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Tels sont, à peu près, tous les genres de secours à domicile que l'on peut donner aux pauvres, et tels sont les résultats de l'expérience acquise dans leur distribution aux indigens des grandes villes. C'est aux bureaux de bienfaisance à en faire l'application la plus convenable, suivant les ressources, les localités et les besoins spéciaux des indigens. Ils sauront sans doute discerner suffisamment, dans cette instruction, ce qui concerne les villes importantes et ce qui a seulement rapport aux communes d'un ordre inférieur.

Moyens d'améliorer graduellement le sort de la classe indigente.

L'exécution exacte et attentive des règles que nous venons de rappeler ou de prescrire, suffirait peut-être, dans des circonstances ordinaires, pour soulager avec quelque efficacité les individus tombés dans l'indigence, par l'effet de maladies, de vicissitudes de fortune ou d'accidens imprévus. Mais nous avons malheureusement la conviction que, dans la situation où se trouve la classe indigente dans le département, il faut des moyens plus puissans, plus actifs, d'une nature plus générale et plus élevée, pour arriver à une amélioration sensible et durable.

Il est reconnu que (sauf de rares exceptions) l'on peut attribuer la misère profonde et la faiblesse physique, presque héréditaire, d'un grand nombre de familles indigentes, à l'ignorance, à l'absence d'éducation religieuse et morale, au défaut d'ordre, d'économie et de prévoyance, à des habitudes de débauche et d'oisivété, et, particulièrement dans les grandes villes, à l'habitation de demeures étroites, obscures, souvent humides et malsaines, où quelquefois plusieurs familles sont confondues, et qui occasionent' des maladies, des difformités, des infirmités souvent incurables que les parens transmettent à leurs enfans, et qui sont trop souvent aussi traitées d'une manière incomplète et funeste.

Il est donc du devoir de l'administration et des amis de l'humanité de réunir leurs efforts, 1° pour procurer à la classe indigente l'instruction religieuse et morale qui lui est nécessaire ;

2o Pour lui inspirer l'habitude et le besoin de l'ordre, de l'économie et de la prévoyance;

3o Pour chercher à assainir ses habitations et la préserver des accidens occasionés par l'ignorance de quelques praticiens qui n'offrent aucune garantie.

Nous allons examiner les moyens qui se présentent pour atteindre ce résultat.

Instruction.

Déjà des écoles primaires existent dans la majeure partie des communes de ce département. L'institution des comités cantonnaux, qui vient d'être rétablic, va donner aux bureaux de bienfaisance des moyens plus efficaces de multiplier le nombre des écoles de charité. Ces écoles sont une des par

ties les plus intéressantes de leur administration; car si, par des secours appliqués avec discernement, ils soutiennent la vieillesse sans ressources d'un autre côté, par une éducation morale et religieuse, ils disposent les enfans à se garantir un jour du fléau de la misère, en leur inculquant, avec l'amour de la religion et du travail, l'esprit d'ordre, d'économie et de prévoyance.

Ce n'est pas assez que d'apprendre aux enfans à lire, à écrire et à compter; il est bien plus important de leur former le cœur et d'y jeter les semences de la religion. Pour atteindre ce but, les bureaux de bienfaisance ne doivent pas perdre de vue que, dans le choix des maîtres, ils devront donner la préférence à ceux qui, par leurs lumières, leur piété et leur zèle, peuvent faire espérer l'instruction religieuse la plus convenable et la plus solide. Les frères de la Doctrine chrétienne et les sœurs de la Charité offrent, sous ce rapport, des avantages qu'il est rare de trouver dans les autres individus. Dans la majeure partie des communes où le défaut de ressources ne permet pas de se procurer ces précieux et modestes instituteurs, il faut chercher à s'en rapprocher le plus possible, par le choix de bons maîtres et de bonnes méthodes.

Un des principaux obstacles à l'instruction des enfans de la classe ouvrière, c'est que, dès l'âge le plus tendre, les parens exigent d'eux un travail productif. Cet emploi prématuré des bras de ces êtres encore si faibles a le double et grave inconvénient de nuire au développement de leurs forces physiques, d'altérer leur constitution, et de les empêcher d'acquérir ni instruction, ni éducation dans les écoles de charité.

Il est donc nécessaire de leur procurer les moyens d'instruction les plus sûrs et les plus rapides et d'exciter l'intérêt et l'amour-propre des parens. Parmi les méthodes reconnues les plus promptes, figurent au premier rang le mode simultané, suivi par les frères de la Doctrine chrétienne, et le mode connu sous le nom d'enseignement mutuel. L'une et l'autre doivent être substituées partout, dans les écoles de charité, au mode ingrat, lent et pénible de l'enseignement individuel; et M. le recteur de l'académic de Douai vient d'en ordonner l'application successive dans toutes les autres écoles, par une circulaire remarquable où les comités cantonnaux puiseront des règles dictées par la sagesse et le zèle le plus éclairé.

