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retour des Spencer, des Newman, des Manyng; c'est un libre échange dont les catholiques n'auront qu'à se réjouir, tant il contribuera à l'expurgation de l'Église en Italie et à son triomphe dans la Grande-Bretagne ! Encore plus que les conquêtes du passé, les conquêtes à venir du protestantisme confirmeront cette parole d'un célèbre anglican : « Le passage de l'Église (catholique) à une secte est trop souvent par le chemin des vices, et celui d'une secte à l'Église est toujours par le chemin des vertus (1). »

Oui, les esprits supérieurs sont en marche vers l'unité catholique. L'exemple des grands déterminera le mouvement des masses et mettra dans un plus grand jour mon troisième fait : L'instinct universel du vrai peuple.

D. D'abord, qu'entendez-vous par le vrai peuple? R. J'entends les populations paisibles et chrétiennes à divers degrés qui forment encore la grande majorité dans les États catholiques, et même dans une partie des États séparés, grâce au système d'éducation catholique qu'on y a conservé. (V. liv. I, quatrième fait, ch. 3; liv. IV, ch. 3.) J'entends aussi une bonne partie des masses révolutionnaires, que le socialisme n'a égarées qu'en se couvrant du masque de l'Évangile. Le vrai peuple, c'est donc l'Europe vivant toujours du fonds de croyances religieuses et sociales qu'y a naturalisées le catholicisme.

L'esprit antichrétien que ressuscita dans l'Occident l'hellénisme, soit l'école classique, plus d'un siècle avant Luther (2), et qui prépara le succès des destructions religieuses

(1) Lord Fitz-William, Lettres d'Atticus, III.

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(2) << C'est dans le cours du quatorzième siècle, vous le savez tous, que l'antiquité grecque et romaine a été, pour ainsi dire, restaurée en Europe... L'école classique de cette époque s'enflamma d'admiration, non-seulement pour les écrits des anciens, pour Virgile et pour Homère, mais pour la société ancienne tout entière, pour ses institutions, ses opinions, sa philosophie, comme pour sa littérature. L'antiquité était, il faut en convenir, sous les rapports politique, philosophique, littéraire, très-supérieure à l'Europe des quatorzième et quinzième siècles. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait exercé un si grand empire; que la plupart des esprits élevés, actifs, élégants, difficiles, aient pris en dégoût les mœurs grossières, les idées confuses, les

qu'on a décorées du nom de réforme, a certainement exercé de grands ravages; mais, ainsi que je l'ai déjà observé, le mal n'a été profond que dans les classes lettrées, qui ne sont pas le centième de la population générale. Et encore, dans cette minorité, la vérité chrétienne a constamment rallié à son drapeau, même en pays réformés, les plus nobles intelligences. C'est seulement depuis un siècle que l'antichristianisme a osé se produire ouvertement dans l'école des encyclopédistes au Midi, et dans celle de Kant et de Goëthe au Nord. Du sein des universités protestantes de l'Allemagne, où il a fait de l'histoire de l'Évangile une fable, de l'existence même du Dieu créateur un conte ridicule, il a plus ou moins infiltré ses poisons dans les diverses universités de l'Europe. La franc-maçonnerie et l'illuminisme de Weishaupt lui ont recruté dans les rangs de la noblesse et de la bourgeoisie une multitude d'adeptes dévoués qui l'ont puissamment servi, qui le servent encore, dans les conseils et les hautes administrations de la plupart des gou.

vernements.

Enfin, favorisé dans les derniers temps par une politique aveugle, l'antichristianisme a pu centraliser ses forces, réunir en faisceau, sous le nom de Jeune Europe, toutes les sociétés secrètes, faire appel à l'universalité des vices et des mauvais instincts, recruter des armées d'égorgeurs et d'incendiaires très-capables d'un coup de main sur l'Europe et d'en faire un monceau de ruines. Mais, avec tout cela, le parti antichrétien est, comme toutes les bandes de brigands, une puissance artificielle, sans appui dans l'àme des peuples. Il n'a pour lui ni un canton, ni un village entier, ni même une famille. La rage de destruction qu'il souffle au cœur de ses soldats dans les antres où il les attire,

formes barbares de leur temps, et se soient voués avec passion à l'étude et presque au culte d'une société à la fois bien plus régulière et plus développée. Ainsi se formait cette école de libres penseurs qui apparaît dès le commencement du quinzième siècle. » M. Guizot, Cours d'hist. moderne, leçon xi.

s'éteint en partie dès qu'ils rentrent au foyer domestique. De là son cri: A bas la famille !

En somme, l'Europe est encore chrétienne par le fond de ses entrailles, par l'esprit général de ses populations. En déployant son infernal programme et ses armées d'égorgeurs, le socialisme a partout réveillé la foi endormie dans les âmes. Surprise, épouvantée par le hurlement des meutes féroces qui déjà s'en partageaient les sanglantes dépouilles, la société, indifférente en apparence, a fait comme l'incrédule aux prises avec la mort; elle s'est tournée vers le Dieu de sa jeunesse, et a invoqué le Christ contre les bandes de l'enfer. Or, dans ce réveil de la foi, ne voyez-vous pas la différence qu'il y a entre les populations catholiques et les populations protestantes?

D. Les catholiques savent à quoi s'en tenir sur la loi du Dieu de leur jeunesse; mais la religion du Dieu protestant, du Christ de la Bible, où est-elle ?

