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qui s'écriaient Quel être inconcevable que ce M. de Lalande! Aujourd'hui que l'athéisme a perdu le mérite de la rareté, il faut que ses fanfarons se distinguent par la manière de combattre. Les argumentations scientifiques étant moins possibles que jamais, on procédera contre Dieu à coups de manifestes. On lui dira à la face du monde : Retire-toi, auteur de tout le mal, spectre et bourreau de ma conscience! Je te hais, je t'abhorre de tout l'amour que j'ai pour la liberté ; assez longtemps tu as pesé sur le monde ; à moi la mission de briser ton joug sur la tête des peuples! Que voulez-vous? c'est là, comme l'accoutrement de Diderot et les araignées de Lalande, une manière de mettre le public en émoi et de faire dire à une infinité de badauds : Ce n'est pas un esprit ordinaire que ce M. Proudhon!

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CHAPITRE V.

Que le Dieu de l'univers est bien le Dieu de l'Évangile.

D. Qu'entendez-vous par là: le Dieu de l'univers, etc.? R. J'entends: 1o que le Dieu dont nous venons d'entrevoir les œuvres ne peut être ni le grand dieu adoré autrefois par les Grecs et les Romains sous le nom de Jupiter, ni le grand dieu adoré encore aujourd'hui par les peuples de l'Inde sous le nom de Brahma. Le fils de Saturne et de Rhée, allaité par une chèvre dans un antre de l'île de Crète, a pu fournir aux poëtes de l'antiquité la matière de beaux vers et de mille historiettes grivoises; mais le bon sens philosophique ne verra jamais dans ce dieu viveur la cause suffisante d'un végétal, d'un insecte. Il en est de même du dieu des Hindous, plongé dans un sommeil qu'il n'interrompt, tous les quatre ou cinq cent mille ans, que pour briser les fantastiques créations émanées de ses rêves. La seule chose que l'on pût attribuer à cette divinité dormeuse, ce serait le système religieux et social qui régit la plus somnolente des races humaines.

J'entends: 2o que le Dieu de l'univers ne peut pas être le dieu fataliste de l'Alcoran, esclave d'une aveugle nécessité, auteur du mal comme du bien, et des créations les plus burlesques qu'il soit possible de concevoir. Digne d'un peuple sensuel et brutal, ce dieu serait un monstre, n'eût-il fait que choisir pour interprète de ses volontés le despote sanguinaire et lascif qui dit à ses croyants: Égorgez ou aðcablez d'avanies ceux qui refuseront l'Alcoran; empalez ceux qui oseront le discuter, et traitez la femme comme une brute destinée à vos ébats sur la terre.

J'entends: 3o que le Dieu de l'univers ne peut pas être le dieu mécanicien des déistes, lequel, après avoir organisé le monde comme une horloge, le ferait marcher en vertu de forces mécaniques mises en jeu par une impulsion première. Quand il s'agit d'expliquer, dans la matière brute et inerte, pas seulement des prodiges d'organisation savante, mais une infinité de mouvements marqués au coin d'une ineffable sagesse, les forces mécaniques, dénuées d'intelligence, sont aussi ridicules et inadmissibles que les forces du hasard et de l'aveugle nature, alléguées par l'athéisme. De part et d'autre, ce sont des mots vides de sens.

Et le simple bon sens, qui s'en tient aux premiers aperçus, et le génie, qui des détails profonds de l'analyse remonte aux conceptions générales, s'accorderont toujours à reconnaître qu'un monde où resplendissent de toutes parts l'intelligence et la vie est l'œuvre manifeste du Dieu vivant, communiquant sans relâche à la matière la vie, le mouvement et l'être (1); continuant de tout régler avec mesure, et nombre et poids (2); mesurant au même compas les mouvements de l'animalcule et l'orbite des astres; calculant le nombre des muscles de la chenille et le nombre des planètes ou des étoiles nécessaires à chaque zone céleste; pesant à la même balance la quantité d'azote et d'oxygène qui entre

(1) Actes des apôtres, XVII, 25, 28.

(2) Sagesse, XI, 21.

dans un atome d'air, et les masses énormes qui s'équilibrent dans l'espace; veillant avec un infatigable amour sur l'être le plus chétif comme sur l'universalité; brodant pour l'aile du papillon ou l'herbe de nos champs un manteau plus éclatant que celui de Salomon dans toute sa gloire (1); assignant aux petits du passereau leur pâture, et au cheveu de notre tête l'heure de sa chute (2).

Or, je vous le demande, qu'est-ce que ce Dieu, sinon le Dieu de l'Évangile ?

D. Que l'intelligence et la vie, répandues avec profusion dans les moindres choses, accusent une Providence qui n'a rien abandonné au hasard, à la bonne heure; mais que le Dieu-charité de l'Évangile se montre à découvert dans le gouvernement de la nature', cela me paraît moins certain. Si les désordres et les crimes des hommes s'expliquent par l'abus de leur liberté, il n'en est pas de même de la guerre incessante qui règne parmi les animaux et de leurs hostilités contre nous. Théâtre de pilleries et de carnage, la terre offre à ses habitants un spectacle trop douloureux pour qu'on ne se demande pas si c'est bien là l'œuvre de l'amour divin.

