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Jésus-Christ. Quand la patience des chrétiens a vaincu la rage des persécuteurs, cette singulière ardeur pour le martyre ne s'éteint pas, elle se transforme, peuple les déserts de pénitents, crée le long supplice des austérités du cloître, perpétue l'héroïque esclavage de l'évêque, du prêtre, du religieux, de la religieuse, se vouant sans réserve au service de Dieu et de leurs frères.

L'amour de Dieu et de sa loi porté jusqu'au martyre, la crainte de ses jugements faisant taire toute autre crainte : voilà ce que Jésus-Christ a obtenu, ce qu'il obtient encore; voilà comment il a rétabli le règne de Dieu sur les âmes; et nous allons voir comment, avec les droits de Dieu, il a restauré ceux de l'humanité.

CHAPITRE III.

Comment Jésus-Christ a extirpé la barbarie dans les âmes, et donné à la civilisation humaine son fondement irremplaçable.

D. Quel est ce fondement irremplaçable de la civilisation humaine?

R. Avant de répondre à cette question, montrons en quoi consistent la civilisation et la barbarie.

La charité est l'âme de la civilisation, comme l'égoïsme est l'âme de la barbarie. Respecter dans les derniers des hommes la dignité d'enfants de Dieu, les chérir comme soi, souffrir de leurs maux comme de nos propres maux, travailler selon nos forces à l'amélioration de leur vie morale et physique, c'est le propre de la charité. Vivre pour soi, rapporter tout à soi, ne voir dans les autres que des instruments plus ou moins utiles au service de nos intérêts et de nos passions, c'est le propre de l'égoïsme.

La charité vient d'en haut, ne vit que des lumières de la foi, ne s'appuie que sur les perspectives de l'espérance chré

rature des Grecs, le donna durant la seconde moitié de sa longue existence, et il offre un mélange indescriptible de dissolution et d'inhumanité.

Que les érudits de collége, qui ne connaissent cette époque que par le côté littéraire, lisent seulement, dans l'auteur des Études historiques, l'esquisse des Mœurs des païens (1), et ils devront convenir que les anthropophages de la mer du Sud peuvent passer pour des modèles de bonnes mœurs et d'humanité, quand on les compare aux générations lettrées qui écoutaient avec délice les périodes de Cicéron et les beaux vers de Virgile et d'Horace.

Quelle législation atroce que celle qui, déclarant les esclaves moins vils que nuls, ravalait au-dessous des bêtes carnassières cent vingt millions d'hommes, malheureux restes de cinquante peuples détruits par l'astuce et la violence! En effet, « la loi romaine étendait ses soins maternels sur les bêtes de meurtre; elle défendait de les tuer en Afrique (2); » mais elle permettait tout au maître contre ses esclaves, et condamnait ceux-ci au dernier supplice, fussent-ils par le nombre une nation, quand il arrivait au maître de finir par une mort violente (3).

(1) Etude V, 3° partie.

(2) Chateaubriand, Études hist., à l'endroit précité : « Les cruautés exercées sur les esclaves font frémir: un vase était-il brisé, ordre aussitôt de jeter dans les viviers le serviteur maladroit, dont le corps allait engraisser les murènes favorites ornées d'anneaux et de colliers. Un maître fait tuer un esclave pour avoir percé un sanglier avec un épieu, sorte d'armes défendues à la servitude. Les esclaves malades étaient abandonnés ou assommés; les esclaves laboureurs passaient la nuit enchaînés dans des souterrains; on leur distribuait un peu de sel, et ils ne recevaient l'air que par une étroite lucarne. Le possesseur d'un serf le pouvait condamner aux bêtes, le vendre aux gladiateurs, le forcer à des actions infâmes. Les Romaines livraient aux traite. ments les plus cruels, pour la faute la plus légère, les femmes attachées à leur personne, etc., etc. » Ibid.

(3) V., sur le sénatus-consulte Sillanien, Montesquieu, de l'Espr. des lois, liv. XV, ch. 15. Tacite nous apprend que cette abominable loi reçut encore son exécution sous Néron. On vit les quatre cents esclaves de Pédanius Sécundus expier dans les supplices le crime d'un seul. En vain le peuple, révolté du nombre des victimes, voulut prendre leur défense; en vain quelques sénateurs opinèrent pour la mitigation de la loi; le sénateur C. Cassius prit la

Plus féroces encore que la loi, les mœurs romaines exigeaient des esclaves, des prisonniers de guerre, et même quelquefois des citoyens et des citoyennes, qu'ils s'entr'égorgeassent avec grâce, ou qu'ils se fissent dévorer par les bêtes, soit dans les divertissements publics, soit dans les fêtes de famille (1).

Les empereurs, les sénateurs et chevaliers, les matrones et les vestales, s'entassant dans les amphithéâtres pour savourer les convulsions des victimes, et ne sortant de là que pour outrager la nature par des voluptés non moins abominables (2)! - Des princes tels que Titus et Trajan consacrant à ces affreuses réjouissances, l'un trois mille, l'autre dix mille malheureux, en une seule fois! - Des historiens tels que Tacite racontant comme une belle fète l'égorgement de dix-neuf mille hommes sur le lac Fucin (3)!

- Des moralistes tels que Cicéron se posant cette question :

parole et entraîna l'assemblée en disant que l'on avait besoin de cette loi plus que jamais, depuis que, par l'affluence des esclaves venus de tout pays et appartenant à divers cultes ou n'en ayant aucun, les familles romaines étaient devenues des nations. Postquam vero nationes in familiis habemus, quibus diversi ritus, exlerna sacra, aut nulla sunt, colluviem istam nonnisi metu coercueris, etc. Tacite, Annal., XIV, 44.

