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quelques libertés nécessaires. Pour la société, une question de vie ou de mort, qui domine tous nos débats, ce n'est plus l'ordre politique, c'est l'ordre social remis en problème. Des villes s'insurgent pour secouer le fardeau des impôts; des villes sont poussées à l'insurrection par la famine: ici le travail manque, là le salaire n'est plus en rapport avec le travail, ce n'est plus l'opinion qui groupe l'émeute, c'est la misère qui pousse à la révolte. »

« Les prolétaires de la Grande-Bretagne s'accroissent chaque jour, et malgré la taxe des pauvres, la sécurité du gouvernement est souvent remise en question par des émeutes. Quand un manufacturier a mal ou trop produit, il cesse de produire, parce que sa marchandise est sans débit et ses capitaux épuisés. Quand le capitaliste ne peut compter, je ne dis pas sur la paix, parce que la paix est un vain mot, mais sur un ordre de choses, il refuse de livrer ses capitaux à la merci des événemens. Alors l'ouvrier sans pain reflue sur la place publique. Il ne voit devant lui que l'oisiveté et la misère. La moralité du travail est remise en problème, parce que la morale qui ne conduit pas au bien-être, n'est pas moins une vertu, mais cesse d'être une vertu politique. »

« Le peuple voit partout la main de l'autorité. C'est après elle qu'il murmure, et la misère passe vite du mécontentement à la misère, parce que la misère n'a pas le temps d'attendre. Le 26 juillet, les fabricans, alarmés par les ordonnances de Charles X, jetèrent leurs ouvriers sur le pavé, et le 29 le trône fut brisé. Le 21 novembre, les fabricans refusèrent aux ouvriers de Lyon un tarif et du travail, et le 25 l'autorité fut méconnue dans la seconde ville de France. >>

A Bordeaux, un journaliste homme de talent (M. Fonfrède), écrivait à la même époque :

<< Le commerce de notre ville, comme celui de toute la France, sent, par l'effet d'une intime conviction, qu'aucune

grande action industrielle n'est possible quand la confiance est à chaque instant ébranlée; que le commerce ne peut vivre sans stabilité, sans force dans les pouvoirs sociaux. La confiance et l'activité commerciale une fois anéanties, le sort des classes pauvres, des classes ouvrières, est devenu nécessairement affreux, les salaires sont inévitablement réduits ou supprimés. »

« Voyez ce qui se passe à Bordeaux depuis un an. Aussitôt que la politique intérieure nous laisse un moment de tranquillité, chacun croit toucher enfin au terme de ses maux et se dispose avec ardeur au travail. Mais tout à coup une nouvelle crise survient à l'instant le commerce s'éteint, les achats cessent, les ordres sont contremandés, T'espoir du travail s'évanouit et la misère plane de nouveau, pâle et dévorante, sur toutes les classes industrieuses de notre cité désolée. »

Ce serait une tâche à la fois trop longue et trop pénible d'avoir à enregistrer toutes les émeutes populaires, tous les attentats à la propriété, toutes les violences contre les personnes dont Paris et presque toutes les contrées du royaume ont été le théâtre depuis la révolution de 1830, et qui, presque tous, ont eu pour cause ou la misère populaire, ou la haine des masses immorales et ignorantes contre tout ce qui rappelait à ses yeux la supériorité du rang et de la fortune, la religion et les barrières destinées à préserver l'ordre social. Nous laissons à d'autres écrivains le soin de former un pareil tableau, d'où cependant aurait ressorti la preuve incontestable que les causes de la misère et des révolutions soudaines sont étroitement liées entre elles, ou plutôt qu'elles n'ont qu'une même origine, l'application de l'égoïsme matérialiste à l'industrie et à la civilisation. Mais, du moins, nous rapporterons quelques faits qui pourront faire apprécier les maux infinis que les commotions sociales répandent toujours sur ces mêmes classes ouvrières qui servent d'instrumens pour les effectuer.

Suivant M. Saulnier fils, ancien préfet de police de Paris, les émeutes de 1850 et 1831 ont causé l'éloignement de cette ville de 12,074 personnes riches, et 1,900 boutiques sont restées sans locataires (1). En calculant chaque loyer de ces dernières à 1,000 fr. seulement, il en serait résulté, pour les propriétaires de maisons, une perte annuelle de 1,900,000 fr., sans compter celle qu'ont éprouvée les maîtres d'hôtels garnis.

En supposant que chacune des 12,074 personnes riches qui ont fui Paris ne dépensât annuellement que 10,000 fr, il s'ensuivrait que 120,740,000 fr. par an auraient été perdus pour cette ville.

