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Que Dieu livre les biens de ce monde à ceux qui n'en veulent pas d'autres et qui lui disent : Retire-toi de nous, nous ne voulons pas de la connaissance de tes voies. Qu'estce que le Tout-Puissant pour que nous le servions, et que gagnerions-nous à le prier (1)? Que les impies voient les richesses fructifier dans leurs mains, et qu'ils en jouissent dans le calme profond qu'admiraient Job et David (2); que rien ne trouble le cours de leur prospérité, et que la mort elle-même leur épargne les douleurs de l'agonie par la promptitude de ses coups (3); il ne faut pas en être surpris. En refusant d'entrer dans les voies surnaturelles par lesquelles Dieu sauve les âmes, ces hommes tombent sous le gouvernement de l'ordre naturel. Comme les animaux auxquels ils se rendent semblables, ils reçoivent une abondante pâture jusqu'au jour de la boucherie. D'ailleurs, la justice divine, qui ne laisse aucun bien sans rémunération, découvre en eux des vertus naturelles qui, n'étant d'aucun poids dans les balances de l'éternité, réclament une récompense ici-bas; elle donne donc la terre aux enfants de la terre. C'est ainsi, nous dit saint Augustin, que la vertu des premiers Romains leur mérita l'empire du monde (4).

Tout autre est la conduite de Dieu envers les hommes qui entrent dans la voie de ses commandements, mais que leur faiblesse expose à y sommeiller, à revenir en arrière, à se laisser fasciner par les idoles du monde. Il les reprend, il les gourmande par la voix de ses ministres, par le cri de leur conscience. Quand la réprimande ne suffit pas, il emploie le châtiment; il les frappe dans les objets de leurs affections, dans leurs biens, dans leurs enfants, dans leur chair, dans leur esprit. Je visiterai leurs iniquités avec la verge, et frapperai sur leurs péchés ; mais je ne détournerai

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(3) Et in puncto ad inferna descendunt. Job, XXI, 13. (4) De Civitate Dei, lib. V, cap. 12 et 13.

point d'eux ma miséricorde (1). Ceux que j'aime, je les reprends et je les châtie (2). Parmi ceux qui recevront la couronne de gloire, combien devront dire comme David : C'est en redoublant ses corrections que le Seigneur m'a préservé de la mort (3)!

Ce que Dieu fait pour les individus, il le fait aussi pour les nations. Quand les chefs à qui il en a confié la garde se sont livrés au sommeil, et que l'ennemi y a semé l'ivraie de l'erreur et du vice, il les place dans le van de sa justice, déchaîne le souffle des tempêtes, et le feu des révolutions ne s'y éteint pas qu'il n'ait dévoré leurs souillures.

En voilà assez sur la grande objection que l'on ressasse depuis l'origine du monde. Vous devez comprendre que la meilleure réponse est celle qu'y faisait David, quand, après avoir décrit la prospérité matérielle des peuples étrangers à l'alliance, dans les termes que je vous ai cités (ch. III), il conclut ainsi : Heureux, ont-ils dit, le peuple qui jouit de ces biens! Disons plutôt. Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu!

CHAPITRE VIII.

De deux moyens économiques d'en finir avec toutes les objections contre la religion catholique.

D. Quels sont ces moyens ?

R. L'un consiste à repousser toutes les objections par le moyen de droit qu'on appelle fin de non-recevoir. L'autre consiste à laisser aux objections la charge de se résoudre. Parlons d'abord du premier, le seul qui soit en notre puis

sance.

Pour opposer avec succès la fin de non-recevoir à toutes

(1) Ps. LXXXVIII, 33, 34.

(2) Apocalypse, Ill, 19. (3) Ps. CXVII, 18.

les objections, il faut porter la discussion au tribunal de la grande justicière des bavardages humains, la mort!

En effet, à quoi aboutissent toutes les objections contre la religion catholique? A nous dire que cette religion est mal faite et qu'il faut la refaire.

Et comment s'y prend-on pour nous persuader cela? De deux manières : Tantôt on fait appel à notre raison contre les prétendues contradictions du dogme catholique, et la conclusion est : « Vous ne pouvez croire cela sans être un grand sot. » Tantôt on fait appel à notre cœur contre les devoirs du catholique, et la conclusion est : « Vous ne pouvez croire et pratiquer sans vous rendre malheu

reux. »

Eh bien! on abrége la discussion avec ces puissants raisonneurs en leur disant : « Tous vos raisonnements, Messieurs, ne nous empêcheront pas de mourir. Or, tant que nous resterons sous le coup de la mort, l'idée de se donner une religion meilleure sera pour le catholique le maximum de l'extravagance.

