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laissé s'introduire les dangereuses doctrines économiques et industrielles de l'école anglaise.

Il serait douloureux que le malheur de ces contrées servit de prétexte et d'appui aux attaques portées contre la charité française et contre les institutions qu'elle a fondées. Il est certain que le sort des populations ouvrières des départemens du nord et de quelques autres provinces de la France exige désormais d'autres secours que des aumônes. Depuis que les couvens, les abbayes et les richesses du clergé ont disparu, certes, les aumônes individuelles auraient été bien inefficaces pour soulager, avec quelque succès, une indigence aussi profonde et aussi étendue. La charité religieuse a, dès long-temps, prouvé dans ce pays qu'elle ne faisait pas consister son action dans ce moyen isolé et précaire; elle lutte avec ardeur contre l'action des mauvais principes; elle recommande, avant tout, le travail, l'épargne, la tempérance. Mais le travail, il ne dépend pas d'elle de le rendre permanent et suffisamment rémunératoire, puisque l'aristocratie industrielle s'efforce au contraire de diminuer incessamment la main-d'œuvre et le salaire. L'épargne, peut-elle l'imposer à l'ouvrier qui gagne à peine de quoi exister? La tempérance, la moralité, l'instruction, a-t-elle la puissance de les exiger lorsque les ouvriers, par la négligence ou par le calcul de leurs maîtres, sont laissés dans la plus profonde dégradation physique et morale?

Dans une telle situation, elle a conservé, multiplié, étendu les moyens de secours et d'instruction; elle soulage ceux que le travail abandonne, ceux dont il a ruiné les forces ou l'intelligence, ceux que les entrepreneurs d'industrie font croupir dans la misère et dans l'abrutissement. Elle est bien forcée, dans cette grande tàche, d'unir la raison au sentiment. Depuis long-temps la charité des moines n'existe plus. Il est vrai que l'aumône individuelle n'est pas encore interdite; il est vrai que l'on donne des

secours pour soulager la vieillesse, l'enfance, les infirmités, le dénûment. Il est vrai qu'on cherche à conserver les êtres que la Providence a fait naître et que la charité se charge ainsi de la destinée des malheureux, sans examiner si les lois de la philantropie et de l'économie politique repoussent cette protection tutélaire. Là, comme en Angleterre, et par les mêmes causes, les ouvriers sont trop nombreux; mais on aime mieux les soulager que les laisser mourir. Qu'on accuse une telle charité d'ignorance et de fanatisme : nous laissons à l'humanité à prononcer.

Le vertueux et savant médecin Coste (1), frappé de la tendance des doctrines modernes, s'écriait avec une généreuse indignation : « Toujours du travail au pauvre ! c'est la proposition bannale des frondeurs de la charité. Mais, grands docteurs! c'est précisément parce que cet indigent n'a pas la force de continuer son travail qu'il est tombé malade; l'autre éprouve le même malheur parce que n'ayant pu trouver de travail il n'a pu se nourrir, et que lorsque vos délais très méthodiques lui ont permis de montrer qu'il meurt de faim, le secours alimentaire que vous lui procurez à l'agonie ne pourrait plus se digérer ni le rendre à la vie. » C'est là, en effet, à quoi tendent les systèmes des économistes anglais.

Nous le reconnaissons sans peine plus que jamais la charité doit être éclairée, prévoyante et prudente. Toujours elle a dû l'être, parce qu'il est dans son essence de produire le bien absolu. Aussi conseillons-nous aux hommes religieux et charitables de donner désormais à leur charité ce degré de perfection que les besoins des temps commandent avec rigueur; mais nous croirions faire injure à cette charité si nous lui demandions des calculs égoïstes, si nous cherchions à affaiblir en quelque chose sa sympathie pour le malheur; si, pour éviter un mal éloigné, nous

(1) Auteur de l'article hôpitaux, dans le Dictionnaire des sciences médicales.

conseillions de retarder le soulagement d'une misère réelle.

