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CHAPITRE II.

DE LA SITUATION ET DU NOMBRE DES PAUVRES EN FRANCE.

Le paupérisme anglais a commencé d'envahir une partie de la France : il est encore temps de repousser ce funeste présent.

Ex 1794, Barrère, au nom du comité de salut public, faisait connaître à la convention nationale que le nombre des indigens s'élevait, en France, au vingtième de la population.

Il se fondait, à cet égard, sur le rapport du comité de mendicité formé au sein de l'assemblée législative.

M. le comte de Fourcroy, dans un travail général préparé, en 1808, par le conseil d'état pour l'organisation des secours publics, porte la population indigente de la France au dixième de la population totale dans les temps malheureux, et au vingtième dans les temps ordinaires; ce qui établit une moyenne d'un quinzième.

Un publiciste, qui évalue à près de 2,000,000 le nombre d'indigens sur les registres des paroisses en Angleterre (1), suppose qu'en France ce nombre doit s'élever à cinq millions. Des journalistes ont aussi porté ce nombre à quatre ou cinq millions (2), et un, entre autres,

(1) M. B. de C. (Universel, 21 février 1819).

(2) Journal de Paris (2 déc. 1831).

l'a élevé jusqu'à dix millions (1). Un jurisconsulte (2) qui a examiné les droits des pauvres et des mendians à un secours légal, a supposé, d'accord avec le comité de mendicité de l'assemblée législative, que le nombre des indigens du royaume pouvait être de 1,300,000 à 2,000,000.

M. le baron Degérando (3) pense que la population pauvre de la France n'est guère que d'un trentième ou d'un quarantième dans les campagnes, tandis que, dans les grandes villes, elle s'élève presque jusqu'au cinquième, indépendamment du nombre des pauvres reçus dans les hôpitaux et dans les hospices. Il croit que la proportion moyenne est à peu près d'un vingtième dans la capitale, mais qu'un grand nombre de causes tendent à y augmenter la population indigente, ne fùt-ce que la multiplicité des pauvres étrangers qui affluent de toutes parts (4).

(1) Courrier de l'Europe (2 déc. 1831).

(2) M. Loubens, avocat (des Pauvres, des mendians et de leurs droits). (3) M. Degérando (Visiteur du Pauvre).

(4) Nous trouvons les détails suivans dans la Gazette médicale du 2 fé

vrier 1832:

« L'administration générale des hospices civils de Paris vient de publier un rapport fort curieux sur la population indigente de cette ville en 1832. » « La population de la capitale se monte à 770,286 habitans, d'après le recensement officiel de 1831. La partie indigente de cette population est de 68,986 individus : il ne faut pas oublier ici qu'il s'agit des pauvres officiels, de pauvres secourus à domicile, de pauvres portés sur les registres des bureaux de charité. Mais que d'indigens inconnus à la bureaucratie de l'administration des hospices! que de misères secourues par la charité particulière ! >>

« On peut dire, sans exagération, que le nombre d'indigens que n'atteint pas la charité publique, est au moins égal au nombre de ceux qu'elle soutient. Aussi, le septième de la population de Paris est à la charge de la

charité. »

« La proportion des indigens au reste de la population varie, selon les divers arrondissemens, de 1 sur 6 à 1 sur 24. Le 12 arrond. et le 2o forment les deux points extrêmes de la proportion. Le 2o, comprenant les quartiers les plus riches de Paris, il n'est pas étonnant qu'il renferme le moins de pauvres. »

uant au 12 arrond., bien qu'il s'y trouve quelques fortunes consi

M. le comte de Laborde, dans son ouvrage sur l'esprit d'association, fixa, en 1819, au 140, c'est-à-dire à 800,000 le nombre des pauvres existant en France: il ne fait pas connaître sur quelle base repose cette évaluation approximative, qui, du reste, est évidemment fort audessous de la réalité.

M. le baron de Morogues estime que l'on ne peut fixer le nombre des pauvres à moins de 1/16 de la population.

Il est sans doute surprenant, mais il est pourtant vrai que le ministère de l'intérieur, en France, ne possède aucun dénombrement exact et officiel sur la situation et le nombre des pauvres du royaume. On ne peut comprendre comment le besoin et l'importance de connaître l'état du pays, sous ce rapport, ne se soit pas encore fait sentir aux hommes d'état qui ont successivement dirigé cette partie de l'administration publique.

