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moins parlants de l'existence de Jésus-Christ, on s'expose à des mécomptes. Que l'on considère comme tels la tourbe des chrétiens tièdes, indifférents, dont la foi ne se réveille que sous l'aiguillon de la mort, soit; le témoignage d'un homme, au moment suprême, pèse plus que les discours légers d'un viveur bien portant. Mais il faut distraire, ce me semble, les incrédules qui travaillent à détruire la mémoire du Christ et de sa loi; et malheureusement le nombre n'en est pas petit.

R. Les incrédules ont concouru autant et même plus que personne à publier le nom de Jésus-Christ. Ne leur devonsnous pas les témoins par excellence de la vérité chrétienne, les témoins qui se sont fait égorger, les martyrs? Depuis les persécuteurs du Christ en personne, qui, après avoir arraché à Pilate une sentence de mort, lui demandèrent des soldats pour garder le tombeau du crucifié, et scellèrent celui-ci de leur sceau, jusqu'aux athées modernes qui ont dit: Abolissons la mémoire du Christ en proscrivant ses prêtres, en démolissant ses autels ou en y élevant des prostituées, à quoi ont abouti tant de manoeuvres savantes et furieuses contre l'œuvre du Christ? A mettre en évidence ce caractère à part du christianisme : il a grandi par tout ce qui devait l'anéantir : « Il a résisté à tout : à la paix, à la guerre, aux échafauds, aux triomphes, aux poignards, aux délices, à l'orgueil, à l'humiliation, à la pauvreté, à l'opulence, à la nuit du moyen âge et au grand jour des siècles de Léon X et de Louis XIV (1).

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Au reste, nous n'avons pas besoin du témoignage des ennemis de la religion pour certifier l'existence de JésusChrist; celui des vrais chrétiens est plus que suffisant.

D. On dira que ce témoignage est trop intéressé.

R. En parlant ainsi, on dira une chose absurde. Qui donc a plus d'intérêt à connaître la vérité touchant le fait de l'existence de Jésus-Christ, et à ne pas l'admettre sans de

(1) M. de Maistre, Considérat. sur la France.

bonnes preuves, que le chrétien à qui ce fait impose des obligations si graves, si répugnantes à la nature?

On ne nail pas chrétien, on le devient (1). Incrédules par le fond de notre nature, qui répugne au frein évangélique, nous restons toujours incrédules par quelque bout. On ne vit en chrétien qu'à la sueur de son front, par une lutte continuelle contre les séductions éternellement renaissantes de l'esprit et du cœur.

Il est donc très-vrai que les observateurs de la loi du Christ sont tous martyrs à divers titres et degrés. Ceux qui n'ont pas l'occasion de mourir pour leur foi, lui font du moins le long et dur sacrifice des désirs qui sollicitent le plus l'âme des mortels. Or, je vous le demande, si l'on doit croire, comme dit Pascal, aux témoins qui se font égorger, ne faut-il pas tenir compte du témoignage des millions et des millions de chrétiens qui ont égorgé en eux le vieil homme pour vivre de la vie de l'homme nouveau?

D. C'est très-bien réfuter ceux qui prétendraient infirmer la preuve résultant de la foi universelle au Christ, en disant que les chrétiens sont témoins dans leur propre cause. Toutefois, ne faut-il pas reconnaître que l'habitude et l'entrainement de l'exemple ont une grande part dans le christianisme des masses, et que beaucoup sont chrétiens plus par imitation que par conviction?

R. Sans doute, dans la famille religieuse, comme dans la famille domestique et civile, les forts portent les faibles, et le nombre des faibles ne fait que mieux constater la puissance des forts. Là où vous voyez jouer des multitudes d'enfants de bonne mine et bien vêtus', comptez qu'il y a un grand nombre de pères et de mères laborieux et économes. De même, la faiblesse religieuse de la plupart des chrétiens, la pente qu'ils ont à retourner au culte des dieux d'or, d'argent et de boue, révèlent la force morale de ceux qui retiennent le christianisme dans ces natures demipaïennes.

(1) Fiunt, non nascuntur christiani.

Tertullien, Apologét., XVIII.

Au reste, il ne faut pas s'exagérer la puissance de l'habitude et de l'exemple en matière de foi catholique. Si vous expliquez par l'habitude la foi de nos pères du quinzième siècle, comment expliquer la foi des catholiques du dixneuvième, après tant d'efforts de l'anticatholicisme sous toutes les formes pour nous faire perdre les habitudes de la foi? Si les vieilles mœurs de l'Europe vous paraissent une raison suffisante de ce qui y reste de foi catholique, où est la raison suffisante de la foi des catholiques de la Turquie, de l'Inde, de la Chine, du Tongking, etc.? Et puis, comment expliquerez-vous la foi de ces Européens des premiers siècles, qui ne purent embrasser la religion du Galiléen crucifié, sans rompre avec les idées, les habitudes, les mœurs, les institutions immémoriales de l'ancien monde, sans briser leurs affections les plus chères, sans encourir le mépris et la haine du genre humain, sans se faire brûler à petit feu, déchirer par les ongles de fer ou la dent des panthères et des lions, aux applaudissements unanimes des grands et de la canaille, comme l'atteste le païen Tacite (1)?

