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j'espère vous faire voir que les obstacles qui nous séparent du but ne sont pas tels qu'ils vous paraissent.

CHAPITRE X.

Qu'il y a dans toute l'Europe un besoin trop pressant de l'unité catholique, pour que la résistance soit durable.

.

D. Sur quoi fondez-vous l'existence de ce besoin?

R. Sur trois faits : nos progrès matériels, la marche des esprits supérieurs, l'instinct universel du vrai peuple.

1. Nos progrès matériels. Ces progrès dans nos moyens de communication sont tels que, avant dix ans, l'Europe sera une grande ville dont on pourra parcourir les quartiers les plus éloignés en quelques jours. Du coin de leur feu, les habitants de Saint-Pétersbourg et de Moscou lieront conversation avec les habitants de Madrid et de Lisbonne. Le Norwégien jouera la partie d'échecs avec les bourgeois de Naples et de Messine. Les abîmes des divers océans ne feront pas obstacle à la circulation électrique de notre parole, et les expéditions si hardies de nos navigateurs autour du globe deviendront des promenades vulgaires. Le cap de Bonne-Espérance, Pondichéry, Calcutta, Pékin, Nangasaki, Botany-Bay, etc., seront des faubourgs de la grande métropole de l'univers : l'Europe.

Or, quel pensez-vous que doive être (d'abord en Europe) le résultat de ce prodigieux abouchement des âmes, séparées jusqu'ici par d'énormes distances et soumises exclusivement à l'influence des préjugés nationaux?

D. Le résultat de ce frottement me paraît devoir être un redoublement d'ardeur pour les jouissances et les affaires matérielles. Si les inimitiés religieuses et nationales viennent à s'éteindre, ce sera dans les bras de l'indiffé

rence.

R. Tel serait bien le résultat naturel de la grande fu

sion, si Dieu n'y avait pourvu, ou mieux, si nous n'y avions pourvu nous-mêmes par la création du fléau qui donne le frisson à l'indifférence religieuse et menace de livrer aux flammes l'oreiller sur lequel elle repose : les intérêts matériels.

Ne voyez-vous pas que le fléau marche aussi vite que l'œuvre de fusion, que le fil électrique transmet les ordres du socialisme, que les chemins de fer et la vapeur transportent ses séides, aussi rapidement que les ordres et les soldats de ceux qui le combattent? Ne voyez-vous pas encore que le redoublement d'ardeur pour les jouissances, les affaires, ne peut que redoubler la soif de destruction dans les passions cupides et haineuses qu'il enrégimente, et multiplier les souffrances des classes inférieures qu'il exploite? Au progrès du fléau il faudra bien opposer l'unique remède le progrès de l'esprit religieux, de l'esprit de foi, d'espérance, de charité.

Or, quand l'Europe sentira le besoin de s'imprégner de cet esprit pour conjurer ou arrêter la conflagration socialiste, où croyez-vous qu'elle aille le demander? Sera-ce au patriarche œcuménique de Constantinople, au saint synode de l'empereur Nicolas, aux évêques anglicans convoqués par ordre de leur gracieuse gouvernante au spirituel comme au temporel, Sa Majesté la reine Victoria? Sera-ce aux dix mille synodes ou consistoires évangéliques du nord de l'Allemagne, de la Suisse, de la Hollande, etc., qui ne s'assemblent que pour dire . Parlons de la guerre au papisme, des livres de liturgie, de chant, de musique, des moyens d'amuser le peuple; mais qu'il ne soit plus question de dogmes, de professions de foi?

D. Faire du protestantisme contre le socialisme, ce serait jeter de l'huile au feu et lui opposer de la paille. Les citernes du schisme et de l'hérésie étant à sec, il faudra bien recourir au grand réservoir des eaux vives du catholicisme.

R. Et comme ce réservoir étend ses eaux salutaires, par

mille canaux, dans les terres du schisme et de l'hérésie, il se trouvera à la portée de tous ceux qui voudront lutter contre l'embrasement. Au mal universel de l'irréligion arrivée à son comble, le bon sens lui-même criera qu'on ne peut remédier que par la religion universelle.

Sans doute, le fanatisme de secte combattra de toutes ses forces le mouvement de retour et restera fidèle à sa devise: Plutôt périr que d'être sauvé par le papisme! Mais le rapprochement des esprits lui aura enlevé ses principales armes : la calomnie, le mensonge, l'ignorance. Comment retient-il les populations dans les étables de l'erreur? - En les nourrissant des plus absurdes préjugés contre le catholicisme. La puissance de ces préjugés est en raison directe des distances qui séparent les masses protestantes des masses catholiques. Ainsi, dans le nord de l'Allemagne, le Danemark, la Suède, où une législation de fer a préservé jusqu'ici le troupeau des enfants du libre examen de tout contact avec les brebis empestées du papisme, il est reçu généralement que le catholique est un être privé de raison, et, en parlant d'un homme tombé dans la folie ou l'imbécillité, on dit qu'il est devenu catholique.

