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La proportion du nombre des pauvres à la population varie très sensiblement entre les villes et les campagnes. En général, le rapport peut s'établir, pour les villes, de 1 à 10, et d'environ 1 à 30 pour les campagnes. Or, la population totale des villes et des communes ayant une population agglomérée de 1,500 habitans et au-dessus, étant de 7,672,450 habitans (1), et celles des communes rurales de 24,205,718, il en résulterait que la population des villes offrirait 767,245 indigens, et celle des campagnes 819,195.

Il existe encore une différence des plus sensibles entre la situation des classes indigentes, dans les provinces du nord et de l'ouest de la France, et dans les contrées du centre, de l'est et du sud.

Les provinces méridionales sont favorisées d'un climat doux et tempéré qui exige peu de besoins. Outre les ressources que fournit la pêche aux habitans du littoral maritime, la terre offre en abondance les céréales, les fruits et les autres productions qui forment la principale nourriture d'une population en général sobre et frugale, autant que saine et vigoureuse. Les principes religieux y ont été plus généralement conservés (9). Le luxe exagéré y est à peine connu. Des cultures successives et variées pour toutes les saisons, celle de la vigne surtout, donnent du travail à tous les bras valides pendant presque toute l'année. Le système d'industrie prédominant dérive de l'agriculture.

(1) Les villes de 5,000 habitans et au-dessus donnent une population de. 5,041,302 habitans. 2.634.154

Les communes de 1,500 à 5,000

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(2) La statistique morale de la France a prouvé que les départemens où se trouvent le plus grand nombre de prêtres catholiques, sont ceux où l'on compte à la fois le moins de pauvres, le moins de crimes et de délits contre la propriété, et le moins de suicides.

Le commerce intérieur s'alimente de produits nationaux ; les propriétés sont très divisées, la population peu agglomérée; le prix des loyers est modique; les grands froids ne durent guère au-delà de six semaines, de sorte que le combustible et les vêtemens chauds ne sont pas un objet de première nécessité. Les machines qui économisent les bras de l'homme sont encore peu répandues dans les établissemens industriels; le travail ne manque à personne, et, en général, les salaires sont suffisamment élevés.

Dans les départemens méridionaux, les bureaux de bienfaisance ne sont que peu ou point dotés, mais la plupart des communes possèdent des terrains vagues où les pauvres peuvent mener paître des chèvres ou des brebis. Celles dont le territoire s'étend aux montagnes des Pyrénées ont même, en propriété, de très grands espaces de terre couverts de prairies ou de forêts qui recèlent des marbres et des mines de différente nature. Il est vrai que dans ces communes les propriétaires fonciers se sont arrogés le droit d'être seuls admis au partage des pâturages, parce qu'ils possèdent des masses de bestiaux capables de consommer les herbes produites par ces montagnes pastorales dont ils usurpent ainsi le monopole. Quant aux forêts, les coupes sont vendues au profit des caisses communales; les habitans non propriétaires, et par conséquent les pauvres, sont exclus des bénéfices et demeurent donc frustrés des avantages de la communauté. Ces contrées présentent un plus grand nombre d'indigens, et, pendant l'hiver, si la température est rigoureuse, la misère est excessive et douloureuse dans les classes indigentes.

A cette exception près, on peut affirmer que la condition physique des pauvres, dans la région du midi, n'est pas de nature à alarmer trop vivement l'humanité. D'une part, peu de besoins de chauffage, de vêtemens, de nourriture (car les méridionaux consomment moins d'alimens que les autres peuples); de l'autre, plus de travail, et comparati

vement de meilleurs salaires et plus d'abondance des choses nécessaires à la vie. L'activité et le goût du travail ne manquent pas non plus aux populations du midi de la France. Elles n'appartiennent point à cette zone méridionale de l'Europe où l'excessive chaleur du climat porte à la mollesse, au repos et à l'oisiveté. Le peuple de Marseille, par exemple, n'a aucun point de ressemblance à cet égard avec celui de Naples ou de Lisbonne.

