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A Naples, l'établissement est dirigé par un ecclésiastique on y a réuni tous les moyens de distraction, et particulièrement des instrumens de musique. On a signalé de grands succès obtenus par cette méthode de traitement. Cependant plusieurs médecins éclairés ont cru devoir attendre une plus longue expérience avant d'en proposer mitation.

Ainsi, l'on peut espérer que par degrés le sort des malheureuses victimes de la plus cruelle des maladies sera soulagé dans tous les états chrétiens, selon les vœux de la charité religieuse.

En Turquie, la folie est regardée comme une marque de la faveur du ciel. On n'a garde, par conséquent, d'entreprendre de la guérir. M. Michaud, dans sa correspondance d'orient, en 1830 et 1851, raconte comment le concierge musulman d'une maison de fous à Constantinople, lui expliqua l'origine de la croyance mahométane que la folie est sacrée. « La raison, disait ce concierge, a été donnée à l'homme pour le conduire dans cette vie. Dès qu'elle se retire, il faut bien que la bonté divine prenne sa place. » Les fous furieux sont enfermés dans des maisons magnifiques, mais à la vérité, presque nus et enchaînés. Au Caire, lors de l'expédition d'Egypte, il existait un hôpital où M. le docteur Desgenettes a trouvé plusieurs aliénés dans un état d'abandon presque absolu.

Nous terminerons ce chapitre en donnant quelques détails sur un village appelé Village des Fous; non que la folie y soit endémique, mais parce que les fous y abondent de tous côtés. Son nom véritable est Géel; il est situé dans la Campine en Belgique; on y envoie des aliénés de toutes les contrées voisines, même de Bruxelles. Ils sont mis en pension chez des paysans, mangent avec leurs hôtes, logent dans leurs maisons et se promènent librement. S'ils se livrent à des excès on leur met les fers

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aux pieds. Il y a à Géel une pierre mystérieuse, élevée dans un lieu consacré, qui passe pour opérer des miracles. Cet étrange pensionnat fait de temps immémorial la seule richesse des habitans de Géel (1).

(1) Il existe à Géel (bourg d'environ 6,500 habitans, presque tous cultivateurs, à cinq licues de Turnhout, province d'Anvers), par suite de diverses circonstances, un grand nombre d'aliénés placés chez des fermiers qui les occupent, suivant leur force et leur âge, à des travaux champêtres. La liberté qu'on leur laisse, le grand air, leurs occupations de culture, la vie paisible qu'ils mènent, rendent à beaucoup de ces infortunés les facultés que les adversités, les chagrins et d'autres causes leur avaient fait perdre. Bruxelles, Anvers, et beaucoup d'autres villes, au lieu de tenir les aliénés indigens, et qui ne sont point dangereux, renfermés dans un hospice où l'état de ces malheureux ne fait ordinairement qu'empirer, les envoient et les mettent en pension chez des cultivateurs de Géel. Les hospices y paient 90 florins par individu, et les habillent. Ils y trouvent une très grande économie, outre les avantages qu'ils recueillent sous le rapport de l'humanité.

L'arrivée des insensés à Géel est accompagnée de circonstances d'un grand intérêt : ils sont d'abord déposés dans l'église, où un ecclésiastique, dont le zèle s'est en quelque sorte façonné à leur infirmité, leur donne les consolations qu'offre la religion, et les exhorte ordinairement, avec succès, à prendre part à des prières analogues à leur état; ils sont ensuite répartis chez les cultivateurs, qui, malgré la modicité de la pension, les recherchent et en prennent le plus grand soin. Les aliénés les plus aisés sont ordinairement en pension chez les plus riches cultivateurs, livrent aussi, comme les indigens, aux travaux de l'agriculture : ils ont généralement l'air satisfait, et sont avec leurs hôtes comme en famille. Il n'y a pour ainsi dire pas d'exemple qu'aucun aliéné se soit livré à des excès, et l'on en a vu rester vingt ans dans la même ferme sans avoir jamais manifesté le désir de la quitter, et travaillant sans s'ennuyer.

