon protestant, s'il s'appuie sur quelque parole biblique. Le Mormon, ou Saint des derniers jours, qui prend trente

femmes à la fois et croit que tous les biens de la terre lui ont été donnés, est un très-légitime enfant de la liberté d'examen. Dire qu'il abuse du principe, c'est sottise. Là où il n'y a pas de règle fixe qui détermine le bon usage d'un principe, le mot abus n'a pas de sens.

Ces observations préliminaires une fois posées, venons au fait lui-même, et reconnaissons d'abord deux choses: 1° que les protestants se montrent généralement meilleurs que leur principe religieux, grâce au peu d'usage qu'ils en font; 2° que les catholiques valent généralement beaucoup moins que leur religion, faute d'en user ou d'en bien

user.

Reconnaissons encore que le principe protestant, si pernicieux qu'il soit par son résultat final, a néanmoins pour premier effet d'exalter l'individu en lui demandant de grandes choses. « Prends, lui dit-il, ce livre qui contient la pensée du Christ, et sois toi-même le pontife de ta religion; car l'affaire religieuse est chose que le Christ a voulu régler avec toi, sans l'intervention d'aucun homme! >>

Ce langage tenu, sinon aux masses, du moins à la jeunesse studieuse, à la classe instruite, ne doit-il pas donner à l'individu une haute idée de lui-même ? L'adolescent, l'adolescente, qui acceptent sérieusement la charge de trouver la religion du Christ perdue depuis des siècles (1), peuvent-ils ne pas nourrir un profond respect pour leur capacité et dignité personnelle? Si ces jeunes révélateurs se trouvent en présence de la jeunesse catholique, ne devront-ils pas maintenir entre elle et eux la distance convenable entre les créateurs de christianismes et les sectateurs esclaves d'un christianisme tout fait?

D. Vous voulez parler de l'air rogue, empesé, sec et chagrin, que l'on observe généralement dans les populations

(1)« Ce que Rousseau a dit de la science s'applique entièrement, moins un mot, à la religion: il voulait que l'enfant inventât la science; nous voulons que l'homme trouve sa religion. » M. le ministre Vinet, Essai sur la manifestation des idées religieuses, p. 390.

« PreviousContinue »