Page images
PDF
EPUB

protestantes, surtout dans la secte la plus raisonneuse, le calvinisme?

R. Oui; les protestants appellent cela dignité, les catholiques, morgue. Sans décider entre ces deux définitions, je constate le fait, et je crois l'avoir expliqué en disant : Les vrais protestants sont tous papes depuis l'âge de raison, et ils ont plus à faire que le pape romain, puisque la religion du Christ, que celui-ci n'a qu'à conserver, eux doivent l'inventer; ne soyons donc pas surpris de leur tenue grave et soucieuse.

D'un autre côté, la sécurité que donne au catholique l'enseignement par l'Église d'une religion toute trouvée et riche en moyens de sanctification, est sujette à dégénérer en insouciance, en laisser-aller. Dans l'ordre religieux, comme dans l'ordre matériel, l'abondance incline au repos, et une partie des catholiques ne ressemble pas mal aux habitants des pays où la nature se montre trop généreuse pour que l'homme soit laborieux. L'assurance que l'on a de trouver des ministres de Jésus-Christ toujours prêts à rompre le pain de la vie éternelle, fait que l'on s'empresse peu de le recevoir. Les bienfaits inépuisables de la charité, en accréditant le proverbe qu'on ne meurt pas de faim en pays catholique, contribuent aussi à fomenter la paresse.-Voilà qui est vrai.

Maintenant, si vous voulez connaître les derniers résultats des deux systèmes, voici ce que vous trouverez :

Le protestantisme, en demandant trop à l'individu, en lui commandant l'impossible (la découverte du vrai christianisme dans la Bible), n'obtient rien de l'immense majorité des esprits, sinon qu'ils restent en proie aux exploitations des visionnaires et des prophètes, jusqu'à ce qu'ils disent Il paraît que toutes les religions sont un abus. Et dès lors on se tourne exclusivement vers le culte des intérêts matériels. Le caractère dominant de ce culte, ce sera l'individualisme, la religion du moi, du foyer domestique, la reproduction du principe religieux : chacun chez soi,

chacun pour soi. Les grandes fortunes, acquises au prix de grandes misères, s'empareront du sol, le couvriront d'édifices privés, les uns d'une extrême somptuosité, les autres confortables; elles le sillonneront de routes parfaitement entrelenues, et ne négligeront rien pour bannir du voisinage des châteaux l'aspect dégoûtant de l'indigence. L'esprit d'association y créera sans fin des entreprises commerciales, industrielles, y élèvera des manufactures, des entrepôts, creusera des ports, des docks, etc.; mais on y cherchera inutilement des créations nationales, des monuments publics qui portent l'empreinte chrétienne de l'amour de Dieu et des hommes. Je l'ai déjà dit, en fait de créations grandioses consacrées à la religion, à la bienfaisance, à l'éducation publique, les nations protestantes n'ont que ce qu'elles tiennent de leurs ancêtres catholiques. Ce qu'elles ont entrepris en ce genre a échoué ou est marqué au coin de la parcimonie, comme l'a remarqué une célèbre plume anglicane (1).

La bienfaisance y est devenue l'affaire des lois, un impôt. L'indigent y reçoit le morceau de pain qu'exigent la sécurité publique et aussi le sentiment d'humanité qui reste au fond des mœurs chrétiennes; mais les tendres sollicitudes et les dévouements de la charité pour son amélioration morale y sont chose inconnue.

Tout autre est l'esprit des populations auxquelles l'Église

(1) « On dit que le chevalier Wren, l'architecte de Saint-Paul, après l'adoption du plan de cet édifice, qu'il n'approuvait pas lui-même, et qui ne fut adopté que parce qu'il entraînait moins de dépense, eut à combattre des difficultés infinies dans le cours du travail, et toujours par rapport aux frais.... Le dôme en est de bois, et par conséquent peu durable; celui de Saint-Pierre, à Rome, quoique deux fois plus grand, est de pierre... Saint-Pierre a coûté quatorze millions sterling; Saint-Paul n'en a pas coûté un... Si les marais Pontins s'étaient trouvés en Angleterre, jamais ils n'auraient été desséchés; l'idée seule d'une aussi vaste entreprise aurait effrayé notre parlement. Trois fois les Romains l'ont formée pendant le consulat de Céthégus, sous le règne de Jules César..... et ces tentatives, faites dans les plus beaux jours de ce puissant empire, ont toujours été infructueuses. Cette grande œuvre était réservée au feu pape Pie VI, qui, dans les dix-huit premières années de son glorieux pontificat, l'entreprit et l'exécuta. » Fitz-William, Lettres d'Atticus.

catholique rappelle incessamment les maximes et les exemples du Sauveur L'homme ne vit pas seulement de pain... Occupez-vous moins du pain qui pèrit que du pain qui demeure pour la vie éternelle... Cherchez avant tout le règne de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît... Que vous servirait-il d'avoir gagné l'univers entier, si vous veniez à perdre votre âme?... Malheur à vous, riches, qui cherchez votre consolation ici-bas!... Car il serait plus facile au câble d'entrer dans une aiguille qu'à vous de pénétrer dans le ciel... On ne peut servir deux maîtres: Dieu et Mammon... Soyez prêts, car le Fils de l'homme arrivera à l'heure où vous l'attendrez le moins, etc., etc. Si ces populations déploient moins d'activité dans l'exploitation des sources de la fortune, la raison en est que le travail est en partie tourné vers la culture de l'âme et l'acquisition des trésors non sujets à la rouille. L'éducation de l'homme intérieur, les soins qu'exigent l'entretien et l'accroissement de la vie spirituelle, font qu'on s'y occupe moins des formes extérieures, de ce qui flatte les sens et l'œil des hommes, afin de ne pas encourir cet anathème : Malheur à vous, hypocrites, qui veillez tant à la propreté extérieure du vase, et le laissez se remplir de rapines et d'immondices (1)!

