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l'Ecosse, s'est exprimé ainsi dans son rapport à l'académie des sciences sur son voyage à Sunderland (1).

« Sunderland (2) est une ville de 40,000 habitans, très commerçante, et qui est le siége d'une industrie admirable. On n'y trouve pas moins de 800 bâtimens appartetenant à des fabricans ou à de grands négocians: ceux-ci et tous les gens aisés habitent deux paroisses situées sur une hauteur; mais, quant à toute la population pauvre. elle est entassée dans une autre paroisse (la paroisse de Sunderland proprement dite), quartier situé dans un enfoncement, près la rivière, et entouré, au nord, au sud et à l'est, de hauteurs qui s'opposent à la libre circulation de l'air. Les maisons sont séparées par de misérables ruelles de 5 à 4 pieds de largeur. Chaque chambre a 8 à 10 pieds en carré, 6 à 7 de hauteur, et chacune y reçoit une famille qui y opère tous les actes de la vie, et y prépare ses alimens au charbon, au milieu d'une noire et épaisse fumée. »>

« La paroisse de Sunderland contient 17,000 habitans, dont 14,000 sont sur la liste des pauvres (5), et reçoivent des secours, non pas directement de la fabrique, mais d'un entrepreneur qui est intéressé à donner le moins possible. Au reste, ceux qui reçoivent ces secours ne peuvent même partout se procurer les misérables logemens dont je viens de parler. Ils sont réunis dans une maison commune (Poor' House), le séjour le plus hideux que l'imagination puisse se figurer, surtout ce qu'on nomme l'infirmerie, pièce de 20 pieds en carré, autour de laquelle sont rangés des sacs remplis de plumes d'oie, sur lesquels gissent pêlemêle femmes, enfans, vieillards, presque moribonds, et

(1) Séance du 26 décembre 1831.

(2) Elle est située à l'embouchure du Wear, à cinq lieues N.-E. de

Durham.

(3) Plus du tiers de la population totale de la ville et 7/8 1/14 de la pa

roisse.

servis par d'autres pauvres que leurs propres souffrances rendent insensibles à celles de leurs semblables. »

<< Dans toute la partie basse de Sunderland, il n'existe point de fosses d'aisance. Les immondices sont déposées sur les toits ou jetés dans les rues : les bords de la rivière sont couverts d'une vase infecte et composée en grande partie des mêmes ordures. >>

En Irlande, on trouve des exemples non moins frappans de l'excessive misère qui accable la population ouvrière, et qui, de 1800 à 1821, a forcé 951,267 individus à s'expatrier.

« D'après un journal de Corck (1) ( dit le Temps (2) ), il y a dans cette seule ville 26,000 indigens, et l'on y compte 60,000 individus embarrassés de leur existence. Ce nombre de pauvres et de nécessiteux, dans une seule ville d'Irlande, est énorme et excite de graves réflexions. Une des raisons pour lesquelles il faut désirer que la question de la réforme soit promptement résolue, c'est qu'elle empêche beaucoup d'autres objets importans d'être discutés. Or, la misère, en Irlande, est de ce nombre; ce pays regorge d'ouvriers sans emploi. Pour remédier à ce mal, il faudra ou diminuer le nombre d'ouvriers, en favorisant leur émigration, ou établir en Irlande une taxe des pauvres comme il y en a en Angleterre (5). »

A l'appui de cette assertion, on peut citer le discours prononcé, en 1832, par le révérend M. Boyton, dans une réunion du parti des torys et de la haute église, qu'on appelle le parti conservateur, formée dans le nord de l'Irlande. Voici un extrait de ce discours :

<< Comment se fait-il, quand le travail de ce pays a produit

(1) Capitale du comté de ce nom.

(2) 24 novembre 1831.