« Se donner une religion! savez-vous bien ce que vous dites? Outre que, dans toutes les langues, religion veut dire loi divine, loi donnée par Dieu mème, qu'est-ce qu'une religion qui ne sert pas à régler l'emploi de la vie et à nous rassurer contre les formidables mystères que couvre le tombeau? C'est un non-sens, un mot au service des tartufes. La religion est une loi essentiellement pratique, qui doit diriger nos pas depuis le lever de la raison, au sortir du berceau, jusqu'à son coucher; il faut donc qu'elle nous arrive du dehors, comme la lumière qui éclaire notre œil, comme la nourriture qui sustente nos organes. Le conseil de l'inventer est aussi sage que celui d'inventer la lumière et les aliments. Dans l'hypothèse absurde que je dusse l'inventer, j'aurais besoin de deux choses: du temps nécessaire pour une si belle découverte, et du temps nécessaire pour la mettre à profit, afin de devenir ce que Dieu et la conscience humaine veulent que je sois, un homme religieux. Si

vous ne pouvez me garantir ces deux choses, la tàche que vous m'imposez est plus que stupide.

« Vous dites que je suis un grand sot de croire ce que je ne conçois pas parfaitement, et ce qui, selon vous, heurte la raison. Eh bien! si vous êtes capables de couler bas tous les mystères de la raison et d'ôter la cataracte à l'esprit humain, faites! D'ici là, je croirai les mystères du catéchisme avec le monde catholique, et si la machine ronde porte une infinité de grands sots, ce qui est indubitable, j'aurai cent bonnes raisons de penser que ni moi ni mes frères dans la foi n'avons l'honneur d'en être.

« Vous me dites encore que, en pratiquant la religion, je me prive d'une foule de satisfactions, et que je me rends malheureux. D'abord, je voudrais savoir quelles sont les satisfactions qui peuvent tenir lieu du contentement de l'àme, qu'on ne goûte que dans la soumission à l'Église de JésusChrist. Je voudrais savoir s'il y a jamais eu au monde un catholique qui ait perdu cette paix intérieure en croyant et en pratiquant, ou qui l'ait trouvée en désertant aux incrédules. Et puis, parce que j'ouvre ma conscience au prêtre, parce que je jeûne, selon mes forces, Quatre-Temps, Vigile et Carême, que je m'abstiens de viande à certains jours, que je veille sur mes regards en présence de la fille et de la femme de mes voisins, vous dites que je me rends malheureux. Supposé que ces pratiques ne donnassent pas plus de satisfaction à l'âme qu'elles n'en retranchent au corps, vous iriez encore trop vite. La confession, le jeûne, les abstinences quelconques finiront à la mort, c'est-à-dire peutètre dans une heure, au plus tard dans quelques années. Mais j'ai la conviction que mon existence ne finira pas, que la mort sera le commencement d'une vie immortelle. Pour juger si je suis un être malheureux, il faudrait mesurer la totalité de mon existence, et vous n'en voyez qu'un rien.

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et

Vous me demanderez quelle garantie j'ai de la vie éternelle? Ma garantie, outre la croyance du genre humain,

c'est la parole de Jésus-Christ m'enseignant toujours par l'Église universelle; garantie telle que, avec le secours d'en haut, je me sentirais le courage de professer cette foi en face des supplices, comme ont fait tant de millions de chrétiens. Mais vous, quelle garantie pouvez-vous me donner que les deux éternités, l'une de gloire et de délices, l'autre d'ignominie et de feu, que nous annonce Jésus-Christ, sont un rêve ? Votre parole? Votre raison? Elles ne suffisent pas à me rassurer contre la parole, contre la raison de Jésus-Christ et de l'univers chrétien. Vos œuvres? Ah! quand je les compare aux œuvres de Jésus-Christ et des siens, j'y trouve une belle preuve des deux éternités !

« Vous parlez du sommeil du néant? C'est là un avenir si désolant, si hideux, que la conscience de tous les peuples l'a repoussé comme le rève du crime, et que j'ai peine à l'accepter pour les animaux qui me sont chers. Puisque le néant est ce que vous pouvez promettre de mieux aux catholiques que vous dépouillez du trésor consolant de leur foi, croyez, Messieurs, que vous faites là l'œuvre d'un esprit mauvais, d'un cœur pervers, et que si votre âme, au lieu de rentrer dans le néant, est portée un jour au tribunal du Dieu crucifié, vous vous préparez un terrible salaire !

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Que pensez-vous de cette méthode, que j'appelle économique, parce qu'elle dispense d'entrer dans le dédale des objections, dédale qui commence au paradis terrestre, où la mort entra à cheval sur l'objection, et qui ne finira qu'au lieu et au moment suprême où la vérité et la vie, apparaissant dans leur plénitude, ruineront l'œuvre de l'erreur et de la mort?

D. Cette méthode est certainement très-propre à confondre les charlatans qui nous prêchent la refonte de la religion; mais les sectateurs des cultes hétérodoxes ne pourraient-ils pas s'en prévaloir pour se dispenser de toute recherche dans l'affaire religieuse, et dire : La vie est trop courte, sa fin trop incertaine, pour que je cherche une autre religion que celle de mes pères?

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