uns. Successivement, il s'en forma pour soigner spécialement les aliénés. On vit une maison s'établir à Charenton par les frères de la Charité ou de Saint-Jean-de-Dieu. Dans le nord dela France, ces mêmes frères, plus connus sous le nom de Bons-Fils, jouirent en quelque sorte du privilége exclusif de soigner les insensés. Ils eurent de grands pensionnats à Lille, à Armentières, à Saint-Venant en Artois, à Maréville, près Nanci. Lorsqu'il se trouvait, dans des familles opulentes, quelques individus atteints de folie, on plaçait près de lui un de ces frères pour le surveiller. Plusieurs de ces religieux remplissaient les mêmes soins dans divers hospices. C'est à Lyon et à Rouen que, pour la première fois en Europe, l'on commença d'appliquer un traitement curatif à l'aliénation mentale, regardée jusqu'alors comme incurable. A Paris, ce ne fut qu'en 1787 que l'on songea à imiter cet exemple d'une charité éclairée. Louis XVI fit bâtir pour cet objet l'hôpital de la Salpétrière. M. Viel, architecte habile, et MM. Tenon et Soulavie, médecins, avaient été chargés par cet excellent prince d'aller étudier en Angleterre les 'établissemens d'aliénés, que, malgré leur imperfection, on regardait alors comme des modèles. Les plans de M. Tenon, les projets plus étendus de M. de Larochefoucauld-Liancourt, et les aperçus législatifs de M. Cabanis sur cette importante amélioration, furent ajournés. D'autres soins alors occupaient les esprits, et Louis XVI n'était plus le maître de se livrer exclusivement à sa bienfaisance. En 1792, M. Pinel, nommé médecin en chef de Bicêtre, eut l'heureuse inspiration d'essayer l'effet de ses soins sur les fous qui avaient été envoyés dans cette maison, après avoir été jugés incurables par les médecins de la Salpétrière. 80 maniaques, habituellement enchaînés, furent délivrés de leurs liens; rendus à un traitement plus doux et plus salutaire, plusieurs reprirent l'usage de leur intelligence. La France a ainsi la gloire d'avoir donné aux autres nations l'exemple du traitement moral des aliénés. Toutefois, les grandes améliorations obtenues dans le régime des hôpitaux ne s'étendirent que lentement, et dans peu de villes, au sort des aliénés. Les troubles révolutionnaires arrêtèrent le mouvement donné par Louis XVI. Le gouvernement impérial apporta des regards attentifs sur cette partie de l'administration des secours publics. Celui de la restauration ne cessa de s'en occuper avec un zèle extrême. Une maison royale modèle fut fondée à Charenton. Aujourd'hui, Bordeaux, Rouen (1), Nîmes, Lyon, Nantes (2), Tours, Armentières, Nanci (3), possèdent, ou sont à la veille de posséder, des maisons où les insensés des départemens circonvoisins reçoivent tous les secours que réclame l'humanité, et que la science est parvenue à rendre efficaces. Quelques autres villes s'occupent également d'établir des hôpitaux pour le traitement de la folie : des maisons (1) Le magnifique hôpital des Insensés de Rouen est dû à l'habile et sage administration, de M. le baron de Vanssay, préfet de la Seine-Infé rieure. (2) A Nantes, on a projeté, en 1826, sous l'administration de M. de Villeneuve, de former un hôpital d'insensés dans les vastes bâtimens de l'ancien dépôt de mendicité. M. de Tollenare, secrétaire-général de l'administration des hospices, et MM. Drouillard, architectes, en avaient rédigé les plans avec les soins les plus éclairés. (3) L'hospice de Maréville, près Nanci, rétabli par M. Marquis, an eien préfet, est confié aux soins des dames de Saint-Charles. Rien ne peut égaler leur zèle, leur sagesse et leur tendre humanité. La respectable supérieure (sœur Euphémie) avait obtenu, sur les insensés placés dans cette maison, un ascendant tel que le moindre signe de sa part recevait une obéissance empressée, et que sa seule présence (nous en avons été souvent témoin) calmait les plus furieux emportemens: tant est grand le pouvoir de la charité religieuse, même sur les êtres privés d'intelligence! particulières de santé, consacrées à cet usage, ont été fondées dans plusieurs départemens (1), et reçoivent les aliénés envoyés par des familles ou par l'administration ; mais ces bienfaits ne s'étendent point encore à tout le royaume. Dans les hospices généraux de vieillards et d'infirmes, et dans quelques prisons, les quartiers destinés aux aliénés n'ont offert et n'offrent même encore dans beaucoup de villes, qu'un aspect affligeant pour l'humanité. Presque partout ils occupent les bâtimens les plus retirés, les plus vieux, les plus humides, les plus malsains. Leurs cellules, appelées loges, sont sans air, étroites, pavées à la manière des rues, souvent plus basses que le sol et quelquefois situées dans des souterrains, et exhalant une odeur fétide. Ordinairement, ces loges n'ont pour ouverture que la porte et un trou carré établi sur la porte même. L'air ne s'y renouvelle pas. Les aliénés tranquilles n'ont pas toujours l'espace nécessaire pour prendre l'air et faire un peu d'exercice. Les furieux sont constamment renfermés, et souvent livrés aux caprices et à la dureté des infirmiers: enfin les hôpitaux, et même les