Le sang de Jésus-Christ, coulant toujours sur les autels pour le salut du genre humain, y entretient l'esprit de sacrifice, d'abnégation personnelle, y inspire de sublimes dévouements. Du sein de ces masses, qu'on dit si apathiques, sortent incessamment des légions de héros, d'héroïnes, qui vont à cinq ou six mille lieues de leur patrie porter les lumières et les bienfaits de l'Évangile aux nations barbares, et recevoir en échange les palmes du martyre.

D. Les protestants opposeront à cela les travaux de leurs sociétés d'évangélisation et les grands sacrifices qu'ils font à cette fin.

(1) S. Matthieu, XXIII, 25.

R. Leurs sacrifices pécuniaires sont, en effet, très-grands, et si l'or pouvait conquérir l'univers au protestantisme, la chose serait probablement faite. Les quarante et un millions de recettes annuelles qu'accusaient déjà en 1841 les annales de la Société biblique, montrent le haut prix que les missionnaires mettent à leur dévouement; dévouement qui se borne à semer des Bibles en compagnie d'autres marchandises, là où ce commerce n'offre aucun danger. Le chiffre des Bibles et des Traités religieux ainsi répandus s'élève à des milliards, mais le nombre des convertis est ce qu'il doit être, nul. Il est évident que la Société d'évangélisation biblique n'a, pour la partie intelligente de ses membres, qu'un but : la guerre à mort au catholicisme. C'est ce qu'avouait encore naguère une des meilleures plumes protestantes.

Ne nous lassons point, disait M. Vinet, de répandre ce livre (la Bible); obligeons tout le monde à l'ouvrir et à le lire; que partout on le rencontre; qu'on ne puisse l'éviter; qu'il renaisse de ses cendres; qu'il se multiplie sous les coups des bulles qui l'interdisent; que la chrétienté en soit inondée; que mille et mille échos en répètent les paroles. Le catholicisme n'a pas encore été mis à cette épreuve; nous verrons comment il la supportera (1).

>>

Laissons les sacrifices d'argent que la haine inspire à l'hérésie, pour revenir aux sacrifices personnels que produit la charité catholique. - Celle-ci, peu contente de donner de son superflu, de prendre sur son nécessaire, se donne elle-même, s'immole, se fait toute à tous : petite avec les petits pour les relever, ignorante avec les ignorants pour les instruire, souffrante avec ceux qui souffrent pour les consoler, pauvre avec les pauvres, mendiante avec les mendiants, pour diminuer les deux sources de l'indigence et de la mendicité : la dureté des riches, l'abjection et l'immoralité des pauvres. Tel est l'esprit qui anime notre sacer

(1) Supplément au Narrateur religieux, no 129.

doce, nos instituts religieux d'hommes et de femmes, et qui de là débordent sur nos innombrables associations de bienfaisance, entre autres, ces Conférences de Saint-Vincent de Paul, qu'on peut appeler le tiers ordre de la charité catholique.

Quel est le résultat social de cette conjuration incessante et universelle contre l'égoïsme? C'est le rapprochement des diverses conditions, l'esprit mutuel de bienveillance, l'absence de ces inégalités excessives et révoltantes, en matière de rang et de fortune, que l'on observe dans les États protestants, notamment en Angleterre (1). La classe aisée, beaucoup moins tourmentée du besoin de spéculer et de s'enrichir encore, facilite aux classes inférieures les approches de la richesse, et n'attend pas les injonctions du magistrat pour aller au secours des indigents. Le propriétaire opulent, qui habite un château, souffre volontiers des chaumières dans son voisinage, et il ne réduira pas, comme on fait ailleurs, les fermiers et les petits propriétaires à la dure nécessité d'émigrer ou de mourir de faim, en leur disant : « Vous ne faites que végéter et entretenir la misère dans le pays; allez faire fortune ailleurs; voilà vos frais de voyage : j'ai besoin de vos terres pour agrandir mon parc et augmenter mes troupeaux. »

Il y a de la place pour tous au soleil catholique: si les montagnes d'or y sont moins fréquentes, moins élevées, les abîmes du paupérisme y sont aussi moins profonds, moins désespérants. De cette répartition plus large, plus équitable, de la richesse, il résulte, il est vrai, une sorte de médiocrité générale qui trompe les observateurs superficiels et accrédite cette erreur, que le protestantisme a favorisé chez ses sectateurs le développement du bien-être général. - Le bon sens dit que les nations les plus riches sont celles qui ont le moins d'indigents.

(1) « Il n'y a pas de contrée au monde où les diverses régions de la société soient séparées par de plus grandes distances.» Études sur l'Angl., t. 1, p. 50.

« PreviousContinue »