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en quelque sorte, des soins journaliers et permanens pour chaque famille.

On concevra facilement qu'impuissantes à soulager une misère aussi profonde et aussi invétérée, la plupart des administrations de bienfaisance n'osent entreprendre aucun essai d'améliorations nouvelles dans la crainte d'indisposer, par des innovations sans succès, une multitude en proie à toutes les horreurs du besoin. Ces sortes de fonctions, peu recherchées, ne sont guère exercées avec dévouement que par l'effet d'un sentiment religieux assez fort pour faire braver tous les dégoûts et même les dangers qui les accompagnent. Ce degré de vertu est plus rare que la charité qui se borne à donner; aussi se trouve-t-on obligé, le plus souvent, de s'en reposer, pour la distribution des secours, sur des agens officieux qui, sous le nom de pauvriseurs, remettent directement l'argent ou les bons de pain, selon qu'ils le jugent convenable, d'après les listes d'indigens qu'ils ont la faculté de dresser sans contrôle. Ce n'est que dans un très petit nombre de paroisses que des sœurs ou des dames de charité distribuent des secours à domicile aux malades et aux indigens.

Dans la plupart des communes, les fonds affectés aux bureaux de bienfaisance, réunis aux produits des quêtes et des dons charitables, sont toujours insuffisans, surtout pendant la saison rigoureuse. Alors l'administration supérieure est assaillie de la part des communes et des bureaux de charité, de demandes tendant à autoriser des impositions extraordinaires pour venir au secours des pauvres. Dans plusieurs villes, en 1828 et 1829, on a même employé secrètement, à cet objet des allocations destinées à d'autres services. L'impérieuse nécessité était le motif et l'excuse d'actes aussi irréguliers; ainsi la taxe des pauvres s'est déjà forcément introduite, avec le paupérisme anglais, dans cette portion de la France, comme les com

pagnes inséparables des doctrines économiques et industrielles de nos voisins d'outre-mer.

L'administration n'a cessé, surtout dans les années 1828 et 1829, d'opposer tous ses efforts au développement officiel de cette taxe; mais en vain se déguise-t-elle sous le nom de travaux de charité ou de supplément de secours aux bureaux de bienfaisance, son existence est consacrée de fait, et la force des choses a fait reconnaître le droit des pauvres à l'assistance publique. L'opinion générale, dans le département du Nord, est préparée à cette innovation dans la législation française. Déjà les mœurs de la classe indigente ont pris la teinte qui caractérise les pauvres d'Angleterre. Les liens de gratitude qui unissent le pauvre à son bienfaiteur et les principes de charité qui rapprochent le riche du pauvre, disparaissent peu à peu au milieu de cette immensité de misère collective. Les abus spéciaux à la taxe des pauvres d'Angleterre se manifestent graduellement. On remarque que, dans les communes du département du Nord, le nombre des pauvres est toujours en rapport avec la quotité des fondations charitables et qu'il existe moins d'indigens là où les revenus des bureaux de bienfaisance sont plus modiques. Cela ne veut pas dire que l'indigence soit factice dans cette contrée : malheureusement elle n'est que trop réelle; cela prouve seulement que ces fondations, dont les pauvres s'exagèrent toujours l'importance et qui peuvent exciter plus ou moins la paresse et l'imprévoyance de quelques-uns d'entre eux, appellent impérieusement la misère là où elle a plus d'espoir d'être soulagée. La reconnaissance du droit des pauvres à des secours publics, rend d'ailleurs leur exigence progressive, et amène l'affaiblissement des vertus fondées sur l'exercice réciproque de la charité.

Du reste, c'est surtout dans la capitale du département, à Lille, que la réunion effrayante de tous les

genres de misères est sans cesse offerte aux regards.

Là, sur une population de 25,581 indigens, il s'en trouvait, en 1828, 5,687 qui habitaient des caves souterraines, étroites, basses, privées d'air et de lumière, ой règne la malpropreté la plus dégoûtante et où reposent, sur le même grabat, le père, la mère, les enfans et quelquefois les frères et sœurs adultes.

1,318 garçons et 1,025 filles seulement fréquentent les écoles gratuites.

7,667 ouvriers sont réunis en 145 sociétés dites de secours mutuels en cas de maladie ou d'accidens. Ils prélèvent à cet effet 10 centimes par semaine sur leurs salaires. les secours à distribuer peuvent s'élever jusqu'à 3 francs par semaine pendant trois mois; et à 1 fr. 30 cent. par semaine pour les autres trois mois suivans. Le but de ces institutions est sans contredit digne d'éloges. Malheureusement elles sont dénaturées par des usages déplorables. Chaque mois les associés s'assemblent pour régler les comptes; mais le rendez-vous se donne au cabaret. Il est également d'obligation de s'y réunir à chaque fête patronale et à la fin de l'année, le restant en caisse, s'il en existe, est dépensé en fètes et en débauches. On recommence alors, pour l'année suivante, la formation d'une nouvelle caisse dont les produits auront une semblable destination.

