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égards les invitations et réquisitions nécessaires aux agens de la force publique.

En plusieurs lieux, messieurs, le système des souscriptions volontaires a eu un succès complet pour l'extinction de la mendicité. Dans quelques localités, les propriétaires et les fermiers ont témoigné l'intention de se cotiser pour fournir aux besoins des pauvres de leurs communes, lorsqu'ils auraient l'espoir d'être débarrassés des mendians étrangers qui les assiégent. Une sage impulsion parviendrait à généraliser ce système, et je ne saurais que vous engager à le propager.

Des tentatives ont été faites pour former un vaste dépôt de mendicité dans le département. Un pareil établissement, administré avec économie et vigilance, contribuerait puissamment, sans doute, à l'extinction de la mendicité, en offrant du travail à tous les bras valides, et en recevant, à un prix de journée modéré, les mendians qu'entretient quelquefois fort chèrement la charité publique et la bienfaisance particulière. Pour faciliter cette exécution, messieurs, il serait nécessaire de propager des associations de bienfaisance, des souscriptions, et des votes de fonds de la part des bureaux de charité et des communes, à l'effet de créer, dans le dépôt de mendicité, et pour chaque ville ou commune, certain nombre de places, à un prix de journée déterminé, qui, dans aucun cas, ne saurait dépasser 50 centimes. J'autorise, à cet effet, les réunions des conseils municipaux. J'examinerai avec beaucoup d'intérêt les observations et les propositions qu'ils croiront devoir présenter sur cet objet dont ils ne peuvent manquer d'apprécier toute l'importance. Ce n'est, en effet, qu'au moyen de la création d'un dépôt de mendicité qu'il sera possible d'exécuter, dans toute leur étendue, les dispositions du Code pénal, relatives à la mendicité et au vagabondage.

Je compte, avec confiance, messieurs, sur votre utile coopération. Je ne saurais l'invoquer pour des motifs plus impérieux, plus dignes d'une sage prévoyance, et plus étroitement liés à l'intérêt de la société.

Recevez, etc.

Le conseiller d'état, préfet du Nord,

Le vicomte De Villeneuve.

[H]

RAPPORT SUR UN MÉMOIRE ADRESSÉ A SON EXCELLENCE LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR PAR M. LE VICOMTE DE VILLENEUVE, PRÉFET DU NORD, SUR LES COLONIES POUR LA RÉPRESSION DE LA MENDICITÉ; PAR M. LE COMTE DE TOURNON, PAIR DE FRANCE, MEMBRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR D'AGRICULTURE.

MESSIEURS,

Vous m'avez chargé de vous rendre compte d'un mémoire sur les colonies, ayant pour objet la répression de la mendicité, établies dans le royaume des Pays-Bas, mémoire suivi de considérations sur l'utilité et la possibilité de fonder en France de semblables institutions.

Les pièces qui m'ont été remises consistent :

1o Dans un rapport très intéressant de M. le vicomte de Villeneuve à son excellence sur le nombre des indigens du département du Nord, et sur les moyens de les secourir ;

2o Dans un mémoire volumineux, contenant tous les élémens du rapport et accompagné de pièces justificatives;

3o Dans une lettre d'envoi par laquelle M. de Villeneuve laisse à l'arbitre de son excellence à décider s'il serait utile que son mémoire fût imprimé.

Afin de ne pas allonger encore le compte nécessairement très long que je dois vous rendre d'un travail de la plus haute importance et qui mérite toute votre attention, je me bornerai à analyser le mémoire; et, après vous avoir fait connaître les principaux faits qu'il contient, j'examinerai et je discuterai les moyens que propose M. de Villeneuve, pour secourir les indigens, non seulement dans le département qu'il administre avec tant de succès, mais dans le royaume tout entier. Sans doute, vous reconnaîtrez plu sieurs fois que l'appréciation de tous ces moyens n'est pas dans les attributions du conseil supérieur d'agriculture; mais, dans la position élevée et indépendante où ce conseil est placé, son opinion sur ces hautes et difficiles questions ne peut qu'en avancer la solution.

PREMIÈRE PARTIE.

DES COLONIES D'INDIGENS ÉTABLIES DANS LES PAYS-BAS.

M. le vicomte de Villeneuve, conduit à s'occuper des moyens de secourir l'indigence par le spectacle des succès obtenus dans un royaume voisin,

commence son travail par l'histoire des colonies intérieures néerlandaises, et je vais analyser rapidement cette narration.