Les parens se détermineront plus volontiers à envoyer leurs enfans aux écoles de charité, s'ils ont l'espérance de leur voir acquérir plus promptement l'instruction nécessaire, et surtout, si déjà on les prépare au travail.

Il ne suffit pas, en effet, de se borner à les instruire dans les écoles où ils ne peuvent passer les journées entières; livrés à eux-mêmes pendant le reste du temps, le moindre mal qui puisse en résulter, est l'habitude de la fainéantise, source de tous les vices. Il serait donc bien intéressant d'avoir, dans toutes les localités qui pourront le permettre, auprès des écoles de l'un et de l'autre sexe, des salles de réunion, des ateliers de travail, où, sous la surveillance des sœurs de la Charité ou de maîtres bien choisis, on occu

peran les enfans, hors des heures d'école, aux ouvrages qui leur conviennent. On ne sera pas embarrassé de fournir des travaux d'aiguille aux filles; le linge, les bas et une partie des vêtemens destinés à elles-mêmes ou aux indigens pourront être confectionnés par elles.

nature,

cure,

S'il est plus difficile de procurer des ouvrages convenables à leurs forces et à leur intelligence, aux garçons, il est cependant bien essentiel de ne pas les abandonner au vagabondage; les bureaux de bienfaisance en trouveront le moyen dans leurs relations avec les manufacturiers et les maîtres artisans. L'émulation doit être excitée et entretenue dans ces réunions par des récompenses et l'activité, et soutenue par l'intérêt. En accordant aux enfans (soit en soit en argent) la totalité ou une partie du gain que leur travail proils se rendent volontiers à l'atelier et travaillent avec ardeur; ils contractent ainsi le goût et l'habitude du travail, apprennent un état, restent presque toute la journée en surveillance et sont préservés du fléau de l'oisiveté. Ils peuvent être encore encouragés par la visite des membres du bureau, administrateurs, visiteurs ou dames de charité ; et il ne manquerait rien à cette institution, si l'on profitait de la réunion des enfans, pour leur faire entendre quelques lectures utiles et, de temps en temps, des instructions familières. Un service non moins utile à rendre aux enfans, quand ils ont fini leur temps d'école, c'est de les placer ou d'aider leurs parens à les mettre en apprentissage, selon les différens modes usités parmi les ouvriers et dans le commerce. Il y a pour eux un grand avantage à rester, pendant ce temps, sous la surveillance du bureau, qui s'assurera que les engagemens contractés sont remplis de part et d'autre.

Un des moyens d'exciter les parens à faire instruire leurs enfans, est aussi l'établissement d'écoles dominicales, où les leçons ont lieu le dimanche ou les jours ouvrables, hors des heures du travail des fabriques.

Il ne pourrait être encore qu'extrêmement utile d'accorder des primes d'encouragement aux parens dont les enfans se seraient fait remarquer par leur instruction et leur bonne conduite. L'admission aux secours publics pourrait aussi servir d'encouragement aux familles, en l'accordant de préférence à celles qui enverraient leurs enfans aux écoles de charité.

On pourrait enfin prier MM. les chefs de manufactures et d'ateliers de ne recevoir d'enfans au-dessous de dix ou douze ans, que ceux qui justifieraient de savoir complétement lire, écrire et calculer.

Dans quelques villes, une bienfaisance ingénieuse a fondé des petites écoles dites gardiennes, parce qu'elles ont pour objet de garder, pendant les heures des travaux des fabriques ou en l'absence des parens, les petits enfans des deux sexes, trop jeunes pour être envoyés aux écoles. Une seule sœur de charité, ou toute autre personne du sexe, digne de confiance, suffit pour surveiller et soigner un très grand nombre de ces enfans que les parens viennent reprendre à la fin de leur journée de travail. Il serait bon d'organiser et de multiplier ces écoles, où les petits enfans reçoivent un commencement d'instruction, et qui ont surtout le grand avantage do les

préserver des accidens qui les menacent, lorsqu'ils sont laissés chez eux, confiés à la surveillance de quelque jeune enfant ou d'une voisine distraite et occupée.

Ce ne serait pas sculement aux enfans qu'il serait utile d'offrir des moyens d'instruction et des encouragemens à s'instruire; il serait désirable que les villes et les communes riches pussent, de concert avec les bureaux de bienfaisance, fonder des primes en faveur des ouvriers qui acquerraient de l'instruction et se feraient distinguer par la meilleure conduite. Il serait surtout utile d'établir, dans les localités importantes, des cours gratuits de dessin linéaire, de géométrie et de mécanique, où les ouvriers pourraient puiser des moyens de perfectionnement, et occuper utilement et moralement leurs loisirs.

Habitudes d'ordre, d'économie et de prévoyance à inspirer à la classe ouvrière et indigente.

