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« Ceux que n'arrêtent point ces motifs et qui s'engagent témérairement dans les liens du mariage, reçoivent des secours distribués avec une rigoureuse épargne; les uns continuent à vivre chez eux en proie à la misère; les autres, entassés dans des ateliers ou maisons de travail, étroites ou malsaines, où règne, surtout parmi les enfans, une effrayante mortalité. On connaît le compte rendu par James Hanway, du traitement qu'éprouvent à Londres les enfans élevés par les paroisses. Il paraît, par ce qu'en disent M. Howlett et d'autres écrivains, que ceux des provinces ne sont pas beaucoup plus heureux. C'est ainsi que les lois, ou du moins les procédés d'exécution, détruisent en grande partie la population que ces mêmes lois ont fait naître. Ce qui échappe à la destruction nuit à la société de plusieurs manières. Les fonds destinés à mettre le travail en activité se divisent entre un nombre d'hommes plus considérable que celui auquel il pourrait convenablement suffire. Une partie de ces fonds qui aurait été confiée à des ouvriers laborieux et rangés, devient la part des négligens et des paresseux. Il résulte de là que le sort de tous les ouvriers étrangers aux maisons de travail devient plus fâcheux, qu'en conséquence, le nombre de ceux qui s'y rendent augmente chaque année, et qu'enfin la masse des assistés s'élève au point où nous la voyons aujourd'hui. »

<< La tendance manifeste qu'ont les contributions pour les pauvres à diminuer les fonds réels destinés au travail, présente, sous un aspect encore plus absurde, l'opinion que le gouvernement peut, à son gré, trouver de l'occupation pour tous les individus, quelque rapide que soit leur accroissement. >>

«En présentant ces réflexions, mon dessein n'est pas de les opposer à toute espèce d'emploi de travail des pauvres et de condamner ce qu'on peut faire en petit pour exciter leur activité sans favoriser leur accroissement. Quoique

les principes généraux ne doivent pas être perdus de vue, je ne voudrais pas non plus en pousser l'application audelà des justes bornes. Il y a des cas où le bien particulier que l'on procure est si grand, et le mal général si petit, que le premier doit l'emporter dans notre esprit.

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<< Mon intention est uniquement de faire voir que le système général des lois sur les pauvres repose sur une erreur, et que rien n'est plus vain que certaines déclamations sur ce sujet qui se répètent dans les conversations et dans les livres. >>

<«< Dire que le prix du travail devrait suffire à l'entretien d'une famille, qu'il faudrait fournir de l'ouvrage à tous ceux qui ne demandent qu'à travailler, c'est, à vrai dire, en d'autres termes, que les fonds destinés au travail dans le pays dont il s'agit sont infinis ; que, de plus, ils peuvent croître sans bornes; de manière que si, aujourd'hui, le pays a six millions d'ouvriers, il pourra, dans un siècle, en avoir quatre-vingt-seize millions, c'est-à-dire que si ces fonds avaient été bien administrés en Angleterre depuis le règne d'Edouard Ier, au lieu de deux millions d'ouvriers que l'on comptait de son temps dans ce payslà, on en compterait aujourd'hui quatre milliards, c'està-dire à peu près quatre fois autant qu'on estime terre entière contient d'habitans (1). »

que la

L'opinion de Malthus sur les effets déplorables des lois anglaises sur les pauvres est partagée par la majeure partie des économistes de l'Angleterre et du continent. MM. Say, Simonde de Sismondi, Storch, etc., les regardent comme extrêmement vicieuses dans leur principe et dans leur application.

M. Ricardo pense que leur tendance funeste ne saurait être un mystère pour personne, depuis qu'elle a été dévoilée par la plume habile de M. Malthus. Il ne doute pas

(1) Essai sur le principe de la population.

que tous les amis des pauvres ne désirent ardemment de les voir abolis; mais il ajoute avec raison que cette abolition doit avoir lieu par une marche lente et graduelle.

M. Everett, auteur d'un ouvrage que nous avons déjà cité sur le principe de la population, et dans lequel il combat le système de M. Malthus, blâme également les lois anglaises sur les pauvres. Toutefois, il croit devoir faire observer qu'une taxe pour le soulagement des vieillards, des infirmes et des pauvres, ne peut nuire aux intérêts de la société, et que l'humanité la réclame lorsque la société est nombreuse et constituée. « En effet, dit-il, à mesure qu'une nation croît en nombre et en civilisation, elle éprouve aussi plus fortement l'action de quelques causes naturelles ou de circonstances politiques. Un tremblement de terre, une inondation ne feront presque aucun mal à une tribu sauvage. Dans une contrée populeuse, les habitations détruites, les individus privés de la vue ou des moyens de subsistance, sont comptés par milliers. >>