Le royaume des pays-Bas est un des plus peuplés de l'Europe, relativement à sa surface, et un de ceux, en même temps, où des colonies extérieures et une active navigation ouvrent plus de débouchés à la population, plus de travail aux hommes valides. Néanmoins, aucun pays du continent ne compte une plus forte proportion d'indigens; il semble que ce pays soit parvenu à cette époque de perfectionnement de culture, de meilleur emploi des moyens de produire, où toutes les places prises, où toute la surperficie du sol, occupée le plus utilement possible, laissent le trop plein de la population en dehors d'un cercle déjà complétement rempli. En effet, sur une population de 6,266,854 individus, croissante, chaque année, de 60,000, on compte 745,652 indigens, c'est-à-dire 123 sur 3,000 environ.

Cette proportion, dans un un pays riche et fertile, étonnera encore plus lorsqu'on considérera le rapport entre la classe indigente et la population totale dans des contrées bien moins favorisées par la nature. Dans la partie centrale de l'Italie, par exemple, dans ces vastes plaines incultes, dans ces montagnes arides qui forment la partie occidentale de l'état de l'Eglise, dans ce pays si mal famé sous le rapport de l'industrie, le rapport entre les indigens et la population n'est que de 1 à 25.

La population indigente, dans les villes des Pays-Bas, est dans un rapport encore plus affligeant que dans les campagnes, puisqu'elle est quelque- / fois du tiers, du quart, mais jamais au-dessous du cinquième de la population.

Les moyens de satisfaire à de si grands besoins existent sur une très grande échelle, puisque les seuls secours à domicile, en 1826, ont employé une somme de 5,448,739 fr., et que 41,172 individus traités dans les hospices ont coûté 4,091,000 fr. Malgré cette abondance de secours, l'indigence faisait des progrès effrayans, lorsqu'en 1818, le général Van den Bosch, aidé de quelques amis éclairés de l'humanité, eut la pensée d'appliquer les bras inactifs à la culture des terres incultes, dont il existe environ un million d'hectares dans le royaume. Une société se forma à La Haye, sous les auspices du prince Frédéric II, fils du roi; un réglement fut rédigé par elle, et un appel fait à la bienfaisance produisit des souscriptions pour la somme de 192,500 fr.

Un essai d'application des bras des indigens au défrichement des terres incultes fut fait dans les bruyères tourbeuses de la province de Drenthe, dans la partie septentrionale du royaume, sur une étendue de 852 hectares. L'acquisition de cette superficie coûta 108,000 fr. On s'occupa ensuite à assainir le terrain en creusant des canaux, à bâtir un magasin, une école, une filature et cinquante-deux petites maisons propres à recevoir chacune un ménage.

Au commencement de 1819, la colonic de Frederick's-Oord s'établit : elle se composait de familles indigentes, envoyées par les administrations

de bienfaisance; un inspecteur fut chargé de maintenir l'ordre parmi cette masse composée d'individus habitués à vivre dans le désordre; chaque ménage de colon reçut, outre une maison, des outils aratoires, des vêtemens, des semences, des vivres, du bois, deux vaches et une provision de laine et de lin propres à être filés : 5 hectares 25 ares de terre lui furent assignés. revenaicot On calcule que ces avances, compris la valeur de la terre,

à 3,750 fr. par famille.

L'année 1819 vit les premiers travaux, et on évalua que leur produit correspondait, pour chaque ménage, à une valeur de 735 fr.

Ainsi, le capital employé produisit un intérêt de près de 20 p. ojo. Ce premier succès stimula puissamment la bienfaisance, et les souscriptions s'élevèrent à 324,000 fr. par an. Mais cette somme ne pouvait donner lieu à fonder des établissemens proportionnés aux immenses besoins de la population indigente. La commission cut l'heureuse idée de proposer aux du établissemens de charité de se charger, moyennant 52 fr. 20 c. par an, soin de pourvoir aux besoins des indigens qui sont à leur charge. En second lieu, ayant reconnu que les orphelins et les enfans trouvés ou abandonnés coûtaient, par an, 252 fr. aux hospices, la société leur proposa de les entretenir, moyennant une somme annuelle de 126 fr., en prenant, en outre, gratuitement à sa charge le soin de deux ménages, toutes les fois qu'on lui confierait six enfans au-dessus de six ans.

