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tans, c'est qu'une fille qui devient mère n'est pas moins -obligée de nourrir son enfant qu'une femme mariée. Ce principe est fondé sur la nature; mais son application suppose nécessairement une grande tolérance de la part de l'opinion publique pour les unions illégitimes; elle ne saurait se concilier avec la honte et l'infamie dont elles seraient accompagnées, si l'opinion était sévère sur ce genre d'immoralité.

Quoi qu'il en soit, les enfans trouvés à Londres, placés immédiatement en nourrice, reviennent à la maison des orphelins à l'âge de cinq ans. Alors commencent pour eux de nouvelles habitudes. On leur donne les premiers principes d'une instruction élémentaire; on leur apprend à faire leurs vêtemens, ainsi que différens ouvrages. Les plus âgés habillent les plus jeunes, travaillent au jardin, se partagent les différens services de la maison. Les filles sont employées à la cuisine, au blanchissage, à la confection des layettes pour les enfans en nourrice. A quatorze ans, on les met en apprentissage; on donne à l'enfant une Bible avec une copie des prières en usage à l'hôpital; une seconde copie est remise à celui ou celle chez qui il va demeurer, et l'on y joint ce préambule:

<< Comme il est de grande importance d'élever les enfans dans la crainte de Dieu et la soumission envers leurs maîtres, maitresses et supérieurs, et que la prière est le meilleur moyen d'entretenir cette obéissance aux lois civiles et humaines, vous êtes avertis que l'on attend de vous de prendre soin que l'enfant, qui vous est confié, dise constamment ses prières soir et matin. Vous devez en même temps vous efforcer de lui inspirer les sentimens du devoir qu'il remplit, et, pour y parvenir, vous devez vous attacher surtout à lui faire répéter ses prières d'un ton lent, sérieux, solennel. Vous veillerez aussi à ce qu'il assiste les jours de fête à l'office divin, et qu'il s'y conduise avec piété et modestie. »

Quand les filles se marient, l'administration leur donne un trousseau et 250 fr. de dot.

Dans le reste de l'Angleterre, les mêmes mesures sont à peu près suivies. Nous n'avons pas de renseignemens sur le nombre général des enfans trouvés existant dans le royaume-uni. On sait seulement qu'en Irlande il en existait, de 1771 à 1781, environ 920 chaque année: de 1781 à 1784, la progression avait été de 2,500: au commencement de ce siècle, en 1805, on en comptait 1,800. Il paraît que la mortalité, à l'hôpital de Dublin, était la même qu'à Paris. Les avantages du système anglais seront pour nous l'objet d'un examen que nous nous réservons d'exposer dans le cours de cet ouvrage. Il nous suffit de faire remarquer en ce moment que les efforts de la charité chrétienne, par l'organe de saint Vincent-de-Paule, se sont fait jour au bout de cent ans en Angleterre, en produisant l'assistance complète et régulière des enfans trouvés. Ce qui caractérise surtout les institutions de ce modèle de la bienfaisance, ce sont moins les hôpitaux d'enfans trouvés, qui ne sont qu'un moyen, que la reconnaissance d'un principe long-temps méconnu. Ainsi, l'on peut dire que si les enfans trouvés en Angleterre, comme en France, et dans la plupart des autres états de l'Europe, ont retrouvé une famille adoptive, ils le doivent à un simple et vertueux prêtre catholique, qui trouva la puissance des miracles dans son ardente charité.

Les royaumes protestans ont en général adopté les mesures prises en Angleterre. Nous avons fait connaître, dans le chapitre XI du livre III, les époques diverses où il s'était établi chez eux des institutions pour les enfans. trouvés. En Prusse, dans l'hôpital des orphelins de Hale, fondé par le respectable docteur Franck, on s'attache à cultiver, autant que possible, un heureux naturel qui se montre de bonne heure propre aux arts et aux sciences. On a formé, dans l'établissement, une bibliothèque qui contient

plus de vingt mille volumes et treize mille estampes, dont une grande partie se compose des portraits des savans les plus célèbres.

A Moscou, chaque sexe, chaque âge, reçoit une éducation convenable. L'enseignement embrasse tout ce qu'un citoyen doit savoir. Pour celui que la nature a traité peu favorablement, les simples élémens du calcul et du dessin, l'apprentissage des arts mécaniques, celui du jardinage le rendent propre à travailler dans une manufacture, une fabrique, ou chez un propriétaire. Des connaissances plus élevées, les mathématiques, la géographie, la tenue des livres en partie double, la science du commerce, sont le partage de ceux dont les heureuses dispositions méritent qu'on les envoie à l'université de Moscou ou à l'académie des arts de Pétersbourg: le reste est distribué dans les ateliers de l'hospice. Les statuts de cette maison sont remarquables par l'esprit de charité véritable qui les a dictés.

