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est consommé, engendre la mort (1). Mais Dieu, dont la patience s'appuie sur l'éternité, ne laisse jamais le mal, et sa suivante, la mort, dépasser ici-bas la limite nécessaire à la production, ou plutôt au dégagement du bien et de la vie. Il y a donc tout lieu d'espérer que, si, la menace restant insuffisante, l'orage des objections, condensé depuis trois siècles, crève sur l'Europe, ce ne sera que pour en purifier l'atmosphère et abattre les pics orgueilleux qui y entretiennent les glaces de l'indifférence religieuse.

Ce sujet est trop intéressant, et il offre une conclusion trop naturelle de la Philosophie du catéchisme catholique, pour que nous ne lui consacrions pas nos dernières pages.

CHAPITRE IX.

Que l'Europe ne peut être ramenée au catéchisme catholique que par le fléau des objections.

D. N'y a-t-il pas quelque témérité à fixer ainsi la route par laquelle il plaira à Dieu de ramener l'Europe?

R. La chose pouvait paraître téméraire il y a dix ans, quand, au sein de la sécurité générale, l'annonce de l'explosion imminente du socialisme et de sa mission providentielle fit sourire de pitié les voyants de l'époque (2). Aujourd'hui que l'Europe a tremblé sous les premières rafales de l'ouragan, et que des millions de voix répètent : C'est à la miséricorde du Seigneur que nous devons de n'avoir pas été consumés (3), il ne me reste qu'à fixer votre attention sur la merveilleuse sagesse qui brille dans le choix du fléau. Le premier caractère de ce fléau est d'être exclusivement l'œuvre de la sagesse humaine. Dieu n'est pour rien dans

(1) S. Jacques, Ép. cath., 1, 15.

(2) V. la Solution de grands problèmes, t. III, ch. 33-45. (3) Jérémie, Lament., III, 22.

la production et les progrès du socialisme. S'il intervient, c'est seulement pour en modérer la marche et nous donner le temps de la réflexion. A l'universalité et à la puissance du mépris et du blasphème contre les enseignements de son Christ et de son Église, aux débordements de l'immoralité, à la réhabilitation, disons mieux, à l'adoration solennelle de la chair, il n'a opposé ni la puissance des eaux qui sont aux cieux et dans les abîmes, comme aux jours de Noé, ni la puissance du feu céleste unie aux éléments terrestres de combustion, comme dans le châtiment de la Pentapole. Contre une civilisation corrompue et employant à la destruction du catholicisme les forces intellectuelles et autres qu'elle en avait reçues, il n'a point fait appel, comme autrefois, à cent peuples barbares sortis des contrées glaciales du Nord ou des plages brûlantes du Midi. Il a dit : « Laissons le blasphème retomber sur les blasphémateurs, le flot de la corruption atteindre les corrupteurs qui en ont ouvert, élargi les écluses, les feux de l'orgueil et de la cupidité investir ceux qui les ont attisés. Enfin, que cette Europe lettrée, qui convoque les jeunes générations aux funérailles de mon Église, fasse l'essai de ses lumières, et que la seconde moitié du dix-neuvième siècle soit une des grandes époques de l'humanité. »

Dans le plan qui se déroule sous nos yeux, ne voit-on pas l'accomplissement des paroles du Prophète : J'ai nourri et élevé des fils, et ils m'ont méprisé..., paroles que je vous invite à lire avec les suivantes dans le premier chapitre d'Isaïe? Mais, dans le choix des moyens d'exécution, on aperçoit la différence que Dieu fait entre un peuple enfant élevé sous la discipline du Sinaï et par le ministère d'Aaron et des prophètes, et les peuples grandis au soleil de l'Évangile, sous le gouvernement personnel du Dieu-Homme et de l'Esprit qui enseigne, depuis dix-huit cents ans, la vérité dans sa plénitude. Au premier, Dieu fait donner les verges par les mains de ses envoyés visibles ou invisibles, naturels ou surnaturels; quant aux autres, il veut qu'ils se

les administrent eux-mêmes. Dans ce progrès, qui honore la sagesse de l'éducateur suprême, ne voyez-vous pas aussi un hommage au caractère chrétien des nations coupables?

D. Oui; et en nous chargeant de cette opération humiliante, Dieu mérite que nous lui disions: Vous nous traitez avec un grand respect (1)! Mais peut-être ne gagnerons-nous rien à tenir nous-mêmes les verges?

R. Je vous ai déjà dit que nous ne les tiendrions que pour notre perte, si nos mains n'étaient surveillées et dirigées par celui qui ne veut pas la mort du pécheur, mais sa conversion et sa vie.

