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un billet cacheté, qui lui est fidèlement remis, et toujours intact, au moment de sa sortie. Ce billet n'a jamais été ouvert qu'en cas de mort, et les morts sont bien rares.

A toute heure du jour et de la nuit, l'infortunée est reçue à l'hospice. Après ses couches, elle peut y laisser son enfant, moyennant 24 florins pour son admission, ou bien elle l'emmène avec la constante certitude que le secret, duquel dépend son honneur, n'a point été pénétré. En Turquie, tout enfant-trouvé est réputé musulman et libre. Si aucun individu ne se charge de lui, il appartient à l'état, et c'est des deniers publics qu'il doit être nourri et élevé (1).

(1) Voir les chapitres V, livre III; XI, livre V; IV, livre VI.

CHAPITRE XII.

DES MAISONS D'ALIÉNES.

Pouvez-vous sans pitié, pour son malheur affreux,
Comme un vil criminel traiter un malheureux?
S'il est infortuné, faut-il être barbares?

(DELILLE.)

PARMI les infirmités qui affligent l'humanité, l'aliénation mentale est celle qui mérite, sans doute, d'exciter au plus haut degré la pitié publique; mais c'est aussi celle qui inspire le plus d'éloignement et d'effroi.

De tous les temps, la folie furieuse a paru ressortir de la juridiction de la police, plutôt que du domaine de la charité et de la religion. On a long-temps regardé l'aliénation mentale comme une maladie incurable, et considéré, comme entièrement perdus pour la société, les individus qui en étaient une fois atteints. On ne s'occupait donc que des moyens de les empêcher de nuire.

On ignore ce qu'ils devenaient chez les peuples anciens. Il est vraisemblable qu'ils n'étaient pas plus épargnés que les enfans infirmes et les vieillards esclaves, et que la prison, l'abandon ou la mort en délivraient les sociétés païennes.

Depuis l'établissement du christianisme, les aliénés fu

rieux demeurèrent long-temps soumis aux mêmes traitemens que les criminels. Ordinairement, ils étaient renfermés dans des cachots ou dans des donjons, et plusieurs même, furent brûlés comme sorciers ou possédés du démon. Des associations charitables, seules, leur apportaient quelques soins compatissans. Les plus tranquilles, les idiots, erraient librement dans les villes, dans les hameaux, dans les campagnes, abandonnés, comme ils le sont encore aujourd'hui dans quelques contrées, à la risée, aux injures, à la pitié ou à la vénération superstitieuse de leurs concitoyens.

En France, plusieurs maisons religieuses accueillirent ces infortunés; mais ce n'est que vers le seizième siècle qu'on s'occupa de leur sort d'une manière spéciale. Lorsque saint Vincent de Paule plaida la cause de l'humanité avec une éloquence si entraînante que partout, à sa voix, s'ouvrirent des asiles pour l'infortune, les aliénés cessèrent en général d'être confondus avec les criminels. On les considéra comme vagabonds, et, à ce titre, on les plaça dan les hôpitaux généraux créés pour l'extinction de la mendicité. Mais comme ils troublaient l'ordre de ces maisons, on les relégua dans un quartier séparé, où on les enchaînait pendant les momens de fureur. Dans quelques provinces, on leur affecta d'anciennes maladreries devenues inutiles. Successivement, on les admit dans la plupart des hospices destinés aux vieillards et aux infirmes. Ils occupaient un quartier à part, divisé en loges ou cellules, et les hospitalières furent chargées d'en prendre soin. Ceux qui ne purent être recueillis dans ces institutions de charité demeurèrent dans les dépôts de mendicité, et quelques-uns, enfin, dans les prisons.