Dans les départemens de l'est, placés sous l'influence d'un climat généralement tempéré et qui présente, comme le midi, la culture de la vigne réunie à la plupart des autres productions de la France, la situation des indigens est également loin d'être défavorable. Une agriculture très avancée et une industrie qui s'exerce plus spécialement sur les produits du sol et en partie dans les campagnes, occupent à l'envi les bras valides. L'instruction est très répandue et le nombre des écoles tenues par des sœurs hospitalières fort considérable. Les communes sont propriétaires de terrains plus ou moins étendus dont les pauvres profitent. Les habitans ont, en général, des droits d'affouage dans les vastes forêts royales et communales. Dans un grand nombre de localités, la majeure partie des propriétés communes est distribuée en petits lots concédés temporairement aux habitans domiciliés suivant leur rang d'ancienneté dans l'habitation. Tous ont un droit égal au parcours et à la vaine pâture dans les terres non closes, lorsque les terres communales ne sont pas divisées en portions dites ménagères. Les produits de leur location, excédant les besoins municipaux, tournent au profit des habitans. Ainsi le pauvre participe autant que le riche aux bénéfices de la propriété commune, surtout par la faculté d'élever sans frais quelques bestiaux dont le lait forme sa principale nourriture. Le nombre des indigens admis à la charge de la charité publique se trouve ainsi fort diminué sous l'influence de ce régime communal généralement

suivi dans les anciennes provinces de Lorraine, d'Alsace et de Franche-Comté.

Cette situation, à peu de différence près, se retrouve dans les départemens du centre de la France où les travaux agricoles, le bas prix des comestibles et l'aisance plus générale des propriétaires qui habitent les campagnes, assurent de l'ouvrage et des secours à la classe des ouvriers.

La région de l'ouest réunit des conditions précieuses pour les classes indigentes. Le littoral offre des moyens de subsistances et de travail, par la pêche et la navigation. Le climat est tempéré ; les vignes, dans la majeure partie de cette contrée, occupent une infinité de bras. En Bretagne, où les vignobles cessent de croître, les châtaignes, le blé noir et le laitage deviennent, par compensation, une ressource abondante et économique pour les malheureux. Les bureaux de bienfaisance sont, en général, dénués de revenus; mais il existe des terrains d'une immense étendue où les pauvres peuvent recueillir quelques produits et exercer des droits de propriété et d'usage. Là, d'ailleurs, le bas prix des denrées et l'extrême simplicité de mœurs des classes inférieures semblerait devoir rendre peu nombreuse la population indigente. Toutefois, il est loin d'en être ainsi. Il existe une quantité effrayante de pauvres et de mendians dans les départemens de l'ancienne Bretagne, mais il faut remarquer que ce paupérisme se manifeste principalement dans les cantons où l'ancienne et riche industrie agricole et manufacturière des chanvres et des lins a disparu par l'introduction de l'industrie du coton. Sur une population de 2,522,831 habitans, les départemens formant la province de Bretagne comptent 152,683 indigens (dont 46,172 mendians), c'est-à-dire le 16 8|13 de la population totale. A la cause de misère que nous venons de signaler, la vérité oblige d'en mentionner plusieurs autres. Un territoire immense encore en friche;

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des communications difficiles; des malheurs politiques dont les traces n'ont pas disparu; dans les villes comme dans les campagnes, un penchant funeste à l'ivrognerie. Dans les campagnes, en outre, une profonde ignorance des mœurs âpres et rudes, un entêtement obstiné aux anciennes routines et une opposition énergique à toute idée d'amélioration nouvelle. La charité particulière y est active et inépuisable, mais, hors de l'enceinte des villes, dirigée sans prévoyance et sans discernement éclairé. Heureusement, dans cette province, le respect de la propriété, l'attachement aux anciennes croyances, un esprit conservateur des doctrines morales, la résignation religieuse des pauvres et la charité pratique des riches, servent de compensation souvent avantageuse à des maux qu'il sera plus facile d'y guérir, parce que leurs causes appartiennent beaucoup moins à la démoralisation générale.

Dans le nord du royaume, un ciel rigoureux multiplie les besoins et commande des habitudes onéreuses. L'humidité constante de l'atmosphère exige l'usage des boissons fortes et d'une alimentation très substantielle. Le chauffage et des vêtemens chauds sont des objets de nécessité première pendant presque la moitié de l'année. Les classes ouvrières pauvres, livrées de bonne heure à l'industrie manufacturière, sont très ignorantes et sans énergie physique et morale. A l'exemple de l'Angleterre, les entrepreneurs de la haute industrie les considèrent uniquement comme des instrumens mécaniques. Les procédés économiques sont très répandus dans l'industrie manufacturière et même dans l'agriculture dirigée d'après le système anglais. La culture des plantes oléagineuses a pris, surtout en Flandre, une extension qui nuit à la production des plantes alimentaires. Les fruits sont trop rares et trop chers pour offrir une ressource à la classe pauvre. La population se trouvant agglomérée et pressée en quelque sorte dans un espace très circonscrit, les loyers sont né

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