R. Oui, tant que l'Europe sommeillait au sein d'une paix trompeuse, le petit peuple, égaré depuis des siècles par les charlatans du schisme et de l'hérésie, sentait peu le besoin d'une religion sérieuse, positive, vivante. Content des fantômes d'églises nationales que les classes supé→ rieures entouraient encore de quelque respect, il ne se lassait pas de croire aux vieux catéchismes que lui prêchaient toujours des ministres dont l'incrédulité était connue de tous, excepté de leur troupeau. Mais aujourd'hui que, sous les feux croisés du catholicisme et du socialisme, ces fantômes religieux s'évanouissent, et que les esprits de quelque portée se partagent entre les deux camps, il faudra bien que les multitudes nous arrivent.

De deux choses l'une ou le mouvement des masses vers la grande Église sera secondé par leurs chefs politiques, ou ceux-ci s'efforceront de l'entraver et de sauver leurs papautés absurdes par des replâtrages religieux. Dans le premier cas, le fléau, devenu inutile, disparaîtrait au chant de l'hymne ambroisienne, portant à l'univers la Bonne Nou

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velle : L'Europe n'a plus qu'une religion! Dans l'autre hypothèse, le fléau remplirait sa mission en abattant, ainsi que je le disais plus haut, les pics orgueilleux qui entretiennent les glaces de l'indifférence religieuse. Ces pics, que déjà vous apercevez, signalons-les encore mieux dans le dernier chapitre.

CONCLUSION

DU LIVRE IV ET DE TOUT L'OUVRAGE.

Délivré successivement de deux barbaries et transformé à fond par les sueurs et le sang des ouvriers de l'Évangile, l'Occident, il y a trois siècles et demi, offrait le divin spectacle de deux cents millions d'hommes vivant dans l'unité et l'égalité religieuses. Pontifes, empereurs et rois, clergé, magistrature, noblesse, peuple, tous également soumis à la monarchie spirituelle du Christ, ne reconnaissaient à aucun homme, à aucune assemblée d'hommes, le droit d'ajouter ou de retrancher le moindre article à la charte divine, soit à la croyance catholique, connue même des enfants. La puissance spirituelle suprême, que tous vénéraient dans le vicaire de Jésus-Christ et le successeur de Pierre, limitée elle-même par la divine constitution de l'Église, n'était que le centre et la sauvegarde de l'unité, de l'égalité, de la liberté religieuse de tous. Dans leur gouvernement, qui datait de quinze siècles, les papes n'avaient point mis en oubli la maxime du Pontife éternel: Que le premier d'entre vous se fasse le serviteur de tous! et ils restaient généralement fidèles à leur titre de Serviteur des serviteurs de Dieu.

Pour qui connaît l'irrésistible influence de la société religieuse sur la société civile, il y avait, dans cette constitution chrétienne de l'Europe, une admirable garantie d'ordre et de liberté, un obstacle insurmontable à l'établis sement du despotisme politique.

Comment périt cette unité religieuse si nécessaire à la paix, à la grandeur de l'Europe et à l'œuvre divine de l'évangélisation universelle? On le sait un professeur de Wittemberg, condamné par Léon X pour quelques thèses théologiques, entre en fureur et invite les peuples et les princes à courir sus à l'Église de l'antechrist de Rome et à faire une même cendre du pape, des cardinaux, des évêques et de leurs défenseurs (1). La plupart des princes du Nord se déclarent pour le forcené, dépouillent d'une main et égorgent de l'autre l'Église de Jésus-Christ dans leurs États, fabriquent des églises et des religions au service de leur despotisme, et y poussent leurs sujets avec une violence et une brutalité incomparables.

Cependant, avant la consommation de leur abominable entreprise, les princes avaient reçu un avertissement qui eût dessillé des yeux moins fascinés par la cupidité et l'orgueil. La révolution religieuse était à peine commencée, que la révolution politique et sociale éclata, appliquant aux pouvoirs et aux domaines séculiers les anathèmes de Luther contre la puissance et les propriétés ecclésiastiques (2). La Bible dans une main, le fer et la torche dans l'autre, les anabaptistes se mirent à piller, à incendier les chateaux, à embrocher les châtelains et châtelaines, au cri: Mort, au nom du Christ, à tous les princes et seigneurs temporels! Comme la Bible, la terre est à tous!

Au lieu de s'en prendre au véritable chef des égorgeurs et des incendiaires, que firent les princes et les seigneurs

(1) Bossuet, Histoire des variations, liv. 1, ch. 25.

(2) Au reste, dans le livre furibond du Magistrat séculier, Luther avait déclaré une guerre à mort à toutes les puissances du siècle. « Voici, y dit-il, que Dieu livre les princes à leur sens réprouvé : il veut en finir avec eux; leur règne est clos. Ils vont descendre dans la tombe couverts de la haine du genre humain, princes, évêques, prêtres, moines, polissons sur polissons... Que sont la plupart des grands? Des fous, des vauriens, et les plus grands vauriens qui vivent sous le soleil..... Princes, la main de Dieu est suspendue sur vos têtes..... On vous tient pour polissons et belîtres..... Le peuple, lassé, ne peut supporter votre tyrannie et votre iniquité; Dieu ne le veut pas, etc. » V. Audin, Vie de Luther, tom. II, ch. 6.

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