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CHAPITRE XIV.

DES INSTITUTIONS DE SOURDS-MUETS.

Y a-t-il quelque possibilité de communiquer aux infortunés sourds-muets qui ne savent pas lire, les vérités de la religion les plus élevées au-dessus des sens et de la raison? Je le crois, fondé sur ce que les sourds-muets ont en eux les mêmes sentimens innés qui sont en nous, et qu'ils ont la même intelligence que nous.

(Catéchisme de sourds-muets, par monseigneur D'ASTROS, archevêque de Toulouse.)

L'ART ingénieux qui, substituant le geste aux articulations de la voix, peut rendre en quelque sorte aux sourdsmuets la parole et l'intelligence, est dû au clergé catholique. Si nous ne pouvons revendiquer, pour la France, l'honneur de son invention, nous avons du moins celui de l'avoir porté au plus haut degré de perfectionnement, par les soins de deux prêtres vertueux.

Cet art a pris naissance chez les Espagnols. Du moins on ne trouve à cet égard point de traces antérieures aux essais faits par un religieux bénédictin du monastère d'Ogna, nommé Pierre de Ponce. En 1570, il le mit en usage pour deux frères et une sœur du connétable de Castille, sourds-muets, auxquels il apprit, dit-on, par sa méthode, à lire, à écrire, à calculer, les principes de la reli

gion, les langues anciennes et étrangères, la peinture, l'astronomie, la tactique, la politique, ce qui supposerait, dans l'origine de la science, un degré de perfection extraordinaire. Ponce ne laissa aucun détail de ses procédés. Les deux premiers ouvrages que l'on possède sur cette matière sont encore dus à deux Espagnols, Jean-Paul Bonnel et Ramirez de Carion. Après eux vinrent plusieurs Anglais dont chacun pensait être le premier qui eût écrit sur l'éducation des sourds-muets; enfin, en 1748, on vit à Paris l'Espagnol Pereira, qui présenta plusieurs de ses élèves à l'Académie des Sciences, et obtint de cette compagnie l'approbation la plus flatteuse.

C'était à l'époque des plus grands succès de Pereira, que le hasard fit connaître à l'abbé de l'Epée deux jeunes sœurs sourdes-muettes, à peu près privées de tous moyens d'existence. Il entreprit de leur donner ses soins et réussit au-delà de ses espérances. Il crut dès lors que sa vocation l'appelait à fonder une institution de sourds-muets, et consacra toute sa fortune à cette bonne œuvre. Les libéralités du généreux duc de Penthièvre et de quelques personnes bienfaisantes l'aidèrent dans cette entreprise; mais il n'eut pas la consolation de voir, de son vivant, adopter par le gouvernement un établissement qui excitait l'admiration de l'Europe, et que plusieurs souverains s'étaient empressés d'imiter dans leurs états. Il mourut en 1789, dans les augustes fonctions de réparateur des torts de la nature, au moment où Louis XVI avait accordé pour l'institution une somme de 31,000 liv. et une maison près les Célestins. L'établissement actuel des sourds-muets, qui a si justement illustré l'abbé Sicard, fut l'objet d'un décret de l'assemblée constituante, sanctionné en 1791 par Louis XVI (1).

(1) En 1829, les administrateurs de l'Institution royale des sourdsmuets, de Paris, étaient MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeau

:

Depuis cette époque, une seconde institution royale des sourds-muets fut fondée à Bordeaux, et un certain nombre d'élèves y sont, comme dans l'établissement de Paris entretenus aux frais du gouvernement; mais l'une et l'autre n'ont point encore reçu une extension qui permette de subvenir à tous les besoins.

On présume qu'il existe en France environ 20,000 sourdsmuets, c'est-à-dire un sur 1,600 habitans; et, sur ce nombre, la majeure partie, appartenant à des familles malheureuses (quelques statisticiens en élèvent la proportion à 25 sur 24), mérite de fixer la sollicitude d'une administration bienfaisante. Privés, par la nature de leur double infirmité, des moyens d'exprimer leurs besoins et leurs idées, ces infortunés restent, pendant toute leur vie, à charge à eux-mêmes, à leurs parens et à la société. Ils ne peuvent jouir d'aucun des bienfaits de l'éducation publique ou domestique, puisqu'il faut un art particulier pour développer leur intelligence, rendre leur esprit accessible aux premières notions de la morale et de la religion, et leur apprendre un métier, à l'aide duquel ils puissent pourvoir à leur existence.