prisons, n'offrent dans beaucoup de départemens aucun local disponible pour recevoir les insensés. On est encore obligé de (1) Parmi les maisons de santé créées en faveur des aliénés, on doit citer justement celles fondées à Lyon, à Montbrison, à Saint-Aubin (Finistère), et à L'Hommelet, près Lille (Nord), par le R. P. de Magalon de Saint-Jean-de-Dieu, supérieur et restaurateur des frères de la charité. Les soins les plus touchans sont prodigués, par ces religieux, aux infortunés qu'on leur confie, et ces établissemens précieux reçoivent chaque jour les améliorations que l'expérience et l'observation font juger nécessaires. Le dévouement de M. de Magalon est d'autant plus admirable que sa jeunesse, sa position sociale et ses services militaires distingués sem blaient lui promettre plus de bonheur dans le monde qu'il a quitté pour se consacrer entièrement à des œuvres de miséricorde. Il nous est doux de payer ici un tribut de respect et d'affection à ce martyr de la charité, auquel une ancienne amitié nous lie, et dont nous avons pu juger si parfaitement le zèle, les efforts et les succès. \ les laisser dans leurs familles ou exposés à la pitié publique, ce qui compromet à la fois leur existence et la sécurité des habitans. En 1818, on comptait en France : 1o Huit établissemens exclusivement consacrés à la réclusion et au traitement des aliénés, et ils renfermaient. 1,220 individus. 2o Vingt-quatre hospices ou hôpitaux qui possèdent des quartiers affectés aux aliénés et contenaient 3,196 3o Quinze dépôts de mendicité ou maisons de correction... 613 4o On peut ajouter à ce nombre pour les aliénés épars dans de petits hospices ou des prisons, environ 5o Et enfin on peut évaluer par aperçu à. 1,000 3,500 le nombre de ceux qui sont dans les maisons de santé ou laissés dans leurs familles. Total.. 9,529 individus. Aujourd'hui le nombre de ces aliénés peut s'élever de 10 à 11,000. Jadis quelques villes de France passaient pour produire beaucoup de fous. Depuis la révolution de 1789, le nombre s'en est considérablement augmenté dans les cités les plus populeuses. Les lumières répandues sur les soins et le traitement moral à donner aux aliénés, par les écrits et les exemples de médecins habiles et charitables (au premier rang desquels nous devons placer MM. Pinel et Esquirol); le zèle déployé par la plupart des ministres de la restauration (et notamment de M. le vicomte Lainé) pour généraliser et étendre les améliorations dont les hôpitaux d'aliénés étaient susceptibles, de manière à rendre à la société tous ceux qui peuvent recouvrer leur intelligence et adoucir du moins l'existence de tous ceux dont l'égarement ne laisse aucun espoir de guérison, permettent d'entrevoir le moment où les vœux du bienfaisant Louis XVI seront enfin complétement réalisés. La reconnaissance et la justice exigent que nous fassions connaître ici combien ses augustes frères Louis XVIII et Charles X, et son vertueux. gendre, M. le Dauphin, mettaient de prix à les seconder. C'est à ces princes que l'on doit la création de la maison modèle d'aliénés établie à Charenton, que nous avons déjà mentionnée et que nous envient les nations étrangères. Les progrès de l'amélioration du sort des aliénés n'ont pas été plus rapides et sont même loin d'être aussi avancés dans les autres contrées de l'Europe. La situation dans laquelle gémissaient en Angleterre la plupart de ces infortunés, avait appelé, depuis plusieurs années, l'attention du parlement, et la chambre des communes chargea un comité pris dans son sein, de recueillir des informations exactes sur les maisons où les aliénés sont admis et de soumettre ses vues sur les moyens d'améliorer leur existence physique et morale. Les anciens hospices, dit Bethléem ou (Bedlam), à Londres, à Yorick, à Edimbourg et à Dublin, offraient des inconvéniens et des abus graves. Le gouvernement anglais s'est proposé d'y remédier et même d'établir une maison d'aliénés par comté. Déjà un nouvel hospice dit Bethleem a été construit à Londres avec une magnificence remarquable. Mais sa distribution n'a pas complétement satisfait notre savant docteur Esquirol, et il ne paraît pas que le régime intérieur réponde à des vues éclairées et compatissantes (1). Nous (1) La Revue Britannique donne des détails sur l'hôpital des fous construit à Londres en 1812. Nous en avons extrait le passage suivant : « Il existe à Londres environ cent cinquante hôpitaux ou infirmeries. Mais, sans contredit, le plus curieux de ces établissemens, c'est Béthléem, espèce d'hôpital de fous, institution bizarre qui n'a pas d'analogue en Europe. Ce n'est ni l'idiotisme, ni le délire, ni l'aberration commune des facultés morales que l'on a enfermé dans cette geole, c'est la folie du crime, c'est l'atrocité humaine lorsqu'elle a dépassé toutes les limites de la vraisemblance. << On punit les criminels vulgaires. Mais que des passions infernales, que des penchans bizarrement atroces dominent votre âme, soyez original dans le crime, les juges et le jury vous déclareront monomane, et vous serez, pour votre vie, jeté dans Phôpital de Bethléem: à des forfaits d'une |