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passé avec le gouvernement, par lequel la société s'engagea à y entretenir mille mendians, au prix, pour chacun, de 73 fr. 50 c. par an. Après scize années, ce sera gratuitement que le même nombre d'individus sera entretenu. En 1829, la colonie de répression contenait 807 individus, c'est-à-dire un nombre beaucoup plus considérable que la colonie libre, tant il est vrai que ce n'est que du temps et d'une salutaire rigueur qu'on peut obtenir l'amélioration morale de ces êtres dégradés par la misère et l'oisiveté.

En récapitulant tout ce qu'ont fait les sociétés de bienfaisance du royaume des Pays-Bas, en douze années, on est frappé d'admiration. 8,553 individus arrachés aux souffrances, à la honte et au vice; 3,490 hectares de terre défrichés et mis en culture; une abjecte populace transformée en une population saine et morale; des champs fertilisés ; des habitations commodes au lieu de stériles bruyères, de tourbières infectes; voilà le miracle dû au zèle d'un bon citoyen, à la protection d'un grand prince, à la bienfaisance d'une nation éclairée !

Je croirais vous offenser, messieurs, en m'excusant auprès de vous de la longueur de ces détails ; des hommes tels que vous sont dignes d'entendre citer de tels exemples de bienfaisance et d'habileté, car ils sont capables de les comprendre et de les imiter.

Au moment où j'écris, ces deux sociétés, rivales seulement dans le bien qu'elles opèrent, comptent plus de 25,000 membres, et le produit des souscriptions s'élève à plus de 300,000 fr. Le gouvernement paie, pour chaque mendiant, 75 fr. 60 c.; pour chaque invalide, 54 fr., et pour chaque enfant au-dessous de treize ans, 36 fr. 72 c.

Un journal, le Philantrope, tient le public au courant de ce qui concerne les colonies; plusieurs relations du plus haut intérêt ont été publiées et les plus grands résultats sont espérés de ces institutions.

DEUXIÈME PARTIE.

de l'utilité de L'ÉTABLISSEMENT EN FRANCE des colonies AGRICOLES.

M. le vicomte de Villeneuve, après avoir fait connaître avec détail l'histoire et la situation actuelle des colonics néerlandaises, est conduit, par un sentiment qui l'honore, à jeter les yeux sur notre pays, et à rechercher si un pareil remède ne pourrait pas être appliqué à des maux semblables.

Ayant parcouru avec honneur et succès cette carrière des préfectures, la plus favorable de toutes au développement de l'esprit d'observation; membre d'une famille qui a long-temps offert l'unique exemple de quatre frères également distingués dans des emplois de même nature, M. de Villeneuve était placé mieux que personne pour étudier, sous toutes les faces, la question qu'il se proposait de résoudre. Homme de talent, il a su la voir de haut et l'embrasser tout entière.

D'abord, il a cherché à sc rendre compte de la situation de la classe indigente en France.

En faisant cette recherche, il a regretté que l'administration n'ait point jusqu'à ce jour porté un œil assez attentif sur cette plaie de la société, veillé sur ces progrès, et constamment soumis les causes de ces progrès à un sérieux examen.

Dans les Pays-Bas, chaque année, le ministre de l'intérieur soumet anx états-généraux un état de situation de la classe indigente et un aperçu des ressources appliquées à son soulagement. Il est sans doute permis d'exprimer le vœu qu'un tel exemple soit imité en France.

Privé de renseignemens officiels, M. de Villeneuve a été contraint de s'aider des souvenirs de son administration dans divers départemens, et de sa correspondance de famille, et il est arrivé, par une suite d'inductions, au résultat suivant :

La France compte actuellement 31,878,174 habitans; sur ce nombre. 1,924,458 sont dans la nécessité de recourir à la charité publique.

Cette masse d'indigens est répartie dans le royaume d'une manière inégale. En premier lieu, comme il existe une sensible différence entre les conditions de l'existence dans les pays situés dans un climat où les hivers sont courts, peu rigoureux, où le travail est rarement interrompa, la subsistance plus facile, et ceux où de longues gelées laissent les bras sans occupation, en même temps qu'elles amènent des besoins pressans de chauffage, de vêtemens, et d'une alimentation plus forte, la population indigente doit être dans des rapports très divers avec la population totale, dans le sud et dans le nord de là deux zônes distinctes en outre dans chacune des zones, des circonstances locales, de grands rassemblemens d'hommes, le développement des industries, qui, soumises à des goûts éphémères, offrent alternativement et retirent le travail, amènent des différences notables.

Suivant M. de Villeneuve, la population indigente, dans la sixième partie du royaume seulement, est dans un état véritablement alarmant, et dans les autres parties, elle existe dans des proportions assez faibles pour pouvoir être facilement secourue par les moyens ordinaires.