Eh bien, quand les consistoires luthériens du Danemark et de la Suède ne pourront plus défendre, contre le mouvement général, les barrières de l'intolérance élevées par le sabre des Frédéric Ier, des Christian III, des Gustave Wasa; quand les populations, d'ailleurs si intelligentes, qu'ils abusent aussi indignement, verront de près les populations papistes, une révolution dans les idées sera inévitable, et le règne spirituel des consistoires prendra fin.

De même, quand les bonnes âmes de l'Église anglicane, que leurs ministres faisaient encore frémir, en novembre 1850, par le récit des horreurs qui allaient fondre sur l'Angleterre, si l'on ne s'opposait pas à la bulle de Pie IX réorganisant l'épiscopat catholique anglais; quand, dis-je, ces bonnes âmes auront vu à l'œuvre les cardinaux, évêques, prêtres, religieux, qu'on leur dépeint comme des bourreaux

altérés de carnage et dont le plus doux passe-temps est de faire écorcher vifs et rôtir les hérétiques, ne reviendront-elles pas de leurs frayeurs? Et alors John Bull, déjà coupable de grandes irrévérences envers l'Église établie par la loi, ne pourrait-il pas agiter cette question : « Pourquoi l'Angleterre continuerait-elle à payer l'énorme revenu annuel de deux cent trente-six millions de francs à sept mille grands et petits bénéficiers qui s'amusent à farcir la tête de leurs ouailles des fables les plus stupides, les plus odieuses? »

Enfin, la vue des plaies morales et matérielles des nations protestantes, le spectacle hideux de leur paupérisme, ne seront-ils pas une grande leçon pour les catholiques qui croient encore au vieux conte de la moralité et du bienêtre des populations réformées?

Il me paraît donc certain que, dans le travail providentiel de fusion auquel est soumise l'Europe, l'or catholique resplendira, attirera les parcelles précieuses qui restent engagées dans les scories du protestantisme, et que le Vulcain socialiste est chargé d'opérer ce dégagement et de combattre la bise glaciale de l'indifférence par la violence de ses feux.

D. Vous penseriez donc, avec les Maistre, les Chateaubriand, etc., que, si nous sommes broyés, c'est pour être mêlés, que nous marchons à grands pas vers une grande unité, que tout tend à recomposer l'unité catholique (1)?

Le protestant

R. A l'époque où ces illustres penseurs annonçaient le mouvement vers le catholicisme, il y avait quelque mérite à le prévoir. Aujourd'hui, il y aurait aveuglement à le nier. Passons au deuxième fait : II. La marche des esprits supérieurs. Ranke terminait ainsi, il y a quelques années, son Histoire de la papauté pendant les XVIe et XVIIe siècles : « La polémique violente des temps antérieurs a déserté, sinon les écoles, du moins les relations habituelles de la vie. Toutes Études historiques,

(1) V. Soirées de Saint-Pétersbourg, entret. x1o. ~ tom: 1V.

les inimitiés sont appelées à se réconcilier dans une unité supérieure! »

Les retours au catholicisme, devenus plus fréquents dans les sommités scientifiques et littéraires de l'Allemagne, depuis la conversion du célèbre comte de Stolberg (en 1800), prennent actuellement une proportion alarmante pour le protestantisme germanique, commencent à éclaircir les rangs du clergé luthérien, et concourent, avec les progrès de l'athéisme rationaliste, à populariser cet axiome : « En religion, ou le catholicisme, ou le nihilisme! »

Mais c'est dans la Rome protestante, transférée depuis longtemps de Genève à Londres, c'est dans l'élite du clergé anglican, que l'invasion du catholicisme a quelque chose de miraculeux. Vous avez sans doute entendu les cris de douleur, d'effroi et de fureur qu'arrache, aux partisans de l'Église établie par le statut d'Élisabeth, la désertion au catholicisme de leurs plus illustres docteurs et ministres.

D. Oui, et je pense que les conquêtes réelles ou présumées de l'anglicanisme en Italie seront loin de compenser ses pertes.

R. Il est certain, au contraire, que les conquêtes dont il se vante lui nuiront beaucoup plus et serviront autant la cause catholique que les défections dont il s'alarme. Voyez donc à la nombreuse et brillante constellation de ses docteurs entrés dans le firmament catholique, qu'oppose l'anglicanisme? - Le moine Achilli (peut-être aussi le moine Gavazzi). Et pour que l'univers soit instruit des mérites du moine Achilli et des motifs de sa conversion au protestantisme, le fanatisme anglican suscite un procès fameux; et il en résulte la démonstration irrécusable que le moine Achilli est un infàme corrupteur signalé et flétri comme tel par tous les tribunaux et toutes les polices des contrées de la Péninsule qu'il a souillées de sa présence!

Que l'anglicanisme continue à passer ainsi son écumoire sur le clergé séculier et régulier de l'Italie, qu'il nous prenne de nouveaux Achilli et Gavazzi, et nous donne en

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