On comprend aisément que dans un état de choses aussi fàcheux les mœurs doivent être excessivement corrompues. Aussi des désordres inouis sont chaque jour révélés. Les mariages sont précoces et les unions illégitimes très nombreuses. Une grande partie de la population st livre à la contrebande. La mendicité s'exerce publiquement par des bandes nombreuses qui alarment les propriétaires isolés. Nulle répression n'existe contre ce fléau. Il est, en effet, impossible de ne pas le tolérer là où l'on ne saurait donner du travail et un salaire suffisant aux in

digens valides, ni des secours et un asile aux pauvres hors d'état de travailler.

Il est juste, néanmoins, de reconnaître que si la portion indigente de la population flamande a des vices qui contribuent à la plonger et à la perpétuer dans ce hideux état d'abjection et de misère, la douceur, ou, si l'on veut, le défaut d'énergie de caractère des indigens, les préserve, en général, d'excès nuisibles à la société. Ils vivent dans le dénuement le plus complet (1), et cependant ils se rendent rarement coupables d'attentats graves contre les personnes et les propriétés; ils souffrent sans révolte et presque sans murmure, et seraient, ainsi, bien plus un objet de pitié qu'un sujet d'alarmes et de défiance, si l'on pouvait oublier avec quel succès des agitateurs auraient la facilité de s'en servir, au besoin, comme d'instrumens aveugles de sédition et d'anarchie, dans les crises politiques.

L'indigence, qui afflige particulièrement cette contrée, a été attribuée à diverses causes générales ou locales. Parmi ces causes on doit distinguer celles qui ont fait naìtre la misère de celles qui la perpétuent.

Au rang des premières, une opinion assez unanime, mais qui nous paraît peu réfléchie, a placé, depuis longtemps, l'oisiveté et la paresse excitées et entretenues par les abondantes aumônes distribuées jadis aux portes des couvens et des riches abbayes si multipliées autrefois dans l'ancienne Flandre française.

On pense aussi que la certitude qu'avaient, à la même époque, les pauvres de cette contrée d'être admis facilement dans les hospices nombreux et richement dotés,

(1) La plupart des ouvriers sont enfermés près de quatorze à quinze heures dans des ateliers où l'air est à peine renouvelé; le plus grand nombre ne reçoit qu'un salaire insuffisant à ses besoins, et cependant beaucoup de bras sont privés de travail.

favorisait la mendicité et détournait du travail et de la prévoyance.

Dans un pays frontière et maritime, tel que la Flandre, on peut indiquer comme causes plus réelles de l'accroissement primitif de la population indigente, d'abord le refuge et l'abri qu'une contrée ainsi située offre à des étrangers attirés, soit par l'espoir d'un meilleur avenir, et par un esprit aventureux, soit par la facilité de se soustraire à des poursuites; en second lieu, les grands travaux que la défense du royaume a nécessités dans cette province depuis sa conquête par Louis-le-Grand (1), ont nécessairement appelé en Flandre un très grand nombre de familles, qui, après la cessation des travaux, sont demeurées dans le pays et ont augmenté la population prolétaire. Enfin, la province de Flandre est celle de la France où les perfectionnemens de l'agriculture et de l'industrie ont été les premiers introduits. Dès le treizième siècle et dans les deux siècles suivans, elle avait atteint, sous ce rapport, un haut degré de prospérité, qu'interrompit momentanément la révocation de l'édit de Nantes. La fertilité du territoire, la facilité des communications, le développement des manufactures, tout se réunissait pour favoriser extraordinairement le principe de la population, en même temps que les vicissitudes du commerce, des guerres fréquentes et les habitudes de désordre qu'elles communiquaient aux classes inférieures, tendaient à multiplier l'indigence manifestée sous la forme de mendicité et secourue alors par les aumônes.

On ne saurait disconvenir que des secours prodigués sans discernement n'aient pour résultat de faire naître et d'encourager la mendicité. Mais il serait peu rationnel de

(1) Le département du Nord renferme treize places fortes dont la construction ou la restauration date du règne de Louis XIV, et fut confiée au maréchal de Vauban: Lille, Valenciennes, Cambrai, Douai, Dunkerque, Maubeuge, Avesnes, Bergues, Gravelines, Le Quesnoy, Bouchain, Landrecies et Condé.

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