Un des plus grands avantages qui résultent d'une éducation religieuse et de l'instruction, est sans doute d'inspirer aux hommes, avec l'habitude des bonnes mœurs, des idées d'ordre, d'économie et de prévoyance qui les dirigent sur les moyens de pourvoir à leur avenir et à celui de leurs familles, par le fruit de leur travail. Le devoir de l'administration est de seconder la pratique de ces dispositions, et, dans ce but, elle ne saurait trop provoquer et favoriser l'établissement des caisses d'épargnes et de prévoyance, où les ouvriers placent, à des intérêts toujours croissans, le fruit de leurs économies journalières. Je ne saurais trop engager MM. les maires et membres des bureaux de bienfaisance à s'occuper de leur organisation partout où cela sera possible, et à exciter, à cet égard, l'intérêt bien entendu de MM. les directeurs des fabriques et manufactures, qui n'auront jamais de meilleurs ouvriers que ceux qui réuniront à de bonnes mœurs des habitudes d'ordre et d'économie. Dans quelques ateliers, il existe déjà des caisses d'épargnes, mais les produits en sont fréquemment livrés aux ouvriers, qui trop souvent les dissipent en parties de plaisirs, sans rien réserver pour les besoins à vcnir. Il serait dans l'intérêt général de s'entendre pour adopter, à cet égard, des règles uniformes et invariables, uniquement basées sur un système bicn raisonné de prévoyance pour l'existence à venir de la classe ouvrière. Si l'administration ne peut user que de persuasion sur ce point, elle ne saurait douter cependant du succès de ses démarches, lorsqu'elles auront lieu dans un but si utile et auprès d'hommes genéralement éclairés et véritables amis de l'humanité.

Mesures de salubrité en faveur de la classe indigente.

Une des causes les plus réelles de la dégradation physique de la classe Indigente, dans les grandes villes, est, sans contredit, l'insalubrité des

demeures où elle est reléguée. Quelquefois, elle n'a d'autre asile que des caves obscures, point aérées, souvent humides, ou des greniers exposés à toutes les rigueurs du froid ou à l'extrême chaleur. Plusieurs familles sont Jogées dans le même appartement, et, sans parler des graves dangers pour les bonnes mœurs, l'entassement de cette population ainsi pressée et resserrée dans d'étroites enceintes ne peut qu'ètre fatal à des individus mal nourris, mal vêtus et qui ne connaissent aucune précaution de propreté et d'hygiène.

Le devoir de l'administration et des bureaux de charité est de reconnaître et de constater soigneusement l'insalubrité et l'insuffisance de ces demeures ; de rechercher les moyens de les rendre plus saines et même de les interdire et faire supprimer graduellement; de procurer aux indigens des habitations aérées et salubres; de leur donner des instructions propres à les éclairer sur l'avantage de la propreté et de quelques précautions simples et faciles; de prescrire la séparation absolue des familles, ou au moins des sexes; d'obtenir enfin, de la part des propriétaires, des conditions moins onéreuses, et quelques soins pour la santé des malheureux qui habitent leurs maisons; s'il existait, dans quelques localités, une population véritablement surabondante, il serait charitable et même d'une sage prévoyance, dans l'intérêt des pauvres, de faciliter par des secours l'écoulement de quelques familles vers d'autres lieux où l'on serait plus assuré qu'elles trouveraient plus de moyens de travail et d'existence.

L'administration départementale s'est efforcée d'offrir une garantie plas assurée des précautions à prendre dans l'intérêt de la santé publique, par l'établissement de conseils de salubrité dans chaque arrondissement. Elle a également organisé un service complet pour la propagation annuelle de la vaccine. Elle se proposc de provoquer, auprès du gouvernement, des institutions propres à préserver le public, et surtout la classe indigente, des dangers que présente un trop grand nombre d'officiers de santé, de sagesfemmes sans instruction et sans expérience. Elle espère que l'ensemble de ces mesures et de celles qu'on vient d'indiquer plus haut contribuera à améliorer le bien-être physique de la classe indigente de cette contrée ; elle compte, à cet égard, sur l'utile et franche coopération de MM. les maires et des bureaux de bienfaisance.

Toutefois, messieurs, quelques sûres espérances que nous devions placer dans le zèle et les lumières des administrateurs et des membres des bureaux de charité, ce ne serait pas trop cependant que la réunion de tous les hommes éclairés, religieux et philantropes que renferme ce département, pour aider efficacement à faire un jour disparaître la source des maux qui affligent une portion si considérable de la population. Jamais l'esprit d'association, si fécond en vastes et utiles résultats, ne pourrait recevoir d'application plus heureuse et plus honorable. L'un de nos devoirs, messieurs, est d'en exciter et d'en seconder l'essor et le développement dans tout ce qui concerne l'amélioration morale et physique du sort des indigens. En

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