Les congrégations religieuses, et particulièrement celle des moines augustins, s'étaient, les premières, empressées de recueillir un grand nombre de ces malheureux, et il était peu de maisons religieuses qui n'en entretînt quelques

par

uns. Successivement, il s'en forma pour soigner spécialement les aliénés. On vit une maison s'établir à Charenton les frères de la Charité ou de Saint-Jean-de-Dieu. Dans le nord de la France, ces mêmes frères, plus connus sous le nom de Bons-Fils, jouirent en quelque sorte du privilége exclusif de soigner les insensés. Ils eurent de grands pensionnats à Lille, à Armentières, à Saint-Venant en Artois, à Maréville, près Nanci. Lorsqu'il se trouvait, dans des familles opulentes, quelques individus atteints de folie, on plaçait près de lui un de ces frères pour le surveiller. Plusieurs de ces religieux remplissaient les mêmes soins dans divers hospices. C'est à Lyon et à Rouen que, pour la première fois en Europe, l'on commença d'appliquer un traitement curatif à l'aliénation mentale, regardée jusqu'alors comme incurable. A Paris, ce ne fut qu'en 1787 que l'on songea à imiter cet exemple d'une charité éclairée. Louis XVI fit bâtir pour cet objet l'hôpital de la Salpétrière. M. Viel, architecte habile, et MM. Tenon et Soulavie, médecins, avaient été chargés par cet excellent prince d'aller étudier en Angleterre les établissemens d'aliénés, que, malgré leur imperfection, on regardait alors comme des modèles.

Les plans de M. Tenon, les projets plus étendus de M. de Larochefoucauld-Liancourt, et les aperçus législatifs de M. Cabanis sur cette importante amélioration, furent ajournés. D'autres soins alors occupaient les esprits, et Louis XVI n'était plus le maître de se livrer exclusivement à sa bienfaisance.

En 1792, M. Pinel, nommé médecin en chef de Bicêtre, eut l'heureuse inspiration d'essayer l'effet de ses soins sur les fous qui avaient été envoyés dans cette maison, après avoir été jugés incurables par les médecins de la Salpétrière. 80 maniaques, habituellement enchaînés, furent délivrés de leurs liens; rendus à un traitement plus doux

et plus salutaire, plusieurs reprirent l'usage de leur intelJigence.

La France a ainsi la gloire d'avoir donné aux autres nations l'exemple du traitement moral des aliénés.

Toutefois, les grandes améliorations obtenues dans le régime des hôpitaux ne s'étendirent que lentement, et dans peu de villes, au sort des aliénés. Les troubles révolutionnaires arrêtèrent le mouvement donné par Louis XVI. Le gouvernement impérial apporta des regards attentifs sur cette partie de l'administration des secours publics. Celui de la restauration ne cessa de s'en occuper avec un zèle extrême. Une maison royale modèle fut fondée à Charenton. Aujourd'hui, Bordeaux, Rouen (1), Nîmes, Lyon, Nantes (2), Tours, Armentières, Nanci (3), possèdent, ou sont à la veille de posséder, des maisons où les insensés des départemens circonvoisins reçoivent tous les secours que réclame l'humanité, et que la science est parvenue à rendre efficaces.

Quelques autres villes s'occupent également d'établir des hôpitaux pour le traitement de la folie des maisons

(1) Le magnifique hôpital des Insensés de Rouen est dû à l'habile et sage administration, de M. le baron de Vanssay, préfet de la Seine Infé

ricure.

(2) A Nantes, on a projeté, en 1826, sous l'administration de M. de Villeneuve, de former un hôpital d'insensés dans les vastes bâtimens de l'ancien dépôt de mendicité. M. de Tollenare, secrétaire général de l'administration des hospices, et MM. Drouillard, architectes, en avaient rédigé les plans avec les soins les plus éclairés.

(3) L'hospice de Maréville, près Nanci, rétabli par M. Marquis, an cien préfet, est confié aux soins des dames de Saint-Charles. Rien ne peut égaler leur zèle, leur sagesse et leur tendre humanité. La respectable supérieure (sœur Euphémie ) avait obtenu, sur les insensés placés dans cette maison, un ascendant tel que le moindre signe de sa part recevait une obéissance empresséc, et que sa seule présence (nous en avons été souvent témoin) calmait les plus furieux emportemens: tant est grand le pouvoir de la charité religieuse, même sur les êtres privés d'intelligence !

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