Au bout de peu d'années, les bruyères de Frederick's-Oord se virent pcuplées de cent cinquante ménages composés de onze cents individus laborieux et, par conséquent, heureux.

Ces résultats favorables ont conduit à établir une autre colonie dans le voisinage, mais d'après des principes un peu différens.

Frederick's-Oord est un asile ouvert à l'indigence, et aucune coaction n'y retient ceux qui ont consenti à s'y établir. Cependant on ne tarda pas à voir que cette lie de la populalion, ainsi réunie et soumise au travail, ne tardait pas à entrer en fermentation, et que plusieurs de ses élémens apportaient dans ce refuge la profonde dépravation, l'incorrigible paresse qui les avaient jetés ou maintenus dans la misère. Il fallut songer à fonder des colonies de répression où le vice fût contenu.

Le fort d'Ommerchans, situé dans une vaste bruyère, fut donné, en 1820, par le gouvernement à la société, qui y disposa un établissement pour douze cent trente-trois mendians. La société s'engagea avec le gouvernement à en prendre soin. Dans ce lieu, les mendians ne sont pas, comme à Frederick's-Oord, répartis dans des fermes dont les revenus leur sont assignés; ils sont employés comme ouvriers à la journée, et le produit de leur travail leur est compté comme dans les ateliers de nos dépôts de mendicité et de nos maisons centrales. Seulement douze fermes y soat confiées, à titre de récompenses, aux mendians les plus intelligens et les plus soigneux. Ainsi considéré dans sa principale destination, Ommerchans est un véritable

dépôt de mendicité, dans lequel le travail est appliqué à la culture des

terres.

Qu'il me soit permis de rappeler, ici, qu'an premier exemple d'un tel emploi du travail des hommes à la charge de l'état, a été donné par un gouvernement qu'on ne cite pas d'ordinaire, en fait d'améliorations et d'innovations. Sous le règne de Pie VI, le gouvernement pontifical a fait dessécher et peupler un immense territoire situé près de Corneto, province du patrimoine, au moyen des enfans trouvés et abandonnés, et la colonie aujourd'hui florissante de Monte-Romano prouve que les bras oisifs ne peuvent être employés plus utilement qu'à la culture. J'ajouterai que, lorsque l'administration française forma à Rome deux dépôts de mendicité, elle disposa tout pour qu'une partie des mendians fût employée à cultiver un vaste terrain situé près du dépôt et pour y établir une école de bons cultivateurs.

Les Anglais ont aussi, depuis un assez grand nombre d'années, établi, pour les pauvres de quelques paroisses du comté de Kent, des fermes cultivées par les indigens, et M. de Villeneuve cite un rapport intéressant, fait en 1817 à la Chambre des communes, et duquel il résulte que cet emploi des bras des indigens avait réduit dans ces paroisses d'environ un tiers la charge de la taxe des pauvres.

Les mêmes vices, qui ont forcé à fonder une colonie de répression, ont obligé l'administration de ce dernier établissement à former une colonie de punition où les plus mauvais sujets sont relégués jusqu'à leur amendement.

Quelques gardes à cheval, quelques surveilans, des primes accordées pour l'arrestation des colons fugitifs, suffisent à contenir les mendians dans les établissemens qui leur sont assignés pour demeure.

Trois autres colonies ont été successivement fondées à peu de distance de Frederick's-Oord, sur la bruyère de Veen-Huizen; deux d'entre elles sont composées d'orphelins et d'enfans trouvés, la troisième de vétérans. Ces nouvelles colonies couvrent un espace de 1,330 hectares de 3,636 habitans.

Enfin, au milieu de ces établissemens, une école d'agriculture est ouverte à 60 jeunes garçons qui y pratiquent, sur 59 hectares, les meilleures méthodes de culture, et qui y apprennent à diriger les travaux des colonies

mères.

Les provinces méridionales du royaume des Pays-Bas ne sont pas restées en arrière des mouvemens imprimés d'abord dans le nord. 745 hectares de de bruyère ont été achetés, en 1822, par une société de bienfaisance formée à Bruxelles; les principes si heureusement appliqués par la société des provinces septentrionales furent mis en pratique avec un succès égal, et, en 1829, la population de la colonie de Wortel, près d'Anvers, comptait 553 individus.

Une succursale, destinée à la répression des mendians encroûtés dans le vice, fut établie à Merxplas, sur un terrain de 851 hectares. Un traité fut

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