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bandes de 1,000 à 1,500 ouvriers, dépourvus de travail, parcouraient les campagnes du département de l'Aisne en demandant des secours et en menaçant du pillage. Il fallait donc, à tout prix, leur donner des moyens de subsistance. Mais on ne peut que déplorer une situation qui forçait à consacrer le principe de la taxe des pauvres dans un département placé au premier rang par son commerce, son industrie et sa richesse.

La misère publique ne se montrait pas sous des couleurs moins sombres dans les autres parties du nord de la France. «< A Sédan, dit le Temps (1), « il n'est pas rare de voir de malheureux ouvriers rassemblés autour des gens qui se chargent de l'abattage des chevaux malades en attendant le moment où ces animaux sont dépouillés pour s'en partager la chair. Les dévastations continuent dans les forêts de l'état. Dans la crainte d'irriter les ouvriers sans ouvrage et sans pain, on s'abstient de se réunir et presque de se visiter. Il serait dangereux à une femme de se montrer parée dans les rues de la ville. »

M. le baron de Morogues, dans son écrit sur la misère des ouvriers, fait remarquer qu'antérieurement à la révolution de Juillet, il y avait à Orléans, 10,500 pauvres dans le cas de recourir à la charité publique, c'est-à-dire un quart de la population. Depuis la révolution, il y en a cu jusqu'à 14,000, dont près de 12,000 ont été inscrits sur la liste des pauvres, tandis que dans le reste du département on n'en comptait guère que dans la proportion de 1 sur 20 habitans. « On peut juger par-là, ajoute-t-il, si la grande industrie qui attire les classes ouvrières dans les cités populeuses, les rend aussi heureuses que si elle les laissait dispersées dans les campagnes et si le gouvernement faisait tous ses efforts pour leur procurer là tous les travaux agricoles qui peuvent accroître les produits du sol de la France.

(1) 29 décembre 1831.

Le journal de Paris (1) faisait les réflexions suivantes sur la situation des classes industrielles à la fin de 1851.

« La classe ouvrière souffre depuis 15 mois. C'est un fait incontestable, mais ce fait est la conséquence nécessaire de notre situation politique. »

« Les gens qui possèdent sont généralement timorés; les troubles leur sont antipathiques. Sans travail, il n'y a que misère et que douleur pour la classe ouvrière, et sans confiance, sans sécurité dans l'avenir, il n'y a point de travail. »

« Que peut le gouvernement pour y remédier? Qu'estce qu'un secours de 59,000,000 fr. pour la classe ouvrière considérée en masse? On compte, dans les temps ordinaires, de 4 à 5 millions d'indigens qui vivent en totalité ou en partie de la charité publique (2).».

« Ce n'est pas assurément exagérer que d'estimer que ce nombre est doublé lorsque, par une circonstance quelconque, le travail vient à manquer. Voilà donc & millions de nouveaux pauvres accidentels qui vont se disputer le travail que vous venez de créer. Supposons qu'ils puissent avoir une part égale dans ce travail, et calculons combien de jours 39,000,000 fr. leur donneront de pain. En retranchant le tiers pour la valeur des matériaux employés, la somme à dépenser en main-d'œuvre ne sera plus que de 26 millions qui, divisés sur 3 millions d'ouvriers, ne leur donne, à 30 s. par jour, du travail que pour 3 jours et demi. Notre évaluation du nombre des bras oisifs paraîtra-t-elle exagérée de moitié? Les deux millions cinq cent mille ouvriers restant auront 7 jours de travail au lieu de 3 12. »

« On le voit tous les secours du gouvernement en pareil cas ne sont que de faibles palliatifs. Ce n'est pas d'une seule source, c'est à la fois de toutes les sources de la prospérité que le travail doit se répandre; c'est là de l'économie politique à la portée de tout le monde. »

(1) 2 décembre 1831.

(3) On a vu que ce nombre était fort exagéré.

« Or, si la propriété est inquiète, à tort ou à raison, toutes ces sources perdent plus ou moins de leur volume, si quelques-unes ne se tarissent tout-à-fait. »

« Le mal a donc sa source dans le défaut de confiance. Qui a détruit cette confiance? n'est-ce pas la révolution? »

« La révolution n'a tenu nul compte de la classe qui possède. Toute l'action politique a été concentrée dans la classe moyenne: le principe, conservateur de l'hérédité, a reçu atteintes sur atteintes. Comment s'étonner que la propriété se soit alarmée et que les capitaux soient rentrés en terre! Il faut donc nécessairement, pour rendre le travail à la classe ouvrière, satisfaire la propriété. L'ordre ne renaîtra que quand la France propriétaire, saura qu'en enlevant l'hérédité du faîte de l'édifice, on lui a enlevé son paratonnerre. Les propriétaires de toutes les classes commencent à dire que, depuis qu'on a atteint l'hérédité politique, c'est l'héritage qu'on a mis en question (1).

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Ces citations, qu'il serait facile d'étendre davantage, suffisent pour dépeindre l'état où quinze mois de révolution avaient plongé les classes ouvrières.

Du reste, nous ne pouvons fixer que par aperçu le chiffre auquel a dû s'élever le nombre des pauvres depuis les événemens de juillet. Nous ne croirons pas néanmoins exagérer en estimant que, dans les départemens de la région du nord, ce nombre s'est accru d'un tiers (2); qu'il s'est augmenté d'un sixième dans les départemens de l'ouest; d'un dixième, dans ceux de l'est; d'un quinzième, dans ceux du centre; et enfin d'un vingtième,

(1) Nous ne pouvons qu'approuver entièrement ces remarques si judicieuses d'un journal dont nous ne partageons pas en général la tendance politique elles prouvent que les hommes sages, de toutes les opinions, ne peuvent manquer de se rencontrer dans les principes conservateurs de Fordre social.

(2) Il faut remarquer que l'augmentation a lieu surtout dans les villes manufacturières, et que les provinces du nord en renferment le plus grand nombre.

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