Dans la zone souffrante, la population générale est d'environ 4,700,000 habitans, et la population indigente est d'environ 600,000 individus.

Les termes extrêmes des rapports entre les populations sont comme 1:6 et :: 1:30. Mais si on considère les villes isolément, on arrive à ce résultat effrayant que certaines villes comptent plus du tiers de leur population sur le registre des indigens.

C'est dans le département du royaume où la plaie est la plus large et la plus profonde, que M. de Villeneuve fait ses observations, et sans doute il aura été porté à appliquer son esprit à ces recherches, excité qu'il était par le spectacle si digne d'attention de la perfection de la culture et de l'industrie engendrant d'un côté la richesse et la moralité, et de l'autre la misère et la dépravation.

Ce beau département du Nord, peuplé de près d'un million d'habitans,

qui n'ont laissé incultes que 5,814 hectares de terre; ce département couvert de villes florissantes, coupé de canaux et de routes qui mettent en faciles rapports de nombreuses manufactures; ce pays modèle, en un mot, compte 150,000 indigens, dont 8,000 mendient habituellement leur pain.

Si vous vous souvenez, messieurs, de ce que je vous ai dit du royaume des Pays-Bas, vous comprendrez la situation de la Flandre française.

Entre ces deux pays, les analogies sont sensibles, climat, planimétrie de terrain, fertilité, habitudes d'ordre, amour du travail, industrie, accumulation de capitaux, tout, dans un pays comme dans l'autre, a concouru à un développement des puissances productives, tel qu'aucune autre contrée n'en offre d'exemple. Ainsi le département du Nord est arrivé à cet état de pléthore que connurent autrefois la Grèce et Rome, et qui accable aujourd'hui l'Irlande : état d'autant plus fàcheux qu'il tourne contre la civilisation les biens même qu'elles nous procure.

M. de Villeneuve, après avoir constaté la situation de son département sous le rapport du nombre des indigens, rechercha les causes d'un état si affligeant. Il reconnut d'abord que ce mal datait de loin, et qu'il existait depuis long-temps dans une égale proportion; car en 1789 on comptait 120,000 indigens pour une population de 808,147 individus : il vit ensuite que c'était surtout à l'exubérance de la population relativement à la surface du sol, aux fluctuations du travail dans les manufactures, à des habitudes vicieuses d'aumônes prodiguées jadis par de nombreuses et riches abbayes, à l'ignorance des basses classes, qu'on devait attribuer ce nombre prodigieux d'individus sans moyens d'existence.

Ses premiers soins furent donnés à tirer le meilleur parti possible des immenses secours offerts par la bienfaisance, et un réglement très étendu témoigne de la justesse de ses vues et de son esprit de prévoyance.

Mais ces palliatifs ne pouvaient satisfaire M. de Villeneuve: frappé de la gravité du mal, éclairé par l'exemple de ce qui se faisait au-delà de sa frontière, il a porté ses vucs sur des moyens permanens de secourir les indigens.

Comme le général Van den Bosch, c'est dans l'emploi des bras oisifs à l'agriculture des terres, jusqu'à ce jour dédaignés, qu'il croit trouver un remède au fléau qui menace nos provinces septentrionales.

Le département du Nord ne lui présentant presque aucune terre qui n'ait été mise en valeur, M. de Villeneuve a jeté ses regards sur les portions du royaume où le sol n'est pas encore entièrement employé. Des recherches faites avec persévérance lui ont permis de dresser, par département, un tableau des terres incultes, et le résultat de ce tableau donne un total de 7,221,226 hectares.

Vous savez, messieurs, que ces terres se trouvent principalement réunies en deux masses: en Bretagne, où elles occupent 828,000 hectares, et en Guienne, où leur superficie est à peu près égale; et ce sont ces deux

provinces que M. de Villeneuve a principalement en vue dans ses projets de colonisation.

Cet administrateur s'attache ensuite à démontrer que les landes de ces deux provinces sont susceptibles de cultures, et qu'elles se prêteraient, aussi bien que les bruyères des Pays-Bas, à un assolement raisonné. Son opinion sur la possibilité d'établir des colonies d'indigens dans ces terres incultes est appuyée de plusieurs autorités : d'abord, il cite MM. Léopold de Bellaing et Eugène de Montglave, qui ont publié des écrits sur cette question; ensuite M. le baron d'Haussez, ministre de la marine aujourd'hui, qui, pendant qu'il administrait le département de la Gironde, en 1826, publia une brochure intitulée Etudes sur les Landes, dans laquelle il établit la possibilité de secourir l'indigence en lui ouvrant des asiles dans ces plaines désertes, et qui donne tous les détails de la dépense et des produits présumables d'un établissement de colonie répressive.