(3) On verra, dans la suite de cet ouvrage, que ni l'un ni l'autre de ces remèdes ne peuvent être appliqués avec succès. L'émigration est devenue impossible, et la taxe des pauvres ne fait, en quelque sorte, qu'augmenter le paupérisme; c'est à d'autres moyens qu'il faut recourir.

dix fois plus qu'il n'en faudrait pour nourrir ses habitans, que tant d'êtres humains y périssent de faim et de misère! comment se fait-il que la charité anglaise soit obligée d'acheter du blé dans les ports anglais et de le renvoyer en Irlande, pour alimenter les paysans de ces mêmes terres sur lesquelles il a été récolté? pourquoi le peuple est-il contraint de dérober l'algue marine répandue sur les champs en guise de fumier? pourquoi les sources de notre travail producteur se tarissent elles les unes après les autres ? Trente des plus considérables manufacturiers en laine ont été ruinés à Dublin, depuis 1821. Les papeteries, branches d'industrie jadis profitables en Irlande, sont maintenant presque abandonnées. Il y avait récemment encore quelques raffineries de sucre, il n'en existe plus. En 1822, le lin porté au marché de la province d'Ulster était estimé, suivant les rapports du parlement, à plus de 2,200,000 liv. sterl., somme presque égale au revenu de toute cette province. Quelle qu'en soit la cause, les manufactures de cette belle province ont disparu. »

On ne sera point surpris, d'après ces détails, qui, bien qu'isolés, peuvent cependant donner une idée générale de la situation des diverses parties de la Grande-Bretagne, sous le rapport du paupérisme, que le nombre des indigens du royaume-uni ait été évalué à 5,905,651 individus, c'est-à-dire au sixième de la population générale.

Sur ce nombre, l'Irlande, peuplée de 7,554,524 habitans, figure pour 1,855,651, c'est-à-dire pour le quart de sa population, et ce chiffre ne peut paraître exagéré si l'on considère l'état déplorable de cette terre infortunée.

L'Angleterre, le pays de Galles et l'Ecosse subviennent à l'entretien des pauvres, par une taxe qui s'élevait, en 1831, à 207,000,000 fr., indépendamment des frais de perception. Le taux moyen du secours étant évalué à 100 fr. par individu, il en résulterait que 2,070,000 indigens y participent chaque année. C'est donc le sep

tième 516 de la population de l'Angleterre, du pays de Galles et de l'Ecosse, qui s'élève à 16,065,476 habitans.

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que nous avons portés en nombre rond à 3,900,000, dans nos tableaux du paupérisme de l'Europe, et qui forment exactement le sixième de la population générale (1).

«

(1) En Angleterre, dit M. le baron d'Haussez, la misère apparaît sous un autre aspect, mais avec des accessoires qui la rendent plus accablante, pour ceux qui le souffrent, plus affligeante, pour ceux qui l'observent, que dans toute autre partie de l'Europe. »

« Soumis à un ordre méthodique, les secours sont plus lents à passer, de la main qui les distribue, dans celle qui s'ouvre pour les recevoir. Ils manquent de cet esprit d'appropriation que l'esprit de charité s'entend mieux à leur donner, que l'esprit de philantropie. Dans beaucoup de paroisses, ils sont l'objet d'une étrange spéculation : au moyen d'une somme beaucoup plus forte que celle qui suffirait, un entrepreneur se charge, sinon de pourvoir aux besoins, du moins d'arrêter les plaintes des indigens. Peu importe qu'ils soient soulagés, pourvu qu'ils se taisent! C'est le parti qu'ils sont obligés de prendre, sous peine de trouver dans le spéculateur entre les mains duquel l'amélioration de leur sort est tombée au rabais, un redoublement de rigueur et de dureté que ne compenserait pas l'intervention du magistrat auquel leurs reclamations s'adresseraient. >>