Pour remplir cette lacune autant qu'il dépendait de nous, nous avons étudié la situation topographique de chaque département, les élémens de sa population, la nature de son industrie et de son commerce, ses produc

dérables, il semble être le quartier naturel de l'indigence et de la misère. Elle s'y est établie comme l'opulence dans le quartier de la place Vendôme et de la Chaussée-d'Antin. >>

« Les 68,986 indigens secourus appartiennent à 11,723 ménages dont 2,030 reçoivent des secours annuels, et le reste des secours temporaires. Sur les 68,986 indigens, on compte 16, 167 hommes, 28,021 femmes, 12,036 garçons et 12,702 filles. Il ne faut pas croire que c'est Paris qui fournit tous ces indigens. Ils sont nés dans les départemens, pour la plus grande partie. Parmi les chefs de ménage, la moitié, à peu près, est audessous de soixante-cinq ans, et le quart âgé de soixante-cinq à soixantequatorze; 31 atteignent ou dépassent quatre-vingt-dix ans. 10,000 ménages, à peu près, sont chargés d'enfans au-dessous de douze ans. Près de la moitié des loyers payés par les ménages indigens sont de 50 à 100 francs. On compte, parmi les chefs des ménages indigens, 3,443 hommes et 4,050 femmes sans état. On ne trouve, sur le chiffre de 68,936 indigens, que 494 aveugles et 5,012 infirmcs. Ce résumé des misères que Paris renferme est sans doute bien affligeant. Mais ce n'est pas tout la charité particulière a autant et plus à faire que la charité publique.

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tions, son climat, ses mœurs, le caractère et les besoins de ses habitans, le nombre et l'importance de ses villes manufacturières, l'influence plus ou moins prédominante des théories de civilisation et d'économie politique anglaises, et celle des sentimens de religion et de charité. Nous avons cherché enfin à interroger toutes les circonstances, causes de moralité, de travail, de prospérité ou de misère qui pouvaient être raisonnablement appréciées. Rapprochant ensuite ces observations de notions positives ou très approximatives recueillies dans une longue carrière administrative et dans une correspondance suivie avec la majeure partie de MM. les préfets du royaume, nous sommes arrivés à des résultats qui nous semblent se rapprocher d'autant plus de la vérité, qu'ils s'accordent avec ceux du dénombrement opéré par la première de nos assemblées législatives.

Un tableau général de la population indigente de la France, formé par département d'après ces diverses combinaisons (B), présente une masse de 1,585,540 indigens, c'est-à-dire le 1:20 4|10 de la population générale portée à 51,880,674 habitans dans le récensement de 1827 (1). Dans ce nombre ne sont pas compris les indigens admis dans les hospices et les hôpitaux, ni ceux qui sont passagèrement privés de moyens suffisans de travail et d'existence.

Cette proportion de 1 20 110, établie comme moyenne par tous les départemens du royaume, est nécessairement très variable suivant les localités, et surtout d'après le nombre et l'importance des villes : elle s'accroît surtout

(1) On a vu dans le tableau précédent que nous établissions cette moyenne à 1/20. La différence provient de ce que nous avons opéré sur une population de 32,000,000 d'habitans, résultat, en nombres ronds, du dernier recensement; et que nous avons dû augmenter, dans le même rapport, le nombre des indigens du royaume, élevé dans ce calcul à 1,600,000 individus. »

au milieu des populations manufacturières ou de celles qui ont souffert dans leur industrie agricole. Ainsi, par exemple, le rapport du nombre des indigens à la population totale, qui serait de 1 sur 6 pour le département du Nord, de 1 sur 8 pour le département du Pas-de-Calais, de 1 sur 15 dans le Rhône, de 1 sur 14 dans les départemens de l'Aisne, de la Seine et de la Somme, n'est plus que du trentième dans les départemens de la Meuse, de la Meurthe et de la Moselle, du quarantième dans la Lozère, le Bas-Rhin, etc., arrive à son dernier terme (138) dans la Creuse (1).

On peut donc, sous ce rapport, diviser la France en trois régions ou zones du paupérisme.

1o La zone souffrante: elle renferme vingt départemens, 10,062,769 habitans et 770,626 indigens, ou 115 de la population indigente totale.

2o La zone moyenne : trente-huit départemens s'y trouvent compris ; leur population réunie s'élève à 15,045,514 habitans, sur lesquels on compte 350,255 indigens, ou 123 1855 de la population totale.

30 Enfin, la zone favorisée: elle présente vingt-huit départemens, dont la population s'élève à 8,774,591 individus : on y trouve 265,480 indigens formant le 1,33 de la population générale.

L'échelle du paupérisme se trouve graduée du sixième au cinquante-huitième de la population: les départemens du Nord et de la Creuse sont placés aux deux extrémités.

La carte que nous plaçons ci-contre indique, par les diverses dégradations des teintes, les départemens où l'indigence est le plus ou moins répandue.

(1) Il est remarquable que le département de la Creuse, le dernier dans l'échelle de l'industrie, soit celui où l'on compte à la fois le moins de pauvres et le moins de délits.

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