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tration excessive de la richesse foncière et industrielle, on reconnaîtra qu'en réalité, la masse de la population anglaise n'a qu'un revenu inférieur à celui que possède la majeure partie de la population de la France.

Dans quelques départemens du nord de la France et dans quelques-unes de nos grandes villes manufacturières, la misère des ouvriers peut être assimilée, il est vrai, à celle qui règne en Angleterre. On y remarque les mêmes symptômes d'un excédant de population occasioné par une trop grande extension de l'industrie manufacturière, par l'application de l'industrie à la fabrique du coton, par l'emploi des machines et des procédés économiques et par diverses causes analogues à celles qui ont fait naître le paupérisme en Angleterre. La taxe des pauvres y est, sinon légalement, du moins tacitement introduite. C'est aussi dans ces contrées que la classe agricole commence à ressentir les atteintes de la misère. Partout ailleurs elle est heureuse et prospère, et son travail pourvoit convenablement à sa subsistance. La proportion moyenne da nombre des pauvres n'est que de 1 sur 30 habitans dans les communes rurales : elle n'est que de 1 sur 40 dans un grand nombre de départemens agricoles du midi. Quelques départemens agricoles de l'ouest offrent une grande misère depuis que l'on a substitué à l'industrie nationale du chanvre et du lin l'industrie étrangère du coton. Un régime politique exceptionnel pèse encore sur une contrée éminemment catholique et monarchique; mais nous augurons trop bien de la générosité de la France pour ne pas espérer que, bientôt, l'on cessera de rapprocher l'oppression de l'Irlande de la mise en état de siége de la Vendée.

Malgré ces ombres fàchcuses au tableau, on voit combien notre organisation sociale présente d'avantages sur celle de l'Angleterre, combien elle offre de motifs de confiance et d'espoir, et combien seraient dangereux et irréfléchis les efforts qui tendraient à changer la propor

tion si favorable qui existe en France entre l'agriculture et l'industrie, pour lui donner des rapports analogues à ceux qu'un système inhumain a créés en Angleterre.

Lors même qu'on pourrait parvenir à procurer à la France une masse de capitaux capable d'augmenter sa production manufacturière, dans le rapport de 9 à 56, pour égaler celle de l'Angleterre, il faudrait qu'on lui donnât en même temps une marine, un commerce extérieur, des colonies et des débouchés capables de faire écouler ce surcroît énorme de production. Et quand bien même on y aurait réussi sans luttes, sans guerres, sans revers, qu'en résulterait-il pour le pays? Il est évident que notre population recevrait un accroissement semblable à celui de l'Angleterre et qu'elle pourrait être doublée en cinquante ans. Il ne l'est pas moins que nos grands capitalistes et entrepreneurs d'industrie acquerraient d'immenses richesses. Mais notre population ouvrière, une fois augmentée de 30 millions d'individus, présenterait sans doute aussi, comme l'Angleterre, un sixième de pauvres. Ainsi, dans cinquante ou soixante ans d'ici, au lieu de 25 millions de propriétaires, d'agriculteurs ou d'artisans aisés, 6 millions d'ouvriers vivant de leur travail et de 1 million 600,000 pauvres, il est probable, il est même certain que nous aurions deux millions de propriétaires et d'industriels démesurément riches, 24 millions de population agricole plus ou moins gênée, et 36 millions de population ouvrière plus ou moins misérable. Ce n'est pas exagérer que de porter alors à 10 millions le nombre d'indigens qu'il faudrait secourir par une taxe des pauvres. Telle serait la France au gré des novateurs imprudens.

Nous ne parlons pas ici de l'altération profonde que recevraient nos mœurs, nos croyances religieuses, notre politique, notre caractère national. Car pour parvenir au but que l'on nous propose comme l'apogée de la puissance

et de la richesse, il faudrait réformer et sacrifier ces bases de la société française.

