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le midi lui envoie principalement des objets de consommation agricole : le nord, au contraire, envoie principalement dans le sud des objets manufacturés. Ces objets mêmes, comme les lainages, sont en partie fabriqués avec des matières premières du midi. La totalité des échanges du sud et du nord de la France en objets produits, ou du moins travaillés par nos mains, équivaut à une moitié du commerce de la France entière avec toutes les nations. >>

« Les résultats qui précèdent suffisent pour démontrer la supériorité que les industriels obtiennent de leur travail cemparativement au bénéfice des agriculteurs. Cette différence est encore plus frappante dans le midi que dans le nord, parce que, dans le midi, le revenu moyen des agriculteurs est beaucoup moins considérable que dans le nord.»>

<< Lors même qu'on partagerait le territoire de la France, non pas entre la totalité des habitans, mais seulement entre les individus de la classe agricole, ce qui rendrait la part de ceux-ci beaucoup plus considérable, chacun d'eux n'aurait en revenu que les 25 du bénéfice moyen d'un industriel. (L'industriel gagne 10 à 15 pour 100 de ses capitaux, le propriétaire de 3 à 7. ) »

« Cette énorme disproportion nous démontre d'abord qu'il y a, proportion gardée, trop d'individus de l'espèce humaine adonnés à la profession agricole, relativement au nombre des individus adonnés à la population industrielle. Si l'on voulait que les prolétaires de l'agriculture obtinssent un bénéfice égal à celui des prolétaires industriels, il faudrait ainsi réduire le nombre des agriculteurs : >>>

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<<< Alors on aurait pour répartition des industriels: >>

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« Si l'on faisait passer aux occupations industrielles le nombre d'agriculteurs indiqué dans les réunions précédentes, on obtiendrait pour l'agriculture et pour l'industrie une augmentation de produits représentée par les nombres suivans: >>>

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Agriculteurs supprimés. 1,162,915,642 1,580,959,934 2,743,875,576 Industriels ajoutés. 1,791,806,734 2,349,946,088 4,141,753,022

Totaux..

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<< Ainsi l'on pourrait, en nombres ronds, augmenter de trois milliards les revenus de la France du nord, et de quatre milliards les revenus de la France du midi, si l'on opérait ce simple déplacement d'occupations que nous indiquons, ou plutôt, qui est indiqué par l'état actuel de la production agricole et de la production manufacturière. »

« On me demandera sans doute comment il serait possible de trouver des consommateurs pour les produits d'industrie que fabriqueraient les nouveaux industriels ? Ces produits seraient consommés: 1o par les industriels eux-mêmes employés à les fabriquer; 2o par les hommes conservés à l'agriculture, lesquels recevant environ 35 d'augmentation de salaire, emploieraient ces 55 à se procurer tous les objets qui concourent au bien-être de la vie. La grande mutation que j'indique ici doit donc être si peu regardée comme chimérique, qu'elle aurait pour résultat de répartir la population française entre l'agriculture et l'industrie suivant une proportion à très peu près égale à celle qui produit la grande richesse agricole et manufacturière de l'Angleterre et de l'Ecosse. Par conséquent, l'expérience la plus éclatante existe aux portes de la France pour nous montrer la répartition des forces humaines la plus favorable aux prospérités de notre patrie. »

<< Nous avons aussi une démonstration positive du grand avantage social que la France trouverait dans la diminution

graduelle du nombre des agriculteurs et dans l'accroissement des hommes adonnés à l'industrie. »

<«< Si la grande propriété n'était pas aussi scandaleusement concentrée dans la Grande-Bretagne, le peuple des campagnes y jouirait de la même aisance que le peuple des villes, et l'on ne serait pas obligé de payer chaque année une énorme taxe des pauvres. »

« Loin que les propriétaires et les fermiers doivent craindre la dépopulation des campagnes et la diminution des bras consacrés à la culture des champs, ils doivent désirer, dans leur propre intérêt, que l'on fasse passer beaucoup de laboureurs aux travaux de l'industrie. La multiplication des travaux industriels augmentant les produits de l'industrie accroît la demande de toutes les matières premières fournies par la terre. Ainsi, les agriculteurs trouveront à vendre beaucoup plus de laines, de peaux, de chanvre, de lin, d'huile, de légumes, de garance, de bois, etc. Les mines et les carrières offriront un pareil avantage à leurs possesseurs. »