« Dans les lieux où les secours s'administrent sans l'intermédiaire d'un entrepreneur, ils sont réduits, en quotité et en efficacité, par les prélèvemens que les inspecteurs n'ont pas honte de se réserver, s'en forme d'émolumens, et par le vice de leur répartition. La paresse y trouve sa part comme l'activité, le simple malaise comme la pauvreté réelle. On compte les individus dont se compose la famille, et on jette de l'argent, sans s'inquiéter si, parmi eux, il n'en est pas qui puissent pourvoir à leur subsistance et à celle de leurs parens. Ce n'est pas une honte, pour un artisan, de faire inscrire le nom de son père sur la liste des habitans secourus par la paroisse, lorsqu'il pourrait les nourrir; aussi, ces listes sont-elles dans une proportion presque double de celles qui existent ailleurs. En France, le rapport des individus à qui des secours suivis ou momentanés sont nécessaires, est de 1 à 15 dans les campagnes, et de 1 à 10 dans les villes *. En Angleterre, il est de 1 à 9 dans la première hypothèse, et de 1 à 6 dans la seconde. Là, on évalue à 24 fr. la moyenne de la subvention nécessaire à chaque individu qui a besoin d'être secouru (non compris la dé⚫ Cette proportion n'est que de 1 à 20 pour toute la France. Voir le chap. II de ce livre. II.

Suivant un écrit récent, la ville de Londres renferme 16,000 mendians et 20,000 personnes sans aucun moyen d'existence, sans compter les individus secourus par les asssociations particulières. Il y a, de plus, 113,000 voleurs, filoux ou contrebandiers.

D'après des documens dont nous n'avons pu vérifier complétement l'exactitude, il paraîtrait qu'en Angleterre, 1,050,000 familles participeraient à la taxe des pauvres. S'il en était ainsi, il faudrait porter le nombre des indigens (en Angleterre, dans le pays de Galles et en Ecosse seulement) à plus de 6 millions d'individus. Ce chiffre nous a paru excessif, et nous avons préféré nous en tenir à

pense des hôpitaux). Ici, cette moyenne s'élève à plus de 4 livres sterling (100 fr.).

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« En France, une cotisation de 1 fr. 50 c. par individu, non participant aux secours, suffirait au soulagement des indigens. En Angleterre, cette cotisation devrait s'élever à 10 sch. (12 fr.); et, cependant, le sort des pauvres, dans le pays où on donne le moins, n'est pas aussi malheureux que celui de la même classe, dans le pays où l'on donne le plus. »

« La misère est rendue encore plus accablante par les privations qu'entraîne le prix excessif des objets de première nécessité. En Angleterre, le pauvre ouvrier est heureux, si les secours destinés à suppléer à l'insuffisance de son salaire lui donnent les moyens d'acheter du pain et des pommes de terre pour lui et pour sa famille. Les pauvres logent dans des caves et dans les greniers des villes ou dans de misérables cabanes. Là, des familles qui n'ont aucun rapport entre elles, viennent, pour une nuit, mettre en commun leur dénuement, leurs larmes et plus probablement leur haine, leurs imprécations et leurs menaces, contre les classes plus heureuses. >>

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Quelquefois l'excès de la misère porte une famille à aller chercher, dans une autre paroisse, les moyens d'existence ou d'industrie que lui re. fuse celle où elle souffre. Elle en est repoussée. Il lui est défendu de s'y établir, ne fût-ce que pour un jour. On ne lui accorde même pas le temps nécessaire pour un indispensable repos. Il faut qu'elle revienne là où elle endure tant de maux, subir le reste de la condamnation, qu'en créant ses membres et les réunissant, la Providence semble avoir prononcée contre elle. ».

« Ainsi, l'Angleterre libre et riche du 19° siècle a connu l'Angleterre féodale et pauvre du moyen-âge, son esclavage, sa glèbe et ses serfs. Comme elle, elle les fixe sur le sol, lui laissant à peine la perspective incertaine d'un tardif affranchissement. » (De la Grande-Bretagne, en 1833.)

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