Le deuxième caractère du fléau est de menacer avant tout les conditions sociales qui l'ont appelé, fomenté, déchaîné. Où la grande objection du seizième siècle, qui portait dans le ventre toutes les autres, a-t-elle établi ses foyers de propagande et de guerre à mort contre la vérité et la charité catholique ? Dans les hautes régions habitées par le pouvoir, par la science et les richesses. Il n'y a qu'une voix dans l'histoire pour dire que le triomphe du protestantisme dans les masses fut l'œuvre violente de l'aristocratie titrée et lettrée. L'infiltration de l'esprit protestant dans les États catholiques a eu la même origine. Les ravages de l'incrédulité ne sont effrayants par l'étendue et la profondeur que dans les classes supérieures. S'ils ont pénétré dans les classes populaires, ce n'est que dans la mesure nécessaire au recrutement des armées du socialisme. Partout, même en pays protestants, les grandes masses restent chrétiennes. En somme, la plaie de l'antichristianisme, à ses divers degrés, est un mal beaucoup plus bourgeois et aristocratique que populaire. Or, quelle est la devise bien connue du fléau? Mort à toute aristocratie, ecclésiastique, politique, lettrée, propriétaire! — S'il lui était donné de déployer dans un pays, seulement durant trois mois, la rage qui l'anime contre toute supériorité intellectuelle, morale, matérielle, et d'y suivre

(1) Sagesse, XII, 18.

la loi des révolutions, qui fait passer le pouvoir aux plus violents, que deviendrait ce pays? Un désert parcouru par quelques hordes de sauvages sous le commandement de l'aristocratie des bagnes.

Le fléau nous menace donc tous, parce que nous sommes tous criminels; mais, différent des fléaux naturels, la peste, la famine, etc., il s'adresse de prime abord à la classe la plus coupable, et aussi la plus capable de remédier au mal, si elle ne s'aveugle pas. Je vois encore là une profonde sagesse. Ce missionnaire de la barbarie ultrasauvage, sorti tout armé du sein des conditions les plus civilisées, ne voyez-vous pas le grand avantage qu'il a sur tous les missionnaires naturels ou surnaturels que le ciel aurait pu nous envoyer?

D. C'est sans doute l'avantage de fixer l'attention de ceux qui ont trop l'habitude d'opposer la cuirasse de l'indifférence aux traits de la parole évangélique, et les explications de la demi-science aux sommations des fléaux naturels.

R. Oui; c'est une sommation à l'aristocratie en personne, sommation qu'elle a elle-même dictée, signée, affichée aux longs jours de son ivresse; sommation infiniment sérieuse, puisqu'il y va de la vie.

Il résulte de là un troisième caractère du fléau : c'est d'être le moyen le plus court, le plus efficace, de ramener la bourgeoisie à l'étude du catéchisme, et, par elle, les masses.

Quand on contemple l'étendue et la puissance des erreurs et des préventions qui se sont entassées dans les régions de l'Europe politique et littéraire, depuis l'éruption du volcan de la réforme, et le profond dédain qui s'y manifeste pour toute religion révélée et positive; quand on voit que l'histoire et la littérature de l'Europe moderne ne sont, à quelques exceptions près, qu'une vaste conjuration contre la vérité catholique, on est obligé de se dire: Dix mille Bossuets tonnant dans la chaire, et ne quittant la chaire que pour saisir la plume, feraient sans doute quelques trouées à ces effroyables ténèbres; mais un siècle ne leur suffirait

pas pour y faire pénétrer le grand jour. On les couvrirait d'éloges, leur nom serait dans toutes les bouches, leurs livres dans toutes les bibliothèques; mais du petit nombre de ceux qui écouteraient ou liraient leur parole, les trois quarts regretteraient de voir tant de génie se vouer à la défense d'une cause perdue.

Il n'y a pas la moindre exagération dans ce portrait de l'Europe littéraire pour ceux qui l'ont un peu étudiée.

Or, nous pouvons déjà admirer le résultat de l'éloquence et du génie des Bossuets du socialisme (qu'on me pardonne l'expression). C'est à la puissance de leurs sommations que nous sommes redevables du réveil religieux de la France et de la chute des liens séculaires qui entravaient l'action du sacerdoce catholique en Allemagne. Les scènes de révolte, de pillage et de meurtre par lesquelles le fléau s'est annoncé au delà du Rhin, ont fait rappeler de l'exil en grande hâte les missionnaires jésuites, rédemptoriens, etc. Et parce que les populations soulevées par le souffle du socialisme se sont apaisées à leur voix et sont redevenues des agneaux, nous voyons en ce moment le fanatisme piétiste et la bureaucratie protestante se remettre de leurs frayeurs et machiner de nouveau l'expulsion des missionnaires catholiques. S'ils réussissent, le Christ dira de nouveau à la tempête : Souffle de plus fort, et brise ce que tu n'avais qu'ébranlé!

Le fléau du socialisme est donc l'ange exterminateur des préjugés, des passions, des intérêts infinis qui s'opposent au triomphe du catholicisme dans les classes influentes. C'est lui qui les amènera à brûler de leurs mains ce qu'elles ont adoré, à adorer ce qu'elles ont conspué et brûlé. Nous lui devrons la première condition du salut spirituel et temporel de l'Europe, la conversion de la bourgeoisie.

D. Il y en a qui pensent qu'il serait plus facile de la conduire au tombeau que de la ramener à l'Église, et que la mission du socialisme serait de préparer l'avénement de la démocratie chrétienne sur les ruines d'une bourgeoisie irréligieuse et indifférente.

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