la nature de cette institution désastreuse et abusive; mais nous devons faire remarquer ici qu'elle tient à d'autres causes qu'à la concentration de la propriété foncière. Le système de l'industrie anglaise y entre pour la plus grande part. La taxe des pauvres est, par le fait, spécialement destinée aux ouvriers industriels tombés dans l'indigence. Les agriculteurs misérables y ont droit comme les autres, mais dans une proportion relative à leur nombre, fort inférieur à celui des indigens que produit l'industrie. Ce n'est donc point à la concentration des terres qu'il faut attribuer exclusivement la nécessité de la taxe des pauvres que, d'ailleurs, la propriété foncière est seule chargée de supporter. Nous devons faire remarquer, en outre, que M. le baron Dupin est dans l'erreur, en supposant qu'il existe une grande différence entre le salaire des ouvriers du nord de la France et de ceux du midi, qu'il établit dans le rapport de 508 f. à 541 f. par an pour l'ouvrier agricole, et de 587 f. à 592 f. pour le prolétaire industriel. Cette différence est très peu sensible dans les grandes villes. Le salaire des ouvriers est à peu près le même à Marseille, à Toulouse et à Bordeaux, qu'à Lyon, à Rouen, Lille, etc., et de plus leurs loyers sont moins chers et ils trouvent à vivre à meilleur marché. Le salaire des artisans et des cultivateurs, dans les campagnes et villages du midi, est peut-être inférieur à celui des ouvriers du nord; mais cette différence est amplement compensée par le bas prix des denrées de première nécessité et par l'absence de besoins onéreux, tels que ceux de vêtemens chauds, de chauffage, de liqueurs fortes et d'une nourriture substantielle. M. le baron de Morogues (1) fait observer, avec raison, que si, dans les départemens du midi, le peuple est (1) De la Misère des ouvriers. moins instruit, moins industrieux, il y est plus satisfait de son existence et beaucoup moins envieux de la richesse acquise sans travail, car il met beaucoup moins à la loterie. <«< C'est la limite des besoins que ressent l'ouvrier, ajoute cet écrivain, et non le taux de son salaire qui détermine sa satisfaction ou son mécontentement. C'est pour cela que l'ouvrier du midi et de l'ouest de la France se trouve plus heureux que celui du nord avec son salaire élevé et son pain moins cher. C'est pour cela que l'ouvrier agricole se trouve par toute la France plus heureux et plus tranquille que celui des ateliers, bien que la somme de son salaire soit moindre. C'est aussi au moindre malheur des populations des classes inférieures dans le sud-ouest de la France, que doit être attribué leur plus grand attachement aux vieilles lois et aux vieilles coutumes. Les populations méridionales redoutent des progrès dont elles ne sentent pas le besoin, et dont par conséquent elles n'ont pas le désir. » En réalité, il n'existe aucune différence sensible, dans le midi, entre la rémunération de travail parmi les ouvriers agricoles ou manufacturiers, relativement à la nature de leurs besoins et de leurs dépenses, si ce n'est que les premiers sont beaucoup moins assujettis que les autres à des vicissitudes dans le travail et dans le taux des salaires. Ainsi, l'élévation de ces salaires et le bien-être que M. le baron Dupin suppose devoir résulter d'un simple déplacement d'occupations, ne saurait nullement se réaliser pour les ouvriers du midi. L'honorable écrivain a négligé d'ailleurs une considération très importante: c'est la manière dont se répartissent les bénéfices de l'industrie. Il ne doit cependant pas ignorer que, lorsque la concurrence est excitée par un grand accroissement de production, un entrepreneur de manufacture ne peut faire des bénéfices considérables qu'en réduisant le prix de la main-d'œuvre, et en employant les machines et les procédés les plus économiques. Tout le monde sait que la meilleure part des profits est attribuée aux propriétaires et directeurs des manufactures, et que les ouvriers n'en reçoivent guère que de quoi exister rigoureusement; la science de la production des richesses déclare même que cela doit