La religion est un fait, et non un système ou une hypothèse. Pourquoi donc ne pas chercher de bonne foi, dans cette religion fondée sur la charité même, la raison dernière de la charité, comme celle de la misère et de l'inégalité des conditions humaines ? L'auteur que nous avons cité semble avoir complétement oublié l'existence du christianisme, de ses dogmes et de ses préceptes. Il faut donc rappeler ici ce que nous avons dit ailleurs au sujet de l'indigence et ce que d'autres écrivains d'une autorité imposante ont proclamé bien avant nous. C'est que le but de la destinée terrestre et religieuse de l'homme sur la terre est le travail et la charité; que, pour rapprocher de Dicu l'homme coupable, il fallait lui créer des vertus et de la liberté; que, parmi ces vertus, la charité a été placée au premier rang, parce qu'elle tend à faire du bien aux hommes en vue de Dieu même, et à rapprocher ainsi l'humanité de son auteur; qu'enfin ce qui rend la charité digne de cette auguste prééminence, c'est cette double puissance d'unir l'homme à Dieu, et les hommes aux hommes; c'est d'être, à la fois, le lien de l'ordre social, le réparateur des misères humaines, l'expiation de la faute originelle, la médiation admirable entre la dégradation de la race et le retour à l'immortalité primitive, le gage le plus ineffable de la justice et de la bonté de la Providence, et en même temps le plus doux et le plus délicieux des mouvemens de l'âme. Le paganisme ne connaissait pas la charité, parce qu'il était l'erreur des sens : le christianisme l'a révélée, parce qu'il est la vérité des sens et de l'intelligence. La Providence, en punissant l'homme, mais ne voulant pas l'anéantir, lui devait un soutien et une consolation sur la terre. Prévoyant les besoins nouveaux de la race humaine, elle a d'abord institué la loi du travail, et bientôt après celle de la charité. Plus tard, et lorsque de nouveaux besoins réclamèrent de nouveaux secours, la religion se transforma en quelque sorte dans cette seule vertu, comme si, seule, elle était nécessaire. En effet, toute l'économie du christianisme repose sur la charité personnifiée dans l'Homme-Dieu. Moïse, inspiré par l'Esprit-Saint, s'adressant aux Hébreux : « Si quelqu'un de vos frères, dit-il, est réduit à la pauvreté, n'endurcissez pas votre cœur, et ne lui resserrez pas votre main; mais ouvrez-la au pauvre, et prêtez-lui tout ce dont vous verrez qu'il avait besoin. Donnezlui, et le secourez sans aucun détour ni artifice, afin que le Seigneur vous bénisse (1).... >> Tobie, cet homme juste et craignant Dieu, disait à son fils: «Faites l'aumône de votre propre bien, et ne détournez les yeux d'aucun pauvre; vous mériterez, ainsi, que le Seigneur ne détourne pas ses regards de dessus vous. » David, dans les hymnes sublimes, n'a point oublié de (1) Deuteronome, XV, 7, 8, 9, 10. LOIS DE Moïse. Le législateur ne se borne point à nous prescrire de prêter anx pauvres ; il nous recommande de leur donner la main fermée lui déplaît, il veut qu'on l'ouvre à l'indigent. « Il y aura toujours des pauvres parmi vous, dit-il, c'est pourquoi je te recommande d'ouvrir la main à ton frère indigent. Quand ton frère sera devenu pauvre, et que ses mains seront tombées, tu le soutiendras, » (c'est-à-dire quand il ne sera plus en état de gagner sa vie et celle de sa famille, tu lui donneras de quoi se substanter.) (Lév. XXX, 35.) « Tu ne violeras point le droit de l'étranger. Maudit soit celui qui viole le droit de l'étranger, de la veuve et de l'orphelin. Vous n'affligerez point la veuve et l'orphelin en quoi que ce soit. » (Exode, Deutéron.) « Quand tu feras la récolte, dit-il, tu n'iras pas chercher les gerbes oubliées dans les champs; tu les abandonneras aux pauvres, à la veuve, à l'orphelin, et à l'étranger, afin que l'Eternel te bénisse dans toutes les œuvres de tes mains; tu ne ramasseras pas les épis échappés aux moissonneurs, ou les grains de raisin tombés pendant la vendange, ni les grappes restées dans les vignes, ou les olives à tes oliviers, mais tu les laisseras pour les pauvres, la veuve, l'orphelin et l'étranger: je suis l'Eternel, ton Dieu.» (Deut., XXIV, 19. Lévit., XIX.) Sa bienfaisance était allée plus loin. «< Quand tu moissonneras, tu ne célébrer la charité. « Heureux, s'écrie-t-il, heureux l'homme qui s'applique à connaître et à discerner l'indigent et le pauvre affligé pour le secourir ! » Salomon a inscrit ces paroles au livre de la Sagesse : « Ne dédaignez pas votre frère qui souffre la faim et l'in digence; parlez-lui avec calme et douceur. » C'est ainsi que les sages, les justes, les prophètes préludaient à l'arrivée de ce Messie attendu par les nations, de ce Sauveur qui devait donner l'exemple le plus ineffable de la charité divine, celui d'un Dieu s'immolant pour le salut des hommes, et ne leur demandant, pour prix de cet auguste sacrifice, que d'aimer Dieu de tout leur cœur et le prochain comme ils s'aiment eux-mêmes. Mais moissonneras pas le bout de ton champ, tu l'abandonneras à la veuve, l'orphelin et à l'étranger. Je suis l'Eternel, ton Dieu. » (Lévit., XXIII, 22, XXX, 19.) Ces soins ne suffisent pas à son