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pouvons dire ici avec un sentiment d'orgueil bien naturel que c'est dans nos maisons spéciales d'aliénés que les Anglais sont venus récemment chercher des modèles que Louis XVI ne trouva pas chez nos voisins. N'appartenait-il pas, en effet, au royaume très chrétien de donner partout l'exemple de la charité perfectionnée ?

Dans les Etats-Unis d'Amérique, les aliénés sont encore dans des maisons de travail et de correction ou dans les hôpitaux ordinaires. Il en est de même en Hollande et en Belgique. En 1811, nous les avons vus, dans la province de Zélande, renfermés dans les cachots des prisons. A Vurtzbourg, à Francfort, à Bamberg, à Bayreuth, à Tubingen, et, en général, dans toute l'Allemagne, les insensés étaient, il y a peu d'années, entassés pêle-mêle dans les cachots ou dans les souterrains; souvent même ils étaient livrés en spectacle à la curiosité publique. On ne connaissait que la terreur pour faire régner l'ordre parmi eux, et les fouets et les chaînes étaient les seuls moyens employés pour les contenir.

En Espagne, le sort des insensés n'était pas moins déplorable. Ils étaient, pour la plupart, placés dans un

espèce surnaturelle et anormale, on ne vous suppose d'autres motifs que la folie. Les neuf dixièmes des malheureux que les cabanons emprisonnent pour toujours, sont des monstres de cruauté, de lubricité, ou d'infamie, qui ne doivent qu'à la singularité et à l'excès de leurs vices, la conservation de leur existence. »

« Que présentent, dit M. le baron d'Haussez, la plupart des maisons destinées au soulagement des maladies mentales, et celle même tant vantée de Bedlam? des prisons plus ou moins vastes, où sont traités, d'une manière plus ou moins sévère, les malheureux que leur position ne permettrait pas de laisser libres. A peu d'exceptions près, un mode uniforme sert à combattre toutes les maladies, sans égard pour leur origine et leur marche. On ne recourt pas à un traitement moral approprié aux principes, aux symptômes si variés de chaque maladie. La société, les familles sont débarrassées d'un individu qui les incommodait, au moyen d'une espèce de tombeau provisoire, où, vivant, il attendra que la mort le fasse passer dans un autre. » ( De la Grande-Bretagne en 1833.)

quartier isolé des prisons ou des hospices, enchaînés, et, lorsqu'ils étaient furieux, placés dans des sortes de cages de fer, et livrés à la merci des barbares gardiens. Nous avons vu à Barcelone, en 1812, ces infortunés dans un préau dont les murs étaient bizarrement décorés de crânes et d'ossemens humains, triste dépouille des aliénés morts dans cette horrible demeure....!

Mais l'exemple de la charité française n'a pas été seulement efficace à l'Angleterre. L'Espagne n'est plus étrangère à la sollicitude manifestée par l'amélioration des aliénés. Le gouvernement espagnol a fait visiter nos maisons modèles et prendre copie de leur plan et de leurs réglemens. En Allemagne, en Prusse, en Suisse, on projette de nouveaux établissemens. On en a construit un à Munich en 1811. Il en existe un en Saxe, à Pyrna, près Dresde. Il est vaste, bien situé et dirigé d'après d'excellens principes.

Les aliénés reçoivent un traitement médical à Florence, dans le bel hôpital de Bonifacio.

A Rome, pendant long-temps, les aliénés étaient placés dans une sorte de prison et livrés aux soins de vrais geoliers. Par les soins de Pie VI, leur sort fut sensiblement amélioré. M. le comte de Tournon, dans sa statistique du département de Rome, paie à ce sujet un juste tribut d'éloge au gouvernement pontifical. « L'administration française, dit-il, trouva l'hospice général des aliénés propre, bien distribué et parfaitement sain, et acquit ainsi une nouvelle preuve que l'autorité du Saint-Siége, loin d'être en arrière du mouvement en faveur des êtres souffrans, s'y associait depuis long-temps, et même le devançait. En 1810, l'hospice des aliénés était au niveau des anciens hôpitaux les mieux entendus. »

Un quartier isolé de l'hôpital de Gênes reçoit des aliénés; il en est de même à Turin.

A Naples, l'établissement est dirigé par un ecclésiastique: on y a réuni tous les moyens de distraction, et particulièrement des instrumens de musique. On a signalé de grands succès obtenus par cette méthode de traitement. Cependant plusieurs médecins éclairés ont cru devoir attendre une plus longue expérience avant d'en proposer l'i

mitation.

Ainsi, l'on peut espérer que par degrés le sort des malheureuses victimes de la plus cruelle des maladies sera soulagé dans tous les états chrétiens, selon les vœux de la charité religieuse.