« J'ai cru devoir présenter avec détail ces observations, afin de démontrer combien est grande l'erreur des propriétaires qui, par un sentiment mal entendu de leur intérêt propre, s'alarment de voir augmenter la population des villes. >>

Après avoir lu ce magnifique exposé, on a besoin de se souvenir que c'est un homme grave, un statisticien accrédité qui propose de donner à la France un accroissement de 7 milliards de revenu, c'est-à-dire de le doubler, ou à peu près, et cela par un simple revirement de chiffres. Ne croirait-on pas autrement avoir entendu un de ces contes de fées, où une baguette magique opère d'étonnans prodiges?

Cependant notre foi ne saurait être irréfléchie. De nombreuses objections se présentent; nous nous bornerons à quelques observations principales.

M. le baron Dupin nous cite l'exemple de l'Angleterre comme l'expérience la plus éclatante de la réalité de son système; d'un autre côté il se plaint de la concentration scandaleuse de la grande propriété dans la Grande-Bretagne. Mais il nous semble que c'est précisément cette concentration de la grande propriété et de la haute industrie qui produit les capitaux nécessaires au développement des entreprises industrielles et de la grande culture. D'autre part, il existe aussi en Angleterre une énorme concentration de capitaux obtenus par un commerce extérieur presque universel. Or, c'est à l'aide de la réunion et de la combinaison de tous ces moyens que nos voisins sont parvenus à accroître d'une manière si prodigieuse leur industrie manufacturière.

Notre situation est, à cet égard, absolument différente. Nous sommes loin de posséder des capitaux aussi considérables, que l'Angleterre doit aussi en grande partie à une immense dette publique. De plus nos propriétés sont très divisées, et sans doute M. Dupin ne voudrait pas qu'il en fût autrement. Cette division nécessite beaucoup de bras, puisqu'elle interdit la grande culture. La conséquence de la diminution du nombre des agriculteurs ne serait-elle pas forcément la concentration de la propriété territoriale?

M. le baron Dupin, en demandant la division de la propriété en Angleterre, n'a pas réfléchi qu'il demandait nécessairement aussi l'augmentation de la population agricole. Nous ne lui faisons pas un reproche de tendre à un résultat qui paraît très désirable pour ce pays; mais il est sensible que cette observation affaiblit la justesse de l'exemple qu'il nous propose, et que sa démonstration se trouve incomplète sur ce point.

En effet, si nous ne pouvons et ne devons pas adopter le système de la grande culture, il nous faut garder nos agriculteurs.

D'un autre côté, si nous n'avons pas d'immenses capitaux, comment établir une industrie capable de procurer du travail et de forts salaires à une masse de plus de huit millions de nouveaux industriels? M. le baron Dupin ne nous dit pas par quels moyens ces capitaux se trouveront en France; et sans doute il ne proposerait pas, pour les obtenir, de se créer une dette pareille à celle de l'Angle

terre.

Le savant économiste pense que la production de ces huit millions d'ouvriers nouveaux trouvera facilement à s'écouler en France par une consommation plus grande de la part des agriculteurs et des industriels. Nous aimons à lui voir placer ainsi, dans le pays même, le marché le plus avantageux au pays, et cette préférence donnée au commerce intérieur nous fait supposer qu'il aperçoit, comme nous, dans nos produits nationaux, soit agricoles, soit manufacturiers, la base la plus importante de notre prospérité. Il est évident, toutefois, que la consommation ne pourrait correspondre à l'accroissement de production que fait supposer une telle augmentation d'ouvriers et sans doute aussi de procédés économiques, que par un progrès analogue dans la population. Ce progrès aurait lieu certainement dans la classe ouvrière ; mais alors le nombre des individus appelés à partager les bénéfices devenant plus grand, la portion de chacun d'eux deviendrait plus petite; chacun aurait donc moins à consommer, et les 35 d'augmentation de salaire promis nous sembleraient fort aventurés. En définitive, il y aurait en France plus d'ouvriers et plus de produits; mais sans doute aussi la misère s'accroîtrait dans la même proportion.

M. le baron Dupin trouve, dans la concentration de la propriété en Angleterre, la cause de la misère de la classe agricole, et par conséquent la nécessité d'une énorme taxe des pauvres. Nous examinerons ailleurs l'origine et

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