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sous le nom de Bréphotrophia; mais on n'a aucune notion précise sur ces établissemens. Toutefois on a lieu de penser que la vente et l'esclavage des enfans-trouvés étant permis par les lois, le nombre de ceux qu'on élevait aux frais de l'état était peu considérable.

On comprend que le respect pour la législation établie, ou peut-être des motifs de prudence, de sagesse et d'intérêt pour les bonnes mœurs, aient dû retarder l'époque où la charité chrétienne devait servir de mère tendre à ces malheureuses victimes du vice et de la misère.

Si l'on s'en rapporte à quelques légendes et aux capitulaires de Charlemagne, il paraîtrait que, dans le moyen âge, il existait en France des asiles pour les enfanstrouvés.

La plus ancienne institution en faveur des enfans-trouvés, sur laquelle on ait une donnée positive, est celle qui existait à Trèves dans le sixième siècle. Il en est question dans la vie de saint Gour, contemporain de Childebert. On cite aussi, d'après la vie de saint Mainbeuf, l'hospice qu'il avait fait bâtir à Angers en 654. L'histoire mentionne ensuite celui qui fut fondé à Milan par un archiprêtre nommé Dathéus, en 787.

En 1010, Olivier de la Trau ou de la Crau (d'autres disent le comte Guido) fonda à Montpellier l'hospice du Saint-Esprit, où des frères hospitaliers devaient soulager les pauvres, et élever les enfans-trouvés et les orphelins abandonnés.

Paris eut un hospice du même genre en 1362. Il était tenu par une confrérie dite du Saint-Esprit, confirmée par le pape Urbain II. Cependant, il parait avoir été destiné plus spécialement aux orphelins, ou du moins il n'était pas forcé à admettre les enfans-trouvés.

Mais ces fondations, dues à la charité de quelques individus pieux, étaient peu nombreuses; elles étaient d'ail

leurs spéciales aux villes où elles se trouvaient placées. On peut donc dire que, jusque vers la fin du dix-septième siècle, aucun établissement public ne s'élevait en Europe pour recevoir les femmes en couche et les enfans abandonnés. En France, l'opinion semblait même repousser de

semblables institutions.

Sous Charles VII, en 1443, un procureur du roi au Châtelet, ayant essayé de faire recevoir à l'hôpital du Saint-Esprit les enfans au maillot, trouvés les uns par la ville, les autres apportés aux huis dudit lieu, ou jetés nuitamment à val les rues, il ne put y réussir; et on lit dans les lettres-patentes que le roi donna quelque temps après en faveur de cette maison, ce passage remarquable: « Si l'on obligeoit l'hôpital du Saint-Esprit à recevoir les enfans-trouvés concurremment avec les orphelins, il y auroit bientôt une grande quantité des premiers, parce que moult gens feroient moins de difficultés de eux abandonner à pécher quand ils verraient que tels enfans bâtards seroient nourris, et qu'ils n'en auroient pas la charge première ni sollicitude. »

Chaque ville, chaque seigneur se conduisait à cet égard suivant les inspirations de sa charité ou la richesse de ses

revenus.

A Paris, on déposait les enfans dans une coquille de marbre, placée pour cet usage à la porte des églises. Les marguilliers les recueillaient, dressaient procès-verbal, et s'occupaient du soin de trouver quelqu'un qui voulût les nourrir. Ces simples mesures suffirent pendant long-temps au petit nombre d'infortunés qu'elles concernaient, et qui ne s'élevait pas alors à plus de deux ou trois cents par an.

Cependant, vers 1680, ils trouvèrent un asile et des soins particuliers dans une maison de la capitale : c'était celle d'une veuve pieuse, madame Legras (nièce du garde des

sceaux Marillac), qui demeurait auprès de Saint-Landry. La tradition a conservé le nom que la maison reçut de la voix publique, celui de Maison de la Couche. L'autorité y envoya tous les enfans exposés; mais d'affreux abus s'introduisirent dans ce refuge : la charité l'avait ouvert; un trafic infâme obligea de le fermer.

Quatre ans après, le sort déplorable des enfans abandonnés toucha de nouveau l'âme profondément sensible d'un vertueux ecclésiastique que l'église a mis au rang des saints (1): il accomplit en effet le plus beau des miracles; il montra sur la terre la charité la plus inépuisable

(1) « Cet énorme scandale de l'humanité, selon l'éloquente expression de l'abbé Maury, affligeait le monde, lorsqu'un berger des Landes, le père des malheureux, le plus vertueux des hommes, Vincent de Paule, parvint, en 1640, à le faire cesser. Il rencontre, un jour, sous les murs de Paris, un enfant-trouvé, entre les mains d'un mendiant qui lui déformait les membres. Il accourt sur lui, enlève l'enfant, de cette autorité que la vertu donne sur le crime, l'emporte dans ses bras, traverse Paris, assemble la foule, appelle sur ces enfans la pitié des âmes sensibles, et peu de jours après il fonde pour ces enfans un hospice. »