Connnaître tous les pauvres, étudier leurs véritables besoins, les secourir chacun selon ses nécessités morales et physiques, propager l'esprit d'association charitable, recueillir toutes les lumières qui peuvent aider l'efficacité des secours, telle est la mission actuelle de la charité. Elle parviendra à la remplir si on lui accorde la liberté et le pouvoir nécessaire. Cette liberté et ce pouvoir, c'est tout ce qu'elle demande aux professeurs de philantropie. Ceux-ci, s'ils ont réellement à cœur l'amélioration des classes inférieures, ont une carrière plus vaste à parcourir que celle d'imposer des lois et des limites étroites à la charité chrétienne. Qu'ils apprennent aux riches industriels à ne pas créer des richesses aux dépens du salaire des ouvriers, à fournir à ceux-ci la possibilité de faire des épargnes, à veiller à leurs mœurs, à contribuer à leur éducation morale et à leur instruction. Au lieu de blâmer les institutions de la charité publique, qu'ils engagent les gouvernemens à retarder l'époque des mariages, à rendre l'enseignement religieux, à supprimer les impôts immoraux qui pèsent sur les classes pauvres, à favoriser l'agriculture et l'industrie nationale, enfin à donner plus d'influence aux principes d'une religion qui commande le travail, la tempérance, l'instruction et les vertus. C'est ainsi qu'ils concilieront la prudence avec l'humanité, la raison avec le sentiment, la richesse avec la justice, la dépendance avec la liberté, la philosophie avec la religion et la philantropie avec la charité..

LIVRE IV.

DE LA LÉGISLATION RELATIVE AUX INDIGENS.

CHAPITRE I.

DE LA CHARITÉ LÉGALE.

Il y a une raison primitive, et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les rapports des différens êtres entre eux. (MONTESQUIFU.)

Le principe de l'intervention des gouvernemens dans l'administration de la charité nous paraît également réclamé par la religion et par la politique. Le christianisme, en donnant la charité pour base à la société nouvelle, a voulu que cette vertu fût le devoir comme le plus bel apanage des rois et des puissances de la terre. Ministres visibles de la Providence, les gouvernemens ont pour but d'assurer, à tous les membres de la société, justice, protection, liberté. Institués uniquement pour le bonheur des peuples, leurs soins doivent s'étendré aux pauvres bien plus qu'aux riches, aux faibles plus encore qu'aux puis

sans. Les malheureux doivent trouver en eux un appui tutélaire. La charité, obligatoire pour tous les hommes, devient ainsi, sous des rapports plus vastes et plus élevés, un immense devoir moral pour ceux que Dieu a placés à la tête des nations.

D'un autre côté, l'ordre et la paix des sociétés ne sauraient exister si l'inégalité des conditions n'était tempérée par une charité prévoyante et journalière. La force ne suffirait pas pour contenir les classes inférieures et indigentes que l'abandon des riches mettrait sans cesse aux prises avec le sentiment de la haine et du désespoir. Ce n'était point assez que d'avoir proclamé la nécessité du travail et offert aux pauvres l'espérance d'une meilleure vie. La religion n'aurait pas complété son ouvrage sublime, si elle n'eût à la fois inspiré et commandé une constante sympathie pour le malheur. Mais ce précepte, rigoureux pour tous les hommes, elle l'a imposé aux rois comme une nécessité; nécessité de vertu, nécessité de politique, qui entraînent avec elles la plus formidable responsabilité.

Les progrès de la société ont constamment accru ces grandes obligations de la royauté. Le droit de propriété, consacré et reconnu comme la base de tout édifice social, a fait apparaître plus vivement encore les droits du malheur et du dénûment. La civilisation, en étendant le cercle des besoins et des rapports, a agrandi celui des maux attachés à la nature de l'homme. Il a fallu maintenir à cet égard une harmonie constante entre l'indigence et les secours; donner à ceux-ci une direction efficace et permanente et appuyer, du pouvoir et de l'autorité des lois, les efforts isolés de la charité particulière.

La charité des gouvernemens, identique dans son principe et dans sa nature avec la charité individuelle, mais ayant une sphère plus étendue et plus générale, se manifeste nécessairement sous d'autres formes. Il ne lui suffit pas de contribuer à l'établissement des asiles consacrés à

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