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CHAPITRE VII.

DE LA LÉGISLATION SUR LES ENFANS TROUVÉS EN ANGLETERRE ET DANS LES AUTRES ÉTATS DE L'EUROPE.

Les enfans trouvés, fruits malheureux du crime ou de la misère, ont droit à la pitié des hommes. Celui qui trouve un enfant, soit à la porte d'une mosquée, d'une maison, d'un bain public, dans une rue ou partout ailleurs, doit lui prodiguer tous les secours de la charité et de la bienfaisance.

(Code civil de la Turquie.)

Les lois qui punissent l'exposition, l'avortement et l'infanticide, se sont étendues à tous les états chrétiens, et la jurisprudence criminelle a été et est encore à peu près uniforme à cet égard en Europe; mais différens systèmes ont été successivement adoptés pour prévenir ces crimes et pour adoucir l'abandon des malheureuses victimes du libertinage et de la misère.

Pendant long-temps le sort des enfans trouvés a été partout aussi déplorable qu'il était en France avant la venue de saint Vincent-de-Paule, époque si mémorable pour la charité (1).

Il paraît qu'en Angleterre, même jusqu'au milieu du (1) Voir le chapitre XI du livre III.

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siècle dernier, leur situation était réellement digne de pitié. En 1713, Addisson déplorait vivement le triste abandon où ils étaient plongés, et sollicitait en leur faveur des asiles et des soins protecteurs. Le premier hospice d'enfans trouvés de la Grande-Bretagne ne fut fondé qu'en 1739, et c'est aux efforts d'un excellent citoyen, Thomas Coran, que Londres fut redevable de cet établissement, fondé d'abord pour quatre cents enfans et dans lequel il s'en trouvait mille en 1752. Le parlement d'Angleterre ordonna, en 1756, que cet hospice recevrait et élèverait tous les enfans abandonnés qu'on y apporterait, et qu'on formerait des établissemens semblables dans les comtés.

En 1760, le nombre des enfans trouvés, placés dans l'hospice de Londres, s'élevait à six mille.

Frappé de cette augmentation rapide, le parlement modifia la destination des établissemens consacrés aux enfans trouvés et les convertit en maisons d'orphelins. Sur la proposition de Jonas Hanway, philantrope renommé, il statua que les paroisses confieraient tous les enfans dont elles seraient chargées à des nourrices dans les villages; l'exposition fut sévèrement interdite; mais les enfans illégitimes, dont on avait reconnu le droit sacré à l'assistance publique, purent être admis à un certain âge dans les maisons de travail. L'hôpital des enfans trouvés de Londres (foundling hospital), malgré sa dénomination, ne reçoit aujourd'hui aucun enfant trouvé, pas même ceux qu'on expose quelquefois à sa porte; ceux-ci sont recueillis, placés dans des maisons d'orphelins, et ensuite dans des maisons de travail.

Ces mesures, dit-on, ont obtenu un succès complet. D'après les recherches de M. de Gouroff, philantrope distingué qui s'est occupé spécialement de l'amélioration des institutions d'enfans trouvés en Europe (1), il y a eu à

(1) M. de Gouroff est Français et né à Nevers. Il a exercé des emplois supérieurs dans l'université de France, avant d'ètre appelé en Russie où il

Londres (dont la population est aujourd'hui de 1,350,000 habitans), dans l'espace de cinq années (de 1819 à 1823) que 151 enfans exposés; et le nombre des enfans illégitimes reçus dans les maisons de travail (workhouse) ne s'est élevé dans le même espace de temps qu'à 4,748, ce qui fait, année commune, 925. Encore, un cinquième environ de ces enfans sont entretenus aux dépens de leurs pères (1). Mais pour se rendre un compte des enfans illégitimes de Londres et de l'Angleterre, il faudrait savoir combien sont admis dans les maisons d'orphelins, combien confiés à des nourrices, combien nourris par leurs mères, et enfin à la charge de la taxe des pauvres. Or, il paraît qu'on cherche à couvrir d'une sorte de voile ce qui se passe à cet égard en Angleterre, et à substituer à la vérité une fiction plus satisfaisante. Toutefois, on a lieu de croire qu'en Angleterre la proportion des enfans naturels aux enfans légitimes est de 1 sur 12; elle n'est en France que de 1 sur 15 ou 14.