D'après M. le comte Alexandre de Laborde (2), la dépense moyenne de chaque ouvrier à Paris, avant 1814, ne dépassait pas 600 fr.; en 1826 elle s'était élevée à 734 fr. (3). A cette dernière époque, la dépense moyenne de chaque habitant de Paris était évaluée à 1,020 fr. par an. Depuis la révolution de Juillet, elle n'est plus que de 900 fr., et celle de l'ouvrier a rétrogradé dans une proportion encore plus grande. L'aisance de cette ville est donc diminuée de 80,000,000 par année.

Les mêmes résultats se sont fait sentir dans presque toutes les parties du royaume, et particulièrement dans les villes industrielles.

«< Hélas! s'écriait en 1831, un publiciste philantrope (4), il n'y a plus aujourd'hui qu'un cri dans la France entière : la misère universelle. C'est par millions qu'il faut compter le nombre des mendians qui couvrent aujourd'hui la surface de la France. Voici ce que dit le Propagateur du

(1) Revue européenne. D'autres écrivains portent à 75,000 le nombre des personnes qui ont quitté Paris depuis la révolution de Juillet.

(2) Paris municipe.

(3) La dépense moyenne de l'ouvrier à Londres n'est que de 60o fr. par an, et à Vienne un peu plus de 640 f.

(1) Gazette de France, 20 décembre 1831.

Pas-de-Calais « Le mal qui s'est manifesté à Lyon par une sanglante insurrection, se témoigne dans toutes les autres villes de France par le vide des ateliers, par l'affreuse mendicité qui ronge la classe des travailleurs. Ce que gagne aujourd'hui l'ouvrier ne peut plus suffire à ses besoins. La fabrication de la dentelle, de la batiste, de la toile, des chaussons en laine, la pêche du hareng, sont en souffrance ou en ruine; aujourd'hui la journée de la fabricante de dentelle est à 5 sous et celle de la batiste à 10 sous. »

« Si l'on ne fonde pas un état de chose stable qui fasse vivre le peuple en travaillant, malheur au gouvernement! malheur aux chambres! malheur à ceux qui fabriquent! malheur à ceux qui possèdent! malheur aux riches! malheur à tout le monde !... Ce n'est plus d'intérêts de parti qu'il s'agit c'est notre existence sociale et individuelle qui est en problème. Il faut que le peuple vive en travaillant ou qu'il meure en combattant. »

<«<La taxe des pauvres est imminente. Il faut que le pays connaisse cette lèpre importée en Angleterre par la révolution de 1688, et qui en est devenue la plaie la plus honteuse et la plus cruelle. »

« Les lois sur les ateliers de charité, les travaux publics extraordinaires, les emprunts faits par les départemens et les grandes communes, les avances faites au commerce et à l'industrie, la prime de 18 millions promise aux villes et aux départemens, à l'effet de provoquer des dépenses utiles aux pauvres, le tarif proposé pour les fabriques de Lyon, et en un mot, toutes les impositions fiscales additionnelles qui surchargent le pays, que sont-elles autre chose qu'un commencement de taxe des pauvres ou plutôt une taxe des pauvres sous un autre nom? Mais ce n'est pas tout, voici venir un préfet de l'Aisne (1) qui a fait

(1) M. Lecarlier d'Arlon.

placarder dans son département et suivant toutes les formes officielles, un arrêté sur les secours aux indigens; il est précédé de ce considérant singulier qui appelle d'effrayantes réflexions: >>

« Considérant qu'il importe de pourvoir à la subsistance « de la classe indigente pendant la mauvaise saison, et de <«< donner à la charité publique et particulière une direc<«<tion convenable pour empêcher la sortie des indigens de <«<< leurs communes ; »

<«< Considérant que le meilleur système de secours à établir << pour les pauvres valides est celui de leur procurer du tra<«<vail et que tous les citoyens aisés sont intéressés pour la « sûreté de leurs personnes et de leurs propriétés à seconder, « à cet égard, les vues de l'administration, etc... Arrête...

« Art. 9. Dans le cas où les ressources ordinaires se<«<raient insuffisantes, comparativement au nombre réel et constaté des indigens de la commune, le comité sera « chargé d'aviser aux moyens de faire venir à son secours <«< d'autres communes du canton qui n'auraient point de « pauvres ou qui auraient, à cet égard, une charge moins «< considérable à supporter relativement aux facultés par« ticulières qu'elles offrent. Les habitans de ces communes « ne pourront se refuser à venir au secours de celles « qui sont plus malheureuses, sous le prétexte qu'ils pour« voient aux besoins de leurs propres pauvres : ils senti<«<ront que les indigens du dehors sont ceux qui sont le plus à charge, et qu'ils ne peuvent espérer de se voir << affranchir de leurs importunités qu'autant qu'ils concourront à leur entretien. >>

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La Gazette fait observer avec raison, que cet acte extraordinaire viole manifestement les lois, les ordonnances et les réglemens relatifs à la comptabilité des deniers communaux et aux attributions des autorités administratives. Sans doute, il a été commandé par la nécessité la plus impérieuse. En effet, à l'époque où il a été rendu, des

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