En Turquie, la folie est regardée comme une marque de la faveur du ciel. On n'a garde, par conséquent, d'entreprendre de la guérir. M. Michaud, dans sa correspondance d'orient, en 1850 et 1851, raconte comment le concierge musulman d'une maison de fous à Constantinople, lui expliqua l'origine de la croyance mahométane que la folie est sacrée. « La raison, disait ce concierge, a été donnée à l'homme pour le conduire dans cette vie. Dès qu'elle se retire, il faut bien que la bonté divine prenne sa place. » Les fous furieux sont enfermés dans des maisons magnifiques, mais à la vérité, presque nus et enchaînés. Au Caire, lors de l'expédition d'Egypte, il existait un hôpital où M. le docteur Desgenettes a trouvé plusieurs aliénés dans un état d'abandon presque absolu.

la

Nous terminerons ce chapitre en donnant quelques détails sur un village appelé Village des Fous; non que folie y soit endémique, mais parce que les fous y abondent de tous côtés. Son nom véritable est Géel; il est situé dans la Campine en Belgique ; on y envoie des alićnés de toutes les contrées voisines, même de Bruxelles. Ils sont mis en pension chez des paysans, mangent avec leurs hôtes, logent dans leurs maisons et se promènent librement. S'ils se livrent à des excès on leur met les fers

aux pieds. Il y a à Géel une pierre mystérieuse, élevée dans un lieu consacré, qui passe pour opérer des miracles. Cet étrange pensionnat fait de temps immémorial la seule richesse des habitans de Géel (1). -***

(1) Il existe à Géel (bourg d'environ 6,500 habitans, presque tous cultivateurs, à cinq lieucs de Turnhout, province d'Anvers), par suite de diverses circonstances, un grand nombre d'aliénés placés chez des fermic:s qui les occupent, suivant leur force et leur âge, à des travaux champêtres. La liberté qu'on leur laisse, le grand air, leurs occupations de culture, la vie paisible qu'ils mènent, rendent à beaucoup de ces infortunés les facultés que les adversités, les chagrins et d'autres causes leur avaient fait perdre. Bruxelles, Anvers, et beaucoup d'autres villes, au lieu de tenir les aliénés indigens, et qui ne sont point dangereux, renfermés dans un hospice où l'état de ces malheureux ne fait ordinairement qu'empirer, les envoient et les mettent en pension chez des cultivateurs de Géel. Les hospices y paient 90 florins par individu, et les habillent. Ils y trouvent une très grande économie, outre les avantages qu'ils recueillent sous le rapport de l'humanité.

L'arrivée des insensés à Géel est accompagnée de circonstances d'un grand intérêt : ils sont d'abord déposés dans l'église, où un ecclésiastique, dont le zèle s'est en quelque sorte façonné à leur infirmité, leur donne les consolations qu'offre la religion, et les exhorte ordinairement, avec succès, à prendre part à des prières analogues à leur état; ils sont ensuite répartis chez les cultivateurs, qui, malgré la modicité de la pension, les recherchent et en prennent le plus grand soin. Les aliénés les plus aisés sont ordinairement en pension chez les plus riches cultivateurs, et se livrent aussi, comme les indigens, aux travaux de l'agriculture; ils ont généralement l'air satisfait, et sont avec leurs hôtes comme en famille. It n'y a pour ainsi dire pas d'exemple qu'aucun aliéné se soit livré à des excès, et l'on en a vu rester vingt ans dans la même ferme sans avoir jamais manifesté le désir de la quitter, et travaillant sans s'ennuyer.

Une jeune fille bien née, appartenant à une famille respectable, avait eu le malheur de se livrer à un ravisseur dont elle fut bientôt abandonnée. Elle en devint folle, et fut enfermée; mais étant parvenue à s'échapper, elle arriva de nuit à Géel, où sa déplorable situation intéressa une famille de bons cultivateurs qui la recurent chez eux, et parvinrent à la guérir en la faisant participer à leurs travaux pour la distraire. Rappeléc à la raison par leurs soins, elle ne voulut plus avoir d'autre séjour ni d'autre existence que d'y consacrer, à des êtres affligés du malheur qu'elle avait si bien connu, des secours pareils à ceux qu'elle avait reçus. Des

soins si pieux eurent un succès assez fréquent pour qu'elle laissât en mourant, dans ce pays, l'idée d'une sainte, et l'invocation à Sainte-Dymphe (tel était son nom) est encore considérée comme un moyen de guérison et d'influence sur l'aliéné.

Ce trait a été renouvelé aux Etats-Unis à l'occasion de l'établissement d'un hospice d'aliénés.

Il existe à la Salpétrière une folle qui a eu le même sort que Dymphe. (Des Colonies agricoles, par M. Huerne de Pommeuse.)

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