M. de Gouroff nous promet un important travail sur l'objet dont il s'occupe. Sans doute il aura examiné jusqu'à quel point la législation et les mœurs publiques ont pu exercer d'influence sur de tels résultats, et quelle a été aussi la proportion croissante ou décroissante des crimes. d'infanticide depuis les changemens survenus en Angleterre dans les mesures concernant les enfans trouvés. D'avance, il fait connaître que le principe qui paraît dominer en Angleterre, comme dans les autres pays protes

a donné à son nom une terminaison russe. Il est, en ce moment, consciller d'état privé de S. M. l'empereur de Russie et recteur de l'académic de Pétersbourg. Nous l'avons vu à Lille, en 1829. Il voyageait alors, pour recueillir des renseignemens sur le service des enfans trouvés en France.

(1) On a pu voir, au chapitre XI du livre II, de combien de difficultés est entourée l'admission des enfans trouvés dans les maisons entretenues par les paroisses, et quelle est la jurisprudence anglaise sur la recherche de la maternité et de la paternité. On peut attribuer à ces causes le petit nombre d'enfans trouvés placés à la charge de l'état.

tans, c'est qu'une fille qui devient mère n'est pas moins obligée de nourrir son enfant qu'une femme mariée. Ce principe est fondé sur la nature; mais son application suppose nécessairement une grande tolérance de la part de l'opinion publique pour les unions illégitimes; elle ne saurait se concilier avec la honte et l'infamie dont elles seraient accompagnées, si l'opinion était sévère sur ce genre d'immoralité.

Quoi qu'il en soit, les enfans trouvés à Londres, placés immédiatement en nourrice, reviennent à la maison des orphelins à l'âge de cinq ans. Alors commencent pour eux de nouvelles habitudes. On leur donne les premiers principes d'une instruction élémentaire; on leur apprend à faire leurs vêtemens, ainsi que différens ouvrages. Les plus âgés habillent les plus jeunes, travaillent au jardin, se partagent les différens services de la maison. Les filles sont employées à la cuisine, au blanchissage, à la confection des layettes pour les enfans en nourrice. A quatorze ans, on les met en apprentissage; on donne à l'enfant une Bible avec une copie des prières en usage à l'hôpital; une seconde copie est remise à celui ou celle chez qui il va demeurer, et l'on y joint ce préambule:

<< Comme il est de grande importance d'élever les enfans dans la crainte de Dieu et la soumission envers leurs maitres, maitresses et supérieurs, et que la prière est le meilleur moyen d'entretenir cette obéissance aux lois civiles et humaines, vous êtes avertis que l'on attend de vous de prendre soin que l'enfant, qui vous est confié, dise constamment ses prières soir et matin. Vous devez en même temps vous efforcer de lui inspirer les sentimens du devoir qu'il remplit, et, pour y parvenir, vous devez vous attacher surtout à lui faire répéter ses prières d'un ton lent, sérieux, solennel. Vous veillerez aussi à ce qu'il assiste les jours de fête à l'office divin, et qu'il s'y conduise avec piété et modestie. »

Quand les filles se marient, l'administration leur donne un trousseau et 250 fr. de dot.

Dans le reste de l'Angleterre, les mêmes mesures sont à peu près suivies. Nous n'avons pas de renseignemens sur le nombre général des enfans trouvés existant dans le royaume-uni. On sait seulement qu'en Irlande il en existait, de 1771 à 1781, environ 920 chaque année: de 1781 à 1784, la progression avait été de 2,500 : au com‐ mencement de ce siècle, en 1805, on en comptait 4,800. Il paraît que la mortalité, à l'hôpital de Dublin, était la même qu'à Paris. Les avantages du système anglais seront pour nous l'objet d'un examen que nous nous réservons d'exposer dans le cours de cet ouvrage. Il nous suffit de faire remarquer en ce moment que les efforts de la charité chrétienne, par l'organe de saint Vincent-de-Paule, se sont fait jour au bout de cent ans en Angleterre, en produisant l'assistance complète et régulière des enfans trouvés. Ce qui caractérise surtout les institutions de ce modèle de la bienfaisance, ce sont moins les hôpitaux d'enfans trouvés, qui ne sont qu'un moyen, que la reconnaissance d'un principe long-temps méconnu. Ainsi, l'on peut dire que si les enfans trouvés en Angleterre, comme en France, et dans la plupart des autres états de l'Europe, ont retrouvé une famille adoptive, ils le doivent à un simple et vertueux prêtre catholique, qui trouva la puissance des miracles dans son ardente charité.

Les royaumes protestans ont en général adopté les mesures prises en Angleterre. Nous avons fait connaître, dans le chapitre XI du livre III, les époques diverses où il s'était établi chez eux des institutions pour les enfans trouvés. En Prusse, dans l'hôpital des orphelins de Hale, fondé par le respectable docteur Franck, on s'attache à cultiver, autant que possible, un heureux naturel qui se montre de bonne heure propre aux arts et aux sciences. On a formé, dans l'établissement, une bibliothèque qui contient

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