et se

Une jeune fille bien née, appartenant à une famille respectable, avait eu le malheur de se livrer à un ravisseur dont elle fut bientôt abandonnée. Elle en devint folle, et fut enfermée; mais étant parvenue à s'échapper, elle arriva de nuit à Géel, où sa déplorable situation intéressa une famille de bons cultivateurs qui la reçurent chez eux, et parvinrent à la guérir en la faisant participer à leurs travaux pour la distraire. Rappelée à la raison par leurs soins, elle ne voulut plus avoir d'autre séjour ni d'autre existence que d'y consacrer, à des êtres affligés du malheur qu'elle avait si bien connu, des secours pareils à ceux qu'elle avait reçus. Des

soins si pieux eurent un succès assez fréquent pour qu'elle laissât en mourant, dans ce pays, l'idée d'une sainte, et l'invocation à Sainte-Dymphe (tel était son nom) est encore considérée comme un moyen de guérison et d'influence sur l'aliéné.

Ce trait a été renouvelé aux Etats-Unis à l'occasion de l'établissement d'un hospice d'aliénés.

Il existe à la Salpêtrière une folle qui a eu le même sort que Dymphe. (Des Colonies agricoles, par M. Huerne de Pommeuse.)

CHAPITRE XIII.

MAISONS D'Aveugles.

« Qu'il est glorieux pour la France, si féconde en établissemens utiles, d'avoir donné la première, l'impulsion à ce nouveau genre de bienfaisance, et de voir les autres nations s'empresser d'accueillir et de naturaliser chez elles ces institutions! >>

(Essai sur l'instruction des aveugles, par le docteur GUILLIÉ.)

SAINT-LOUIS est le fondateur du premier asile qui ait été créé en France et en Europe en faveur des aveugles pauvres et abandonnés aux soins de la pitié publique. L'institution des Quinze-Vingts eut pour objet principal les croisés qui avaient perdu la vue dans les sables brûlans de l'Afrique ou par la barbarie des Musulmans; mais elle recueillit en même temps d'autres infortunés privés de la lumière, et devint, peu d'années après, un hospice d'aveugles pris dans la classe de tous les pauvres et placés sous la direction de la grande-aumônerie de France.

Depuis long-temps des personnes pieuses et des savans distingués avaient conçu la pensée de donner aux aveugles une institution qui pût suppléer à la privation de l'organe de la vue; beaucoup d'essais avaient été tentés, et, bien qu'infructueux, ils avaient donné des idées utiles; mais il

fallait tout le zèle et tout le dévouement d'un homme ardent et passionné, pour entreprendre de réunir des élémens épars, de les coordonner et d'y ajouter les résultats d'une expérience suivie.

L'homme qui se dévoua à cette œuvre si honorable pour l'humanité et la science fut M. Valentin Hauy (1), frère de l'abbé Hauy, physicien et minéralogiste célèbre. On lui doit l'idée de la première école établie en Europe pour l'instruction des aveugles-nés, qui fut placée, en 1784, dans une maison spéciale, aux frais de la Société philantropique. M. Hauy en devint le directeur. On compte parmi les bienfaiteurs de l'institution MM. Bailly, maire de Paris, le duc de Larochefoucauld - Liancourt, mesdames de Planoy, Dumesnil, Desfaucheret, la baronne de Staël, etc.

En 1785, le nombre d'élèves entretenus gratuitement. était de 25. Leur instruction fut assez avancée l'année suivante pour qu'ils pussent être admis à l'honneur de faire un exercice, à Versailles, devant le roi Louis XVI, qui accordait un touchant intérêt à cette entreprise charitable.

L'institution se soutint, à travers beaucoup d'obstacles, jusqu'en 1791. A cette époque, Louis XVI ordonna qu'elle serait entretenue aux frais de l'état et placée, avec celle des sourds-muets, dans l'ancien couvent des Célestins, près l'Arsenal.

Par une loi rendue le 10 thermidor an 5, l'institution des aveugles-travailleurs fut séparée de celle des sourdsmuets et transportée dans la maison des Filles-SainteCatherine, rue des Lombards. Le nombre des élèves fut fixé à un par département, et le taux de la pension à 500 fr. Le 26 pluviôse an 9, un arrêté des consuls ordonna que les aveugles-travailleurs seraient sur-le-champ transférés dans l'enclos des Quinze-Vingts, et la gestion de

(1) M. Valentin Hauy a été depuis directeur de la Société des théophilantropes, instituée par Réveillière-Lépaux.

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