M. le baron d'Haussez peut être cité avec confiance, car, successivement préfet des départemens des Landes et de la Gironde, il connaît parfaitement les ressources de ces contrées, et le premier, il a résolu, à Bordeaux, le grand problème de la répression de la mendicité.

M. le duc de Richelieu et M. Lainé avaient aussi conçu tout le parti qu'on pouvait tirer des landes pour l'occupation des classes indigentes, et en ma qualité de préfet de la Gironde, j'ai correspondu avec ces deux hommes de bien sur cet important objet. Enfin, si, après de si graves autorités, j'ose me citer, je puis dire que, dès 1819, j'avais préparé l'établissement de ces colonies en favorisant la formation d'une ferme d'expériences au milieu de ces plaines incultes, et qu'enfin, en 1827, je sollicitais à la tribune de la chambre des pairs l'appui du gouvernement pour l'ouverture d'un canal dans les Landes, en disant : « Notre population « est répartie d'une manière très inégale, et à côté des provinces où elle « s'entasse, nous avons de vastes contrées désertes. Il est temps de porter « nos regards sur elles, pour les préparer à recevoir notre excès de popu«lation, pour y fonder des colonies intérieures, bien plus utiles que les << colonies extérieures. » ( Séance du 19 juin 1827.)

Après avoir considéré sous toutes ses faces la grande question qu'il s'agit de résoudre, M. de Villeneuve arrive aux conclusions suivantes :

La France, principalement dans sa partie septentrionale, est chargée du poids d'une population improductive, souffrante, et qui fait la honte et le désespoir de l'administration: cette population est mal connue, et aucun renseignement officiel ne fait connaître exactement ni le nombre des individus, ni la situation véritable de chacun d'eux. •

De cette ignorance résulte une mauvaise répartition des secours, et par conséquent l'amoindrissement de leur efficacité.

Dès lors, le premier pas à faire est de porter les regards de l'adminis tration sur cette partie souffrante de la population..

Le moyen le plus efficace à employer pour éclairer ces obscurités serait la formation d'un conseil supérieur de bienfaisance, nommé par le roi, et dont les fonctions seraient d'étudier tout ce qui concerne les indigens, et de conseiller au gouvernement les moyens les plus assurés de les secourir.

Après avoir pourvu, par une institution spéciale, à une sorte de tutelle de la classe indigente, M. de Villeneuve passe aux moyens de la secourir. Au premier rang, il place la création d'une société générale de bienfa isance, sous les auspices de S. A. R. M. le Dauphin.

Cette société se composerait d'un nombre illimité de membres, qui ne contracteraient d'autre engagement que celui de payer, pendant qu'ils en feraient partie, une somme annuelle de 20 fr.

Il souhaiterait qu'à l'exemple de la société des prisons, elle obtint l'honneur, une fois par an, d'être présidée par M. le Dauphin. Le conseil supérieur de bienfaisance serait choisi dans son sein; il dirigerait les opérations et les travaux de la société ; ses membres auraient droit d'inspecter les établissemens de bienfaisance du royaume et d'éclairer le gouvernement sur les abus qui pourraient se glisser dans ces administrations.

Des commissions correspondantes seraient formées dans chaque département, et établiraient ainsi un vaste réseau, dont le nœud serait l'amour du bien; enfin des moyens de publication des actes de la société et de ceux du conseil supérieur seraient adoptés.

Le produit des souscriptions serait employé, en premier lieu :

1o A fonder sur les terres incultes de la Bretagne, de la Guienne, de la Champagne, de la Sologne, de la Provence, du Languedoc, etc., des dépôts de mendicité agricoles pour les mendians et vagabonds, sur les principes si heureusement appliqués dans les colonies de répression du royaume des Pays-Bas ;

2° A fonder des colonies libres pour les indigens non mendians. M. de Villeneuve voudrait qu'en même temps la législation répressive de la mendicité et du vagabondage fût révisée ;

Que la tutelle des enfans appartenant à des familles qui ont recours à la charité publique fût dévolue, par la loi, aux commissions administratives des hospices et aux bureaux de bienfaisance;

Que toutes les communes fussent tenues d'établir des écoles primaires; Que des obligations fussent imposées aux manufacturiers et chefs d'ateliers, tant pour maintenir la santé que pour conserver les mœurs de leurs ouvriers et pour répandre parmi eux les bienfaits de l'instruction;

Que l'entrée des cabarets fût interdite aux indigens, sous peine de pri vation de tout secours, etc.

Tel est l'ensemble des propositions faites par M. le vicomte de Villeneuve ; et je ne crois pas pouvoir terminer plus convenablement le résumé que je devais vous faire, que par les paroles mêmes dont se sert cet administrateur :

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