« Les chances nécessaires auxquelles les sociétés sont plus exposées à mesure qu'elles deviennent plus nombreuses et plus civilisées, sont une sorte de compensation des biens attachés à la civilisation. Dans cet état des sociétés, le devoir du gouvernement est de pourvoir autant qu'il est possible aux maux que la prévoyance ne peut éloigner. S'il n'est pas possible de les réparer entièrement, même dans les circonstances les plus favorables, on le peut encore bien moins lorsqu'ils arrivent par la faute de l'administration; mais, quelles qu'en soient les causes, l'humanité prescrit impérieusement de venir au secours des victimes, et de ne pas les abandonner aux soins incertains et mal répartis des charités particulières. La bienfaisance serait beaucoup plus utile, adoucirait beaucoup plus de maux, et réparerait plus de pertes si elle portait son offrande dans des établissemens publics. La charité même a besoin d'une sage organisation, et, chez tous les peuples généreux et chré

tiens, les établissemens de secours seront toujours une partie importante de l'administration publique. »

C'est par des considérations puisées dans le véritable caractère de la charité, que M. T. Duchâtel a cru devoir combattre les lois anglaises. Cet écrivain, qui partage d'ailleurs les opinions de M. Malthus sur la nécessité de la contrainte morale, pense que toute charité légale, c'est-à-dire qui s'exerce en vertu des lois, n'est plus la charité ; il va même jusqu'à déclarer qu'elle est immorale à ses yeux, lorsqu'elle enlève aux familles le droit de veiller au sort de ses membres. « De la liberté du bienfaiteur, dit-il, dérive le sublime caractère de la bienfaisance.. En Angleterre, du côté du riche, la charité n'est plus un don, mais un impôt : du côté du pauvre, plus de prière, plus de reconnaissance, mais la réclamation d'un droit. Le principe du droit du pauvre ébranle les bases de l'ordre social, car il anéantit le principe de la propriété sur lequel l'ordre social tout entier repose. »

On voit, par tout ce qui précède, que le système des secours publics établi en Angleterre, est à peu près unanimement reconnu comme vicieux sous les rapports économiques, non moins que sous le rapport moral, et que les effets ont complétement répondu à son origine antichrétienne. Sans doute il serait possible d'améliorer les statuts sur les pauvres, et surtout de remédier aux abus nombreux et crians auxquels donne lieu leur application matérielle ; mais les conséquences générales subsisteraient en partie. Cependant, dans la situation forcée où les théories modernes de la civilisation et de l'économie politique ont placé l'Angleterre, il faut bien reconnaître que la taxe des pauvres est en ce moment une nécessité impérieuse, et que sa suppression entraînerait forcément la réforme des mœurs, des institutions et de l'industrie. Or, tout cela ne peut être l'ouvrage d'un jour : nous craignons même qu'une

révolution générale, plus ou moins imminente, ne soit nécessaire pour y parvenir.

L'Angleterre est le seul pays de l'Europe où l'on ait reconnu légalement le droit des pauvres à l'assistance publique. Partout ailleurs, comme en France, on s'en est rapporté plus ou moins à l'efficacité des deux grands appuis que leur a ménagés la Providence, le travail et la charité, et l'on s'en est bien trouvé.

L'organisation des secours publics, en France, repose sur des principes généreux, charitables et désintéressés, qui lui donnent une supériorité incontestable sur celle établie en Angleterre. Dans ce dernier royaume, on s'accorde à reconnaître que nos bureaux de charité réunissent à un bien plus haut degré les conditions que l'on doit rechercher dans les administrations des pauvres (1).

Choisis parmi les habitans les plus respectables de chaque commune, présidés par le premier magistrat municipal, se renouvelant chaque année par cinquième sur leur propre présentation, aidés dans leurs travaux par un agent responsable, restant au moins cinq ans en fonction, les membres des bureaux de charité sont parfaitement à même de connaître les besoins des pauvres et les meilleurs moyens de les soulager. De plus, ils ont pour auxiliaires naturels et empressés les membres du clergé catholique dont la mission essentielle est d'exécuter et de pratiquer la charité, et ces admirables associations religieuses de femmes dévouées, par état et par la vocation la plus sublime, à l'assistance des pauvres et des malheureux, sans compter les associations charitables libres qui semblent se propager en raison des besoins de l'humanité. Combien cette organisation est préférable à ce qui se passe en Angleterre, où tous les efforts de l'esprit d'association appliqué à la

(1) Voir le rapport fait à la chambre des communes d'Angleterre par le comité des finances chargé de l'examen des lois relatives aux pauvres.

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