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en France s'introduire cet état permanent de souffrance, provenant du défaut et de l'insuffisance du travail et d'un excédant de population ouvrière. Ces indigens, à peine connus dans les temps où l'on s'efforçait d'encourager la population, sont venus grossir les listes des pauvres qui ne peuvent travailler; ils surchargent la charité administrative et la charité religieuse d'un fardeau auquel elles ne peuvent plus désormais suffire, quelque développement qui ait été donné à l'organisation des secours à domicile, et malgré la foule d'institutions charitables créées chaque jour pour soulager la misère ou la prévenir dans les classes industrielles.

C'est à partir de cette époque que la charité a dû prendre de nouvelles formes et une nouvelle puissance. Sans cesser d'être toujours la vertu simple, modeste et céleste par excellence, elle est appelée à prendre rang dans les sciences politiques et économiques pour combattre l'effet de fausses théories, pour réparer des maux qu'elle n'a pas faits. C'est ainsi qu'elle demeurera l'élément toujours indispensable de la civilisation progressive.

En 1829, on évaluait par approximation le nombre des indigens qui, en France, manquent de travail, ou ne reçoivent qu'un salaire insuffisant pour faire vivre leur famille, à environ 1,366,340 individus, savoir :

1° Indigens par surabondance d'enfans.

2° Par défaut de travail, insuffisance de sa

laire, ou suite de malheurs.

3° Par inconduite.

Total.

790,000 individus.

270,000

306,340

1,366,340

On comprend dans la première catégorie 5 5 d'enfans (540,090), dont environ 76,000 sont présumés mendians. Dans la troisième, 30,000 indigens valides des deux sexes se livrent à la mendicité.

Le nombre total de ces indigens s'est accru considéra

blement depuis la révolution de Juillet. Nous avons, d'après des calculs fort loin d'être exagérés, évalué cette augmentation à 232,562 individus (environ 16 312), et nous avons malheureusement la crainte trop fondée de la voir s'étendre chaque année davantage. Le remède se trouve dans un prompt retour à d'autres principes d'industrie et d'économie politique, et dans une nouvelle manifestation de la charité générale, ou plutôt dans le seul principe de la charité appliquée à toutes les relations de la vie sociale; car tous les moyens nécessaires que nous indiquerons nous paraissent bien incomplets et bien vagues, si la charité ne les vivifie de sa chaleur bienfaisante.

CHAPITRE XIX.

DES MONTS-DE-PIÉTÉ.

Si vous prêtez de l'argent à ceux de mon peuple qui sont pauvres parmi vous, vous ne les pressurerez point comme un exacteur impitoyable et vous ne les accablerez point par les usures.

Si votre prochain vous a donné son manteau pour gage, et qu'il n'ait que cela pour se couvrir, vous le lui rendrez avant que le soleil soit couché. (Exode.)

Au nombre des causes qui ont aggravé de tous les temps le sort des ouvriers pauvres, on doit justement placer l'égoïsme avide de quelques mauvais riches toujours aux aguets pour spéculer sur leurs besoins les plus impérieux. L'usure, quelque innocente et légale qu'elle paraisse aux yeux de l'économie politique, a pour inévitable effet de plonger, dans le dernier degré de la misère, le malheureux qui a dû réclamer une fois ses infâmes et perfides secours.

Le spectacle des ravages que ces sangsues de l'infortune imprévoyante exerçaient dans la plupart des villes d'Italie, inspira à la charité religieuse la pensée de fonder des établissemens où, moyennant un nantissement suffisant et un modique intérêt, on prêterait de l'argent aux pauvres que de pressans besoins portaient à vendre leurs effets ou d'emprunter à usure: ces institutions prirent le nom de monts-de-piété.

!

La plus ancienne dont il soit parlé dans les annales de la charité est celle qui fut fondée à Padoue en 1491, en même temps que l'on faisait fermer douze banques de juifs qui y exerçaient une usure excessive. On croit communément que le pape Léon X fut le premier qui autorisa, à Rome, cette charitable fondation. Cependant la bulle qu'il donna à cet égard, en 1531, fait mention de Paul II, qui déjà avait approuvé la création du mont-de-piété à Rome. Le mont-de-piété d'Avignon, alors sous la domination du saint-siége, fut établi en 1577. Les papes, et, à leur exemple, les cardinaux, accordèrent de puissans secours aux monts-de-piété d'Italie. Ces maisons recevaient en gage toutes sortes de bijoux, de meubles et d'effets. Il y avait des priseurs qui estimaient ces gages, et l'on prêtait jusqu'aux deux tiers du prix de l'estimation. S'il ne s'agissait que d'une valeur de trente écus, la somme était prêtée sans intérêt pendant dix-huit mois. Si l'on avait besoin d'une plus forte somme, on payait un intérêt de 2 pour 100 par an. Après dix-huit mois, les effets mis en gage étaient vendus à l'encan. Le mont-de-piété prélevait le montant de ses avances, et gardait le surplus pour être remis aux propriétaires lorsqu'ils viendraient le réclamer. Ceux qui ne voulaient pas que leurs effets fussent vendus, n'avaient qu'à demander un renouvellement de billets, ce qu'on obtenait facilement lorsque la somme ne dépassait pas trente écus. Lorsqu'elle était supérieure à ce taux, on devait contracter un nouvel engagement où les intérêts étaient ajoutés au principal.

L'exemple donné par l'Italie fut successivement suivi par les capitales et les principales villes de l'Europe.

Le gouvernement des Pays-Bas fut un des premiers à voir introduire dans son sein les monts-de-piété. Par lettres-patentes du 9 janvier 1618, l'archiduc Albert, alors gouverneur des Pays-Bas, dans le but de faire cesser les prêts usuraires qui ruinaient un grand nombre de particu

liers, autorisa l'établissement de plusieurs de ces institutions dans cette partie de l'empire autrichien. Ce fut en vertu de cet acte que des maisons de prêt sur gages furent ouvertes à Gand, à Anvers, à Bruxelles, etc. La Flandre française, qui faisait alors partie de la domination espagnole, posséda bientôt de semblables institutions: il s'en établit en 1625, 1628 et 1633 à Bergues, à Lille, à Cambrai, à Douai et à Valenciennes.

Joseph Ier, empereur d'Autriche, fonda un mont-depiété à Vienne en 1707 : l'intérêt du prêt sur gages était de 8 pour 100.

En France, l'introduction de ces maisons de prêt a été plus tardive. Les fonds nécessaires à leur service, à Paris et dans les villes principales, furent créés par la voie des emprunts: l'intérêt, d'abord fixé à 15 pour 100, fut réduit à 10 pour 100 par un arrêt du conseil rendu en

1777.

La dotation des monts-de-piété avait été considérablement réduite dans le cours de la révolution par l'effet de la remise gratuite d'un grand nombre de gages ordonnée par les lois des 4 pluviôse an 2 et 1er pluviôse an 3, et surtout par la dépréciation du papier-monnaie qu'il avait fallu recevoir en remboursement des sommes prêtées. Il n'est donc pas étonnant que ces établissemens fussent forcés bientôt après de cesser leur service. En l'an 11, ils furent rétablis sur les nouvelles bases d'après lesquelles ils sont actuellement régis.

L'administration de ces établissemens est confiée aux commissions administratives des hospices des lieux où ils sont situés. Le service est fait par un directeur comptable qui a, sous ses ordres, des employés chargés de l'évaluation des objets, de l'engagement et du dégagement, du classement et de la recherche des gages, etc. Un contrôleur est chargé de surveiller les opérations. Tous les employés sont assujettis à un cautionnement dont ils reçoivent l'in

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