<< Comme tous les établissemens nouveaux, celui-ci éprouva des difficultés. Aux premiers sentimens d'humanité succédèrent l'indifférence, la puissance de l'habitude, la tiédeur de la pitié. Vincent de Paule monta en chaire, et dit aux dames qui l'entouraient : « Mesdames, vous avez adopté ces enfans; vous êtes devenues leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères, selon la nature, les ont abandonnés. Voyez si vous voulez les abandonner pour toujours. Cessez, dans ce moment, d'être leurs mères pour devenir leurs juges. Il est temps que vous prononciez leur arrêt. Ils vivront, si vous continuez d'en prendre un soin charitable, et ils mourront demain si vous les délaissez. >>

« A ces pieux accens de l'apôtre de l'humanité, ces dames reprirent les enfans; les sentimens de leur charité se réveillèrent, et la France donna le premier exemple, suivi depuis dans les états policés de l'Europe, des asiles ouverts à des êtres infortunés, abandonnés, en naissant, de leufs

mères. »

« Vincent de Paule avait judicieusement pensé que la vertu la plus pure, jointe à un désintéressement absolu, pouvait seule remplacer les soins d'une mère aussi se garda-t-il d'employer des mains mercenaires. Le cœur d'une mère ne peut être remplacé que par cet esprit de charité qu'il inspire et qu'il exige en même temps de ces pieuses filles qui abandonnent leurs fa

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et le dévouement le plus ardent au malheur. Deux personnes s'unirent à son zèle : l'une (c'était encore une femme) fut Elisabeth Lhuilier, épouse du chancelier d'Aligre, et ce magistrat lui-même (1).

Ces noms respectables semblaient promettre le succès. Un appui auguste vint le garantir. Louis XIII, non moins généreux que son ministre, assigna 40,000 liv. de rente sur ses domaines de Gonesse pour l'érection d'une maison où l'on devait transporter les enfans, et, bientôt après, il donna le château royal de Bicêtre pour y recevoir les enfans-trouvés. On s'aperçut promptement qu'un air beaucoup trop vif dévorait, dans ce royal asile, la vie de ces pauvres enfans. Le château de Bicêtre changea de destination, et reçut les malfaiteurs et les aliénés. Les enfans furent établis d'abord, en 1670, au faubourg Saint-Lazare, et de là rue Notre-Dame, dans une maison appelée la Marguerite. C'est de cette époque que date la fondation réelle de l'hospice des Enfans-Trouvés. Des réglemens particuliers fixèrent son organisation. Le plus sage est celui qui donna aux sœurs de la charité, récemment instituées par saint Vincent-de-Paule, et à des âmes pieuses, le soin spécial de ces enfans. On fit venir de la Bourgogne, de la Normandie et de la Picardie des nourrices auxquelles on les confia pour les élever à la campagne. Au bout de six ans, ils revenaient dans la maison de Paris, où l'on milles, le monde, ses attraits, le bonheur d'être épouses et mères, pour soigner les enfans des autres. >>

« Il a tracé leur règle : leur vie est active, pénible, mais libre. Elles touchent encore au monde, où elles peuvent rentrer. Elles deviennent des mères d'adoption plus tendres pour ces enfans que celles qui leur ont donné la vie liées par des vœux annuels seulement, leur zèle s'accroît par la facilité de changer d'état ; et la vie de plusieurs se consume dans cette œuvre renaissante de charité. » (Observations sur les enfans trouvés, par M. Auguste Cassany Mazet.)

(1) Leurs descendans se sont montrés dignes de cet admirable exemple. L'hôpital d'Aligre, fondé récemment à Chartres, témoigne de la charité héréditaire de cette vertueuse famille.

s'occupait de leur éducation. Parvenus à l'âge de dix à onze ans, on les plaçait en apprentissage; enfin, lorsqu'ils avaient atteint leur seizième année, ils recevaient, pour derniers secours, le libre exercice de la profession qu'ils avaient choisie.

L'exemple de la ville de Paris fut suivi par les autres villes principales de France : la charité de saint Vincentde-Paule et de ses admirables filles s'étendit ainsi à toutes les provinces. Au reste, ce n'était que dans les cités populeuses que les hospices d'enfans-trouvés devenaient nécessaires; partout ailleurs il était rare de voir des enfans abandonnés, et la bienfaisance des personnes pieuses pourvoyait à leur existence.

Ce régime dura près d'un siècle et demi (cent trentetrois ans). La révolution de 1789 y mit fin, et la dépravation des mœurs publiques le rendit bientôt plus nécessaire que jamais. Lorsque l'ordre reparut en France, le gouvernement généralisa successivement le système des enfans-trouvés, et chaque département du royaume fut chargé de subvenir à leur entretien. Nous donnerons, dans la suite de cet ouvrage, quelques détails sur la législation qui régit cette branche des secours publics, et sur les résultats qu'elle a produits jusqu'à ce jour.

Telle est l'histoire des hospices d'enfans-trouvés en France.

Dans les autres états de l'Europe, elle offre des particularités intéressantes; mais partout, excepté en Italie, la réception des enfans abandonnés dans des asiles publics date des temps modernes. Il est probable cependant que l'Espagne et le Portugal s'empressèrent de suivre l'exemple de la France et de l'Italie. Il paraît que saint Thomas de Villeneuve, archevêque de Valence en 1480, dont toute la vie fut marquée par une charité ardente envers les pauvres, signala sa bienfaisance par des soins touchans en faveur des enfans-trouvés; mais nous n'avons que des renseigne

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