Dieu merci, il existe dans la masse de la nation assez de raison, de bon sens, de foi religieuse, d'esprit de charité et de justice, assez de patriotisme et d'honneur pour repousser des tentatives aussi funestes. Nous sommes donc assurés qu'elles seront bientôt jugées et abandonnées. Toutefois, on ne peut se dissimuler que les doctrines anglaises ont pénétré dans beaucoup d'esprits avides de nouveautés, dans beaucoup de cœurs avides de fortune et de jouissances. L'application des théories économiques industrielles a obtenu, çà et là, des succès qui fascinent encore une foule de personnes que de nombreux revers n'ont pas désabusées; beaucoup de faits prouvent combien s'est agrandi l'empire de l'égoïsme, de l'ambition, de la morale des intérêts matériels et des passions basses ou cupides. Les religions nouvelles que l'on voit surgir, indiquent manifestement une excitation à abandonner les croyances de nos pères. Les troubles qui éclatent au sein des populations ouvrières, et les désordres que chaque jour voit naître, dénotent un mal-aise réel et une animosité progressive contre la propriété et l'autorité. Il est évident qu'on cherche à pousser la France dans les voies d'une désorganisation complète au bout de laquelle on ne saurait entrevoir que honte et que misère. Ainsi, on arriverait à tous les maux qui accablent l'Angleterre, sans avoir, pour dédommagement, le vernis brillant qui les dérobe aux regards. Nous aurions le malheur de tous, sans avoir même la richesse et la puissance du petit nombre.

Voilà pourquoi il importe que tous les hommes de cœur et d'expérience, que tous les hommes de foi et de charité, que tous ceux restés fidèles aux doctrines du bien moral, doctrines qui conduisent aussi au bien social et matériel, que nos hommes de génie, surtout, ne cessent d'élever

la voix, d'associer leurs efforts, leurs talens, leurs écrits, leurs exemples, pour combattre les systèmes préconisés par les apôtres de la civilisation moderne. Il faut que l'on sache bien que les bonnes mœurs, la charité et l'agriculture, et une industrie fondée sur les produits nationaux doivent être les bases de la nouvelle école économique de la France, parce que seules elles peuvent rendre les peuples heureux; il faut prouver à tous les esprits de bonne foi que nos doctrines, bien qu'elles semblent faites pour une autre région que la terre, sont aussi celles qui donnent l'aisance, la richesse, la gloire et la félicité aux sociétés humaines ; il faut enfin prouver au peuple que les amis sincères de la religion et de l'ordre sont ses plus véritables amis.

Cette grande et sainte mission, nous la voyons remplir par les plus nobles et les plus puissantes intelligences de notre âge, les Châteaubriand, les Bonald, les Lamartine, les Silvio Pellico et leurs nobles et courageux imitateurs. Plusieurs journaux les secondent avec un zèle remarquable. Au sein des académies françaises se trouvent des savans, des écrivains, des moralistes qui conservent le dépôt sacré des bonnes doctrines. Le clergé de France s'attache chaque jour davantage à donner l'exemple de toutes les vertus et à fortifier l'instruction des jeunes lévites. Une jeunesse, pleine de foi et d'avenir, se distingue par son ardeur à chercher la vérité dans la politique, dans la philosophie, dans la poésie et dans les arts. De cette union forte et généreuse ne pourra-t-il pas naître un jour la régénération de la société, le triomphe du vrai, du noble et du beau, sur l'erreur, l'égoïsme et une basse cupidité?

<< Si l'on cherchait, dit un spirituel académicien (1), qu'onn'accusera pas d'être trop favorable à la religion,

(1) M. Andrieux, récemment enlevé aux lettres et à de nombreux amis.

quels sont les avantages que la sagesse des gouvernemens doit tendre à faire naître et à conserver, quels sont les fléaux qu'il doit éviter avec le plus de soin, il me semble que voici une double liste bonne à consulter comme règle générale et infaillible. »

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<< Ici tous les biens, comme tous les maux, se produisent les uns les autres, sont à la fois causes et effets. Il ne faut négliger la conservation d'aucun de ces biens, de peur de les perdre tous. Il faut se défendre avec soin de chacun de ces maux, sous peine de voir tous les autres s'ensuivre. »

La liste des causes du bonheur des peuples, aurait pu, comme celle des causes de leur malheur, se résumer en vertus et en vices, comme les vertus et les vices se résument à leur tour en religion ou irréligion.

C'est une vérité sur laquelle nous revenons, parce qu'elle est le fondement de toute notre théorie, que le christianisme est à la fois le moyen le plus sûr, non seulemeut d'assurer la félicite éternelle de l'âme, mais encore de procurer sur la terre la plus grande masse de bonheur à laquelle la race humaine puisse raisonnablement prétendre. La philosophie chrétienne conduit aux nobles et réelles jouissances de la terre, à la véritable gloire des nations, à la paix, à l'union, à l'aisance et au bien-être de tous.

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