Enfin, il y a une habitude qui peut expliquer, jusqu'à un certain point, le triomphe et la conservation de la foi catholique, mais qui elle-même est naturellement inexplicable et formerait à elle seule une démonstration irrécusable de l'existence de Jésus-Christ.

D. Quelle est cette habitude?

R. C'est l'habitude immémoriale des ministres et des fidèles de l'Église catholique d'aller avec calme, et même avec joie, à une mort souvent affreuse pour attester au monde que le Fils de Marie est le Fils de Dieu fait homme et immolé pour le salut de tous.

On peut disputer sur le nombre de nos martyrs (Dieu seul le connaît au juste); mais il est notoire qu'il se suppute par millions, depuis le diacre saint Étienne, lapidé à Jéru

(1) Annal., lib. XV, íí.

salem, jusqu'à nos missionnaires qui vont annuellement se faire étrangler, déchiqueter, broyer, embrocher et dévorer en Asie et dans les îles de la mer du Sud. Pour ne rien dire des épouvantables boucheries de chrétiens qu'ouvrit Néron et que ferma Constantin, boucheries que renouvelèrent plus tard les Vandales, les Goths, etc., quelle trace de sang catholique marque tous les pas de l'Église! Quel fleuve elle en répand en Europe au seizième siècle! Quelle mer dans le Japon, qui voit, en 1637, marcher à la mort le reste de ses dix-huit cent mille chrétiens!

Accuser de fanatisme les milliers de pontifes et de prêtres qui vont comme des agneaux au milieu des loups, pour transformer les loups en agneaux par la seule vertu de la parole du bon Pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis;

accuser

accuser de fanatisme ces hommes de Dieu et de l'humanité qui, bravant sans ostentation et sans faiblesse les plus terribles supplices, sont morts en répétant la sublime prière du Maître Seigneur, recevez mon âme, et pardonnez à mes bourreaux, car ils ne savent ce qu'ils font, de fanatisme les millions de chrétiens qui les ont suivis à l'échafaud, alors que, pour les combler de faveurs, on ne leur demandait qu'une parole; - confondre ces masses de héros, à qui nous devons l'honneur d'être chrétiens, avec quelques centaines de fanatiques qui, à force de violences et d'excès, se sont fait égorger ou brùler, quel outrage à l'histoire, au bon sens ! quel fanatisme de déraison !

Et ne croyez pas que le martyre soit toujours le résultat d'une éducation profondément chrétienne ou de la ferveur naturelle aux nouveaux convertis. Voyez les soldats de l'armée d'Afrique, tombés au pouvoir du fanatisme musulman. On leur dit Reniez le Christ pour Mahomet, ou mourez! Hier peut-être, plusieurs d'entre ces braves s'inquiétaient aussi peu de la loi du Christ que de celle de Mahomet; mais leur foi se réveillant sous le coup qui doit la perdre, tous répondent : Nous mourrons (1).

(1) Les soldats français qui tombaient aux mains des Arabes durant la

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L'habitude, toujours subsistante, de mourir pour le Christ prouve non-seulement que le Christ a vécu, mais que, en mourant, il n'a pas cessé de vivre et de régner sur les âmes avec un incomparable empire. C'est la réflexion, éclatante de bon sens, que le prisonnier de SainteHélène adressait à l'un des compagnons de sa captivité, qui paraissait ne voir dans le Christ qu'un génie extraordinaire. Après une série de considérations très-propres à confondre cette idée, Napoléon termine ainsi :

« Le plus grand miracle du Christ, sans contredit, c'est le règne de la charité. Lui seul, il est parvenu à élever le cœur des hommes jusqu'à l'invisible, jusqu'au sacrifice du temps; lui seul, en créant cette immolation, a créé un lien entre le ciel et la terre.

« Tous ceux qui croient sincèrement en lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, supérieur; phénomène inexplicable, impossible à la raison et aux forces de l'homme; feu sacré donné à la terre par ce nouveau Prométhée, dont le temps, ce grand destructeur, ne peut ni user la force ni limiter la durée. Moi, Napoléon, c'est ce que j'admire davantage, parce que j'y ai pensé souvent, et c'est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ!!!

« J'ai passionné des multitudes qui mouraient pour moi. A Dieu ne plaise que je forme aucune comparaison entre l'enthousiasme des soldats et la charité chrétienne, qui sont aussi différents que leur cause!

Mais, enfin, il fallait ma présence, l'électricité de mon regard, mon accent, une parole de moi; alors, j'allumais le feu sacré dans les cœurs... Certes, je possède le secret de cette puissance magique qui enlève l'esprit, mais je ne saurais le communiquer à personne; aucun de mes généraux ne l'a reçu ou deviné de moi; je n'ai pas davantage le secret

guerre refusaient, fussent-ils nés dans la rue Mouffetard, d'embrasser l'islamisme pour sauver leur vie. » M. L. Veuillot, les Libres Penseurs.

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