R. Cette question, si embarrassante pour les philosophes de l'antiquité, le catéchisme catholique apprend aux enfants à la résoudre ainsi : La terre n'est plus ce que Dieu la fit dans l'origine. Son chef ayant malversé, elle dut en souffrir, comme toute maison souffre des malversations de son chef. Avant même la prévarication de son roi, la terre n'était pas la demeure permanente de l'homme; elle n'était qu'un lieu de passage et d'épreuve. Elle l'est toujours, et, par une admirable disposition de l'amour divin, les maux de la vie présente contribuent puissamment au bien des amis de Dieu (3).

Pour le moment, acceptons à titre d'hypothèse ce dogme

(1) Saint Matthieu, VI, 29.

(2) Ibid., X, 29-31.

(3) Saint Paul, Ép. aux Rom., VIII, 27

chrétien, que nous sommes quelques jours en ce monde pour nous préparer à une vie supérieure; nous verrons que les désordres et les misères dont vous parlez ne sont en réalité que de puissants moyens d'éducation.

L'entretien matériel est notre premier besoin. Or ce n'est pas une petite affaire que de fournir des aliments à notre espèce et à la nombreuse famille des animaux domestiques. La bèche, la charrue, nos mille outils d'agriculture n'y suffisent pas. La terre est un atelier inconnu où couleraient en vain nos sueurs, si un travail plus ancien, plus profond, plus soutenu, plus savant que le nôtre, n'y créait et entretenait des sources de fécondité que nous ne faisons souvent que tarir par les procédés d'une brutale ignorance.

Quels sont les plus infatigables contre-maîtres et manœuvres de l'immense atelier? Ce sont les millions d'espèces animales que nous voyons jour et nuit occupées à une infinité de travaux dont nous recueillons les fruits, tout en méprisant et parfois maudissant les ouvriers. Nous avons des paroles d'estime pour la chenille qui nous file la soie, pour l'insecte ailé qui nous donne la cire et le miel, pour le rossignol qui nous enchante, etc.; nous ne donnons pas la moindre attention aux innombrables générations, la plupart invisibles à l'œil nu, qui labourent et fument les champs et les coteaux où croissent le pain, le vin, tant de fruits délicieux.

Quand a commencé ce travail? Il est probable qu'il a précédé de beaucoup l'origine de l'homme. Les études géologiques ont suffisamment établi que l'organisation actuelle de notre terre repose sur les débris d'organisations antérieures dans lesquelles les races animales auraient joué un très-grand rôle. D'un autre côté, la zoologie et la chimie organiques sont à la veille de démontrer, sans que peut-être elles s'en doutent, une thèse des plus intéressantes pour le philosophe, le politique, l'agriculteur. Cette thèse est que le peuple infini des insectes et des animalcules a pour mission d'élaborer la matière organique, et que les animaux

vertébrés contiennent dans leur organisme, surtout dans leur substance osseuse, les principes essentiels à la production des végétaux, notamment des céréales. La démonstration une fois acquise, l'agriculteur saura que le travail le plus opiniâtre et le plus industrieux est impuissant à féconder le sol, si on ne rend à celui-ci les dépouilles des animaux qu'il a nourris. Le politique aura de nouvelles armes contre la centralisation, qui, en faisant affluer vers les villes les hommes et les animaux, produit du même coup la corruption des mœurs et l'appauvrissement du sol. Le philosophe verra pourquoi notre globe est un immense ossuaire, et ces anciens mondes que nous foulons aux pieds lui apparaîtront comme des premiers labours et une fumure nécessaires au monde qui devait nourrir l'espèce humaine.

Au reste, j'espère que vous n'attendrez pas cette démonstration pour croire à l'utilité de tous les animaux, et vous rendre raison de leur état de guerre.

D. Vos considérations prouveraient que Dieu n'a rien fait d'inutile, ce que je ne conteste pas; mais s'ensuit-il qu'il ne fût pas mieux pour nous de voir la paix régner entre les familles animales, et de n'être pas obligés nous-mêmes de rester constamment sur le qui vive pour la défense de nos vies, de nos animaux domestiques, de nos substances alimentaires, contre la rapacité des animaux de proie et des insectes?

R. De ces deux données, l'une certaine, l'autre probable, que les espèces animales sont infiniment plus nombreuses que les espèces végétales, et que les végétaux sont une procréation des animaux, ne s'ensuit-il pas que le règne végétal ne peut suffire à la subsistance du règne animal, ce qui implique pour celui-ci l'état de guerre? Votre projet de paix générale aurait le petit inconvénient d'anéantir en peu d'années le monde animal, le monde végétal, et par suite notre espèce.

En effet, cette paix tuerait du premier coup toutes les espèces carnivores qui peuplent en si grand nombre les airs,

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