être ainsi. Enfin, une dernière observation décisive, du moins pour les amis de l'humanité, c'est que, dans les départemens cités dans l'ouvrage de M. le baron Dupin, comme les plus industriels et les plus riches, le nombre des pauvres est le plus considérable, et la population ouvrière chétive, languissante et sujette à toutes sortes de maladies ignorées dans les populations agricoles. Si l'on prend en masse le nombre des indigens existant dans les trente-deux départemens du nord dont M. Dupin a énuméré les richesses industrielles, on trouvera que le rapport de ce nombre à la population totale est :: 1:9 1|3 : sur 13,745,729 habitans, on y compte 270,051 indigens. Dans les cinquante-quatre départemens du midi, sur une population de 18,132,455 habitans, on trouve 866,289 pauvres la proportion est de 1 sur environ 24. Mais il est à remarquer : 1o que, parmi les trente-deux départemens du nord, il en est qui sont généralement agricoles et qui contribuent à rendre la proportion moins défavorable; 2o que le plus grand nombre des indigens se trouve dans les pays de fabriques et de manufactures et dans les villes industrielles. Par exemple, le rapport du nombre des pauvres à la population générale, dans le département du Nord, qui fabrique la moitié du coton filé en France, est de 1 à 6. Dans le Pas-de-Calais, ce rapport est de 1 à 8; il est de 1 à 14 dans la Seine, et de 1 à 17 dans la Somme. Ainsi que nous l'avons dit, la plupart des autres départe 1 mens compris dans la ligne de la région du nord, telle que l'a tracée M. le baron Dupin, et qui appartiennent plus exactement à l'est et au centre de la France, sont en grande partie plus ou moins agricoles. Si l'on calculait, dans chaque localité, le rapport du nombre des pauvres, soit avec la population industrielle, soit avec la population agricole, on aurait très probablement trouvé que, pour la première, ce rapport est :: 1:5, et pour la seconde :: 1:40. Nous ajouterons à ces notions, qui nous paraissent déjà péremptoires en ce qui touche la question d'humanité, que l'état physique et sanitaire des classes ouvrières du midi est incomparablement meilleur que celui des mêmes classes dans le nord. En faisant une juste part à l'influence du climat, il est difficile de ne pas attribuer en majeure partie cette énorme différence à la supériorité numérique de la classe agricole sur la classe manufacturière dans les provinces du midi. Nous pourrions citer des faits nombreux à l'appui de cette assertion: nous nous bornerons à un seul rapprochement. Il existait, en 1829, dans le département des Bouchesdu-Rhône, peuplé de 326,302 habitans, savoir : A la même époque on trouvait dans le département du Nord, peuplé de 962,648 habitans : Dans le département des Bouches-du-Rhône, sur trois mille jeunes gens inscrits sur les listes du recrutement militaire, on en réforme annuellement environ deux cent cinquante pour difformités et infirmités, c'est-à-dire environ 1 sur 12 (non compris ceux renvoyés pour défaut de taille ou faiblesse de complexion). La moyenne de ces réformes est ainsi établie : Dans le département du Nord, sur 5,455 inscrits, 1,457 jeunes gens sont annuellement réformés pour infirmités et difformités, indépendamment de ceux renvoyés pour défaut de taille ou mauvaise complexion (ces derniers sont très nombreux). La proportion est de 1 sur 3 57: le nombre de ces réformes se divise ainsi qu'il suit : Et cependant nous avons choisi, pour terme de comparaison, un des départemens du midi, dont le chef-lieu présente une population de près de 150,000 âmes, en partie attachée aux manufactures. Ce rapprochement eût été bien plus frappant encore s'il avait eu lieu avec un département méridional essentiellement agricole. Enfin, on répétera ici avec M. de Morogues : « Que ceux qui spéculent et calculent avec nos grands industriels du nord se jettent souvent dans la rivière : ceux qui rient et dansent avec nos villageoises du midi se gardent bien d'y tomber. >> <«< Dans les trente-deux départemens du nord dont M. Dupin a tant vanté l'industrie, il y a eu chaque année, |