zèle, il veut que les pauvres soient invités aux réjouissances de nos fètes, aux festins religieux des secondes prémices et des secondes dimes. « Dans ces fètes, tu feras des festins, et tu mangeras devant l'Eternel ton Dieu, toi et ta famille, et le lévite qui est dans tes portes, et la veuve, l'orphelin et l'étranger qui demeurera avec toi. » (Deut., XVI, 11, 14.) « Et quand tu offriras les prémices et les dimes à l'Eternel, tu te réjouiras en sa présence, toi, le lévite, l'étranger, la veuve et l'orphelin. il déclare que Pour assurer ces bienfaits aux pauvres et aux étrangers, le Seigneur les aime, il rappelle aux riches que leurs pères ont été pauvres. « Vous aimerez l'étranger, car vous avez été vous-mêmes étrangers au peuple d'Egypte. Tu ne parleras point mal du sourd; tu ne mettras rien devant l'aveugle pour le faire tomber; tu craindras ton Dieu. Je suis l'Eternel. » ( Lévit., XIX, 14.) << Maudit soit celui qui égare l'aveugle, » et tout le peuple répondra, Amen. (Deut., XXVII, 18.) Voyageurs. Moïse veut qu'on enseigne fidèlement le chemin au voyageur égaré. (Les Athéniens suivirent cet exemple.) « Tu te lèveras devant les cheveux blancs. Respect pour les vieillards. Crains ton Dieu, je suis l'Eternel. » (Lévit., XIX, 32.) — Egards pour les esclaves. — « Souvenez-vous que vous avez été vous-mêmes esclaves en Egypte.» (Exode, XX, 22, 26, 27.) « Tu te réjouiras, toi, ta femme, tes enfans, tes serviteurs et ta servante. » (Exode, idem. ) quelles paroles pourraient mieux définir la charité que celles du Sauveur lui-même! Nous les plaçons ici avec un respectueux attendrissement. Un docteur de la loi s'étant levé, dit à Jésus (pour éprouver quelles étaient sa lumière et sa sagesse) : « Maître, que faut-il que je fasse pour mériter la vie éternelle? » Jésus lui répondit : « Qu'y a-t-il d'écrit dans la loi? qu'y lisez-vous? » Il repartit: « Vous aimerez le Seigneur Dieu de toute votre âme, de toutes vos forces et de tout votre esprit, et votre prochain comme vous-même. » — Jésus lui répondit : « Vous avez bien répondu ; faites cela, et vous vivrez. » — Mais cet homme, voulant faire paraître qu'il était juste, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain? » Jésus, prenant la parole, lui dit : « Un homme, allant de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs qui le dépouillèrent, et, après l'avoir blessé, le laissèrent à demi mort. Il se rencontra qu'un prêtre descendit par le même chemin, qui, ayant vu cet homme, passa outre. Un lévite étant aussi venu au même lieu et s'en étant approché, passa outre pareillement. Mais un Samaritain voyageur arrivant près de cet homme, et le voyant dans cet état, en fut touché de compassion, et, s'approchant de lui, il versa de l'huile et du vin dans ses plaies, les lui banda, le mit sur son cheval, le mena dans une hôtellerie et eut soin de lui. Le lendemain, il tira de sa bourse deux deniers qu'il donna à l'hôte, et lui dit : Ayez soin de cet homme, et je vous rendrai à mon retour tout ce que vous aurez dépensé au-delà de ce que je vous donne. » Lequel des trois vous semble avoir été le prochain de celui qui était tombé entre les mains des voleurs ? Le docteur lui répondit : « Celui qui a exercé la miséricorde envers lui. Allez donc, lui dit Jésus, et faites de même (1). ⟫-Ensuite Jésus s'étant assis dans le temple, (1) Evangile de saint Luc, chap. X et suivans. vis-à-vis du tronc, regardait l'argent que le peuple y mettait. Or, il y avait plusieurs riches qui y mettaient beaucoup; mais il vint aussi une pauvre veuve qui y mit deux petites pièces de la valeur d'un liard. » Alors Jésus, assemblant ses disciples, leur dit : « Je vous dis en vérité que cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres dans le tronc, parce qu'ils n'ont donné que ce qu'ils avaient en abondance; mais celle-ci a donné de sa pauvreté tout ce qu'elle avait, tout ce qu'il lui restait pour vivre. >> Jésus dit encore à ses disciples: « Quand le fils de l'homme viendra dans sa majesté accompagné de tous ses anges, il s'assiera sur le trône de sa gloire, et toutes les nations étant assemblées devant lui, il séparera les unes d'avec les autres, comme un berger sépare les brebis d'avec les boucs, et il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche. Alors le roi dira à ceux qui sont à sa droite Venez, vous bénis de mon Père; possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde; car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire ; j'ai eu besoin de logement, et vous m'avez logé; j'ai été nu, et vous m'avez revêtu ; j'ai été malade, et vous m'avez visité; j'ai été en prison, et vous êtes venu me voir. Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim et que nous vous avons donné à manger, ou avoir soif, et que nous vous avons donné à boire ? »> « Quand est-ce que nous vous avons vu sans logement et que nous vous avons logé, ou sans habits, et que nous vous avons revêtu? Et quand est-ce que nous vous avons vu malade ou en prison, et que nous sommes venus vous visiter? >> « Et le roi leur répondra: Je vous le dis, en vérité, autant de fois que vous l'avez fait à un des moindres de mes |