Quelques institutions particulières se sont formées dans les provinces. Il en existe à Angers, à Arras, à Auray, à Caen, à Marseille, à Nancy et à Rhodez. L'institution placée à Nancy, sous la direction de M. Piroux, obtint, en 1829, un flatteur encouragement de la part du conseil municipal de cette ville. Dès 1818, le ministre de l'intérieur avait invité les préfets à proposer aux conseils généraux de fonder des bourses gratuites pour placer un certain nombre de sourds-muets indigens dans ces institutions. Déjà plusieurs de ces malheureux jouissent des bienfaits de cette mesure que l'on ne saurait trop généraliser, et

ville, le comte Alexis de Noailles, Guéneau de Mussy, le baron Rendu, Breton, et le comte de Breteuil.

qui ne peut entraîner des dépenses trop onéreuses (1). L'un de nos plus éminens prélats, monseigneur d'Astros, archevêque de Toulouse, connu par ses lumières et ses vertus, autant que par son courage à subir de grandes persécutions, a conçu la pensée toute chrétienne d'un catéchisme propre aux sourds-muets qui ne savent pas lire, lequel, par une suite de tableaux ingénieusement gradués et exécutés, pouvait donner aux sourds-muets une idée complète de Dieu, de l'immortalité de l'âme, de la destinée religieuse de l'homme, et des principaux mystères de la religion. Appuyé des avis d'un respectable ecclésiastique qui s'était consacré à l'éducation des sourdsmuets, il a exposé ses vues dans un ouvrage publié en 1830 (2). Si, comme nous aimons à n'en pas douter, son zèle triomphe un jour des obstacles et des objections qui lui restent à vaincre, il aura marqué, par un immense bienfait, une carrière d'ailleurs illustrée à bien des titres.

Les autres états de l'Europe s'occupent en ce moment d'améliorer le sort des sourds-muets, dont le nombre paraît être en général dans une proportion analogue à celle qui a été constatée en France (1 sur 1,600 habitans). En Russie, on compte un sourd-muet sur 1,548 habitans; aux Etats-Unis, un sur 1,557.

(1) On a calculé que le nombre des sourds-muets qui reçoivent une éducation quelconque est de 1 sur 4..

(2) Cathéchisme des sourds-muets qui ne savent pas lire. Paris, librairie catholique d'Edouard Bruno.

CHAPITRE XV.

DES PRISONNIERS.

Le crime même, enfin, a des droits sur notre âme.. ·
Le remords, quelquefois, fait mieux que la vertu.
Dieu chérit la vertu, mais mourut pour le crime.
(DELILLE.)

La privation de la liberté, lors même que cette punition est juste et méritée, est toujours une grande infortune. Aux yeux de la charité, les prisonniers s'offrent, à la fois, comme des hommes souffrans qu'il faut secourir et comme des êtres vicieux qu'il faut s'efforcer de rendre à la vertu. Un double devoir était donc prescrit à leur égard; et, quoiqu'il semble appartenir plus spécialement à l'autorité publique, la charité chrétienne n'y pouvait demeurer

(1) En plaçant les prisonniers au rang des pauvres dans l'impuissance de travailler, nous avons considéré la perte de leur liberté comme une infirmité que la charité chrétienne avait dû chercher à soulager comme les autres infortunes, bien que, sous le rapport moral et même physique, leur situation soit très différente. Mais il nous a paru que la charité embrassait toutes les souffrances. On sait, d'ailleurs, que les prévenus sont réputés innocens jusqu'au moment de leur condamnation; et dans les temps d'orages révolutionnaires, les passions politiques privent de leur liberté un si grand nombre de personnes qui ont droit à l'intérêt! res sacra miser. D'importantes considérations morales et sociales se rattachent, en outre, à l'amélioration du sort des prisonniers.

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