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CHAPITRE II.

DE LA LÉGISLATION RELATIVE AUX PAUVRES EN FRANCE.

Le principe de la charité religieuse doit dominer toute législation relative aux pau

vres.

AINSI que nous l'avons déjà exposé, les évêques, dans les premiers temps de l'église, étaient chargés, en France et dans les états catholiques, du soin immédiat des pauvres de leur diocèse. Ils pourvoyaient à leurs besoins au moyen des quêtes et des aumônes.

Lorsque le clergé cut des rentes assurées, on en assigna le quart aux pauvres.

La piété des princes et des fidèles fonda pour les indigens un grand nombre d'asiles, d'hospices et d'hôpitaux. Ces établissemens furent gouvernés d'abord, même au temporel, par des prêtres et des diacres sous l'inspection de l'évêque. Successivement ils reçurent des dotations dont l'administration demeura confiée à des clercs; mais, dans le relâchement de la discipline, ceux-ci les convertirent en bénéfices. Ce fut pour remédier à cet inconvénient que le concile de Vienne transféra l'administration des hôpitaux à des laïques qui devaient prêter serment et rendre compte entre les mains de l'ordinaire (l'évêque). Le concile de Trente confirma ce décret.

Pendant long-temps les hôpitaux, les hospices et les

aumônes formèrent les seules institutions établies en fa

veur des pauvres.

Charlemagne avait reconnu que le travail, qui s'accorde si parfaitement avec la morale et la politique, pouvait devenir un puissant auxiliaire de la charité. Cette pensée fut négligée par ses successeurs. Plusieurs siècles devaient s'écouler avant qu'elle ne fût reproduite.

François Ier, par lettres-patentes du 6 novembre 1544, institua à Paris un bureau général des pauvres, composé de treize bourgeois nommés par le prévôt des marchands, et de quatre conseillers au parlement de Paris. Ce bureau avait le droit de lever chaque année, sur les princes, les seigneurs, les ecclésiastiques, les communautés, et sur tous les propriétaires, une taxe d'aumône pour les pauvres, et il avait juridiction pour contraindre les cotisés. Cette disposition, qui fut d'abord bornée au ressort du parlement de Paris, prouve qu'à cette époque il existait à Paris un grand nombre de pauvres qui, ne pouvant être tous admis dans les hôpitaux et hospices destinés aux vieillards, aux enfans, aux malades et aux infirmes, se trouvaient obligés de recourir à la charité publique. La justice et la charité parurent exiger que chaque personne riche fût appelée, suivant ses moyens, à venir à leur secours. La taxe prélevée en leur faveur était, en général, distribuée en pains et autres alimens par le ministère des ecclésiastiques.

Le principe que l'entretien des pauvres était une charge locale, fut rappelé par diverses ordonnances du seizième siècle, notamment celle de 1566 et 1586. Cette dernière, due au chancelier de l'Hôpital, dispose que les habitans de toutes les villes du royaume seront tenus de nourrir et entretenir leurs pauvres, « sans que ceux-ci puissent vaguer ou se transporter d'un lieu à un autre, commo ils ont fait ci-devant et font encore à présent, mais qu'ils soient contenus dans leurs fins et limites, soit par con

tribution ou autrement, et par le meilleur ordre qu'il sera avisé, conformément à l'ordonnance de Moulins. » (Celle-ci appelait les maires et échevins à régler le concours des habitans pour l'entretien des pauvres.)

Le cœur de Henri IV devait ressentir plus vivement qu'aucun autre les malheurs qui accablèrent ses peuples par suite des guerres civiles. Il créa à deux reprises, en 1399 et 1606, une chambre de charité chrétienne qui fut reproduite, en 1612, par Louis XIII, sous le nom de chambre de la réformation générale des hôpitaux; celle ́ci supprima les maladreries, désigna les hôpitaux inutiles et ceux à conserver, avec les moyens de les améliorer. Les biens des maladreries furent dévolus aux hospices; mais ils leur furent enlevés plus tard et donnés, par le ministre Louvois, aux ordres de Saint-Lazare et du MontCarmel.

Ces mesures, inspirées peut-être par l'exemple de ce qui se passait en Angleterre, à cette époque contemporaine de la réforme, ne reçurent pas une exécution complète et rigoureuse, et tombèrent bientôt en désuétude.

Sous le règne de Louis XIV, la capitale était devenue le rendez-vous d'un grand nombre d'indigens, mais surtout de mendians et de vagabonds. On voit, dans le sommaire historique qui précède l'édit de 1656, par lequel l'hôpital général de Paris fut institué, qu'à cette époque se trouvait dans cette ville plus de quarante mille pauvres, parmi lesquels un grand nombre de voleurs et d'assassins menaçaient de la manière la plus alarmante la sûreté des habitans. Des ordonnances sévères contre la mendicité furent rendues à cette occasion.