(1) «Le seul peuple qui ait jamais fait un spectacle de l'homicide est le peuple romain: tantôt c'étaient des gladiateurs et même des gladiatrices de famille noble, qui s'entretuaient pour le divertissement de la populace la plus abjecte, comme pour le plaisir de la société la plus raffinée; tantôt c'étaient des prisonniers de guerre que l'on armait les uns contre les autres, et qui se massacraient au milieu des fêtes, la nuit, aux flambeaux, en présence de courtisanes toutes nues on forçait des pères, des fils, des frères, de s'égorger mutuellement pour désennuyer un Néron, et, mieux encore, un Vespasien et un Titus!... Le retentissement des glaives, les mugissements des animaux, les gémissements des victimes, dont les entrailles étaient traînées sur un sable parfumé d'essence de safran ou d'eaux de senteur, ravissaient la foule... Les festins particuliers étaient rehaussés par le plaisir du sang: quand on s'était bien repu et qu'on approchait de l'ivresse, on appelait des gladiateurs; la salle retentissait d'applaudissements, lorsqu'un des deux assaillants était tué. Un Romain avait ordonné, par testament, de faire combattre ainsi de belles femmes qu'il avait achetées, et un autre, de jeunes esclaves qu'il avait aimés. » Chateaubriand, Études hist., Mœurs des païens.

(2) V. Sénèque, ép. XCV.

(3) Annal., XII, 56.

Le spectacle des gladiateurs est-il cruel et inhumain, comme il paraît à quelques-uns? et n'osant la résoudre (1)! Auguste, qui s'effraye à bon droit de la dépopulation de l'empire, faisant en vain des lois pour mettre un frein à la lubricité, obtenir des unions, sinon légitimes, du moins fécondes, et diminuer le nombre des enfants que ceux qui en font encore vont jeter chaque nuit dans les marais du Vélabre et au pied de la colonne Lactaire (2), etc., etc., etc.! En faut-il davantage pour établir ce fait : La civilisation romaine aboutit à l'extinction absolue du sens moral, et son dénoûment eût été l'extinction de l'espèce humaine, si Jésus-Christ ne fût venu proclamer le dogme qui seul peut civiliser les hommes, c'est-à-dire leur apprendre à se respecter et à s'aimer ?

D. Quel est ce dogme?

R. C'est celui de la Rédemption de tous les hommes par le Fils de Dieu et de leur vocation au royaume éternel.

Au point de vue donné par Jésus-Christ, qu'est-ce que l'homme le plus déshérité des dons de la nature et de la fortune? Ce n'est pas seulement le chef-d'œuvre des mains de Dieu, son image, la conquête, la propriété du DieuSauveur; c'est un membre de son divin corps, un autre lui-même. Tout ce que vous aurez fait au moindre de mes frères (en bien ou en mal), c'est à moi que vous l'aurez fait (3)! Telle est la règle du jugement qui fixera notre éternelle destinée. Nous en sommes prévenus: que nous traitions avec nos proches, nos concitoyens, avec les habitants de l'Europe, de l'Asie, avec les noirs de l'Afrique ou les peaux-rouges du nouveau monde, ce n'est plus à des hommes que nous avons affaire. En s'unissant la nature humaine par le plus étroit et le plus indissoluble des liens,

(1) Crudele gladiatorum spectaculum et inhumanum nonnullis videri solet; et haud scio an ita sit, ut nunc fit. Tuscul., quæst. III, 41.

(2) Sur le sort de ces enfants, voy.l'Histoire de la société domestique, par M. l'abbé Gaume, 1re part., ch. 11.

(3) Saint Matthieu, XXV, 40, 45.

le Verbe éternel s'est incorporé toutes ces âmes, tous ces corps. C'est sur lui que portent toutes les injures, toutes les injustices dont ils sont les victimes: malheur à qui ne les aura pas réparées avant le jour des justices! C'est aussi lui qui reçoit le morceau de pain, le verre d'eau, donnés à celui qui a faim et soif, le vêtement dont on couvre celui qui est nu, la parole d'instruction, de sympathie, adressée à l'ignorant, à l'affligé : au jour des rétributions, ces oboles semées dans le sein des malheureux auront produit des trésors incalculables.

Vengeur tout-puissant de la faiblesse opprimée, caution des insolvables et des ingrats, rémunérateur magnifique des moindres bienfaits, Jésus-Christ ôte au méchant, fûtil assis sur le plus haut des trônes, l'espoir de l'impunité, et il dit à la bienfaisance: Ne te lasse pas dans la route du bien, et laisse-moi le soin de compter le nombre de tes sacrifices.

Dans cette adoption universelle des membres de la famille humaine, Jésus-Christ traite avec une prédilection marquée les petits et les faibles, barbarement sacrifiés par la société païenne.

Laissez venir à moi les petits enfants; car le royaume des cieux se compose de ceux-là... Vous n'y entrerez pas si vous ne devenez semblables à eux... Celui qui prend soin d'un de ces enfants en mon nom, prend soin de moi... Malheur à qui par le scandale en perdra un seul ! mieux vaudrait pour lui qu'il fût précipité au fond de la mer avec une pierre au cou (1) !

La femme, avilie, écrasée par toutes les législations religieuses et politiques imaginées par la sagesse humaine, le Rédempteur la relève, en fait un être surnaturel, soit que par la virginité, qu'il lui offre comme la meilleure part, elle vive de la vie des anges (2), soit que par le mariage

Saint Marc, X, 14-15.

(1) Saint Matthieu, XVIII, 2-6. ·
(2) Saint Matthieu, XIX, 12.. Saint Paul, Prem. ép. aux Cor., VII.

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