Une loi générale est d'entretenir dans tous les cœurs la gaieté naturelle par la liberté des fonctions de l'âme. Tous ceux qui sont chargés des devoirs honorables de père et mère, auprès de ces enfans, doivent faire leur objet principal de leur inspirer de la sensibilité, de leur former un bon cœur, de leur donner des mœurs pures, d'élever leurs âmes par le récit d'actions nobles et vertueuses; surtout, ils ne doivent jamais négliger de leur faire connaître les avantages de l'honneur, la nécessité et l'utilité d'être un homme de bien.

Mais, de tous ces statuts, le plus digne d'éloges est celui qui déclare libres les enfans reçus dans l'hospice des enfans trouvés, sans qu'aucun particulier puisse donner atteinte à cette liberté,

En Hollande, les enfans trouvés sont placés dans les colonies agricoles d'indigens, dont nous nous proposons

de nous occuper plus spécialement dans le livre VII de cet ouvrage.

A Lubeck, à Cassel, à Nuremberg, les enfans exposés sont recueillis avec soin dans les hospices d'orphelins, et placés en nourrice chez des cultivateurs.

Dans les états catholiques, on reçoit les enfans dans des institutions analogues à celles qui existent en France.

La Belgique a conservé le mode d'organisation de ce service établi pendant sa réunion à l'empire français. En 1829, on y comptait dix-huit hospices d'enfans trouvés ; mais on se proposait de placer ces enfans dans les colonies agricoles d'indigens. On compte beaucoup d'hospices d'enfans trouvés en Bavière et en Autriche. Nous avons donné quelques détails sur le magnifique établissement fondé à Vienne par l'empereur Joseph II. La mortalité de la première enfance s'y était manifestée, dans le principe, dans la même proportion qu'à Paris. Cette situation s'est améliorée successivement.

La Toscane possède douze hospices d'enfans trouvés où ces infortunés reçoivent, avec les soins les plus touchans, les moyens de subvenir un jour, par eux-mêmes, à leur existence. En général, ils sont destinés au service militaire.

Le reste de l'Italie compte un grand nombre d'hospices d'enfans trouvés. A Rome, la population de l'hôpital du Saint-Esprit qui reçoit ces infortunés, s'élevait à 600 en 1750 : en 1810, on en recevait 1,000 à 1,200.

L'hospice de Naples (l'Albergo Dei poveri) prodigue les soins les plus éclairés aux enfans trouvés et aux orphelins. On leur apprend à lire, à écrire, ainsi que les premiers principes de dessin et de l'arithmétique, et l'on y joint l'étude de la musique : des ateliers de cordonniers, de tailleurs, de tisserands, de serruriers sont établis dans la maison, et c'est là qu'on fabrique toutes les platines de

fusils pour les troupes. On y trouve encore une manufacture de corail, une imprimerie et une fonderie en caractères. En général, les jeunes gens valides sont destinés à la carrière des armes. Ceux qui se distinguent dans la profession qu'ils ont suivie obtiennent l'exemption de servir aux armées; mais ils n'en demeurent pas moins soumis au régime de la maison, dont la garde leur est confiée. Tous les jours, à des heures réglées, ils manœuvrent dans les cours au son d'une musique guerrière.

L'Espagne renferme soixante-neuf hospices d'enfanstrouvés. A Madrid, en 1788 et 1789, cette malheureuse classe d'infortunés ne dépassait pas 8 à 900; elle est aujourd'hui d'environ 1,100. Du reste, elle n'est point privée d'une éducation libérale. Le plus grand nombre des enfans abandonnés se livrent aux études ecclésiastiques, et l'Espagne en compte quelques-uns parmi ses plus habiles docteurs.

<< Il paraîtrait même que, dans ce royaume, la loi, non moins bienfaisante qu'en Russie, efface la honte de leur naissance, en considérant tous les enfans trouvés comme fils de nobles, et dès lors nobles eux-mêmes. Dans l'ignorance où elle est de leurs parens, elle a cru devoir la supposer dans la condition la plus favorable aux enfans, et c'est sans doute ce qui leur procure l'éducation distinguée qu'ils reçoivent. Si ce fait est exact, il suffirait à lui scul pour marquer la différence de caractère et de mœurs qui distingue ces deux pays, situés chacun à une extrémité de l'Europe. Dans l'un, on a donné ce qu'un peuple esclave regarde comme le bien le plus précieux, la liberté; dans l'autre, ce qu'une nation fière estime le plus, la noblesse (1). »

Avant l'invasion de Napoléon en Espagne, les enfans trouvés étaient nourris dans des hospices par des nour

(1) M. Benoiston de Châteauneuf, Mémoire sur les enfans trouvés.

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