Les années désastreuses, telles que 1699, 1700, 1709, multiplièrent à l'infini le nombre des pauvres, et surtout celui des mendians et des vagabonds; en 1709, on avait si peu de ressources pour soulager la misère publique, qu'on fut obligé de doubler l'impôt sur les boues et les lan

ternes de Paris pour venir aux secours des malheureux. En 1740, le parlement de Paris ordonna «< que les curés, les marguilliers en charge, et les anciens et plus notables habitans de chaque paroisse s'assembleraient au bureau des pauvres pour pourvoir, ainsi qu'ils aviseraient, à la subsistance de tous les indigens de la paroisse reconnus en avoir besoin, et qu'à cet effet ils feraient un rôle tant desdits indigens que de la somme d'argent ou de la quantité de blé nécessaire pour leur subsistance, sauf à l'augmenter ou à la diminuer, selon le besoin, et pareillement un rôle de ce que chacun des autres habitans de la paroisse (séculiers, ecclésiastiques, corps et communautés) y devait contribuer selon ses facultés, au cas que, par sa bonne volonté, il ne fit pas des offres raisonnables. S'il y avait lieu, on pouvait recourir au rôle des tailles. L'état des cotisations pour les pauvres était rendu nécessaire par le juge compétent et recouvré comme les autres impôts (1). » On ne pouvait être admis à réclamer auprès du parlement

(1) La taxe pour les pauvres de Paris n'était pas considérable. Voici ce qu'en dit Mercier, dans son Tableau de Paris en 1783.

« On a donné plusieurs projets d'aumône universelle en faveur des pauvres; aucun de ces plans généreux ne s'est encore réalisé. A Paris, les bourgeois paient annuellement 13 sols, 26 sols, et les plus aisés 50 sols. Quelle mesquine charité!

<< Il serait à propos d'établir une taxe beaucoup plus forte; et chacun, je crois, la paierait avec joie. De tous les impôts, c'est le plus sacré, ou plutôt, c'est une dette et la première de toutes. Se croira-t-on quitte envers les pauvres, pour avoir donné à la fabrique 2 livres 10 sols par an? Il me semble que les aumônes doivent être demandées sous l'étendard de la religion dont la charité est le premier précepte. Il me semble que chaque paroisse devrait avoir soin de ses pauvres, et être autorisée à faire contribuer les gens aisés. A Londres, la charité est grande et inépuisable; les largesses envers les malheureureux n'ont point notre caractère de parcimonie. C'est là que triomphe le précepte attendrissant de l'Evangile : « Enfans du même père, secourez-vous les uns les autres. »>

<«< Nous avons parmi nous de belles âmes, des âmes charitables; mais elles sont en petit nombre, si on les compare à celles qui existent sur les bords de la Tamise. Ce peuple, en général, est plus tendre, plus compa

qu'en justifiant de l'acquittement d'un trimestre. Le bureau des pauvres s'assemblait tous les dimanches pour adjuger au rabais la fourniture du pain à distribuer aux pauvres sur le produit de la taxe. Au surplus, il était enjoint, à tous pauvres valides, de travailler toutes les fois qu'ils trouveraient occasion de le faire. On défendait de leur donner aucune subsistance lorsqu'il y aurait, sur les lieux, des ouvrages auxquels ils pourraient gagner suffisamment pour vivre. Dans chaque commune, les magistrats avaient ordre de donner aux femmes et aux enfans les moyens de travailler, à la charge de rendre, sur le produit de leur travail, le prix des filasses et autres matières premières dont on leur aurait fait l'avance.

Indépendamment de ces moyens, des associations de charité, formées de concert par le clergé et le gouvernement, dans chaque paroisse de Paris, s'occupaient de distribuer des secours à domicile, visitaient les pauvres, les aidaient et leur remettaient des fonds provenant des aumônes, des quêtes et de la portion des revenus des églises qui leur était destinée.

Dans le reste de la France, la charité s'exerçait par les mêmes procédés. La taxe des pauvres n'avait jamais été établie d'une manière générale et régulière, et la législation, continuellement variable à cet égard et s'appliquant, d'ailleurs, plus directement à la mendicité, n'avait guère d'action que pour la répression des mendians.

tissant que nous envers les infortunes, et la misère a perdu, chez lui, ses formes hideuses *. »

‹Si j'étais miniștre, je ferais, des chefs de paroisse, les instrumens et les canaux de la bienfaisance. J'ai vu, sur ce point important, un mémoire de M. Fillon, notaire et contrôleur des actes, à Challan, en Bas-Poitou. Comme toutes les idées de ce citoyen correspondent parfaitement aux miennes, qu'il me permette de m'en glorifier, et de citer son plan comme un modèle en ce genre, »

Si Mercier vivait encore, il rapporterait sans doute ce jugement si peu conforme à la

vérité.

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