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l'état de l'instruction en Prusse, prouve évidemment la part que l'ancien professeur de philosophie éclectique a prise à cette législation nouvelle qui doit être désormais en France la charte de l'instruction primaire. Il ne peut être sans intérêt de faire remarquer sur quels points on s'est rapproché des institutions prussiennes et de ceux sur lesquels on a cru devoir différer.

L'indication des objets sur lesquels doit porter l'enseignement primaire élémentaire ou supérieur est, à peu de choses près, le même que dans la loi prussienne. Les dispositions prises pour le matériel des écoles, pour le traitement des instituteurs, ont une grande similitude.

Les comités de surveillance communaux et les comités d'arrondissement correspondent aux comités de surveillance et aux consistoires provinciaux de la Prusse; et les écoles normales doivent, comme dans la monarchie prussienne, former des pépinières d'instituteurs.

En général, il y a analogie presque parfaite en ce qui concerne la partie matérielle et administrative de l'instruction; mais la charte nouvelle de l'instruction primaire de la France catholique diffère essentiellement de celle de la Prusse protestante dans la partie morale et religieuse, quoique, dans les deux pays, l'on ait établi en principe que l'instruction devait être nécessairement morale et religieuse. Nous ne citons que pour mémoire l'obligation, imposée à chaque famille en Prusse, de donner une instruction convenable à ses enfans. Cette disposition, réclamée, il y a près de trois cents ans, aux états généraux de France par le corps de la noblesse, paraîtra indispensable, lorsque l'on voudra fortement étendre le bienfait de l'instruction à tous les individus des classes inférieures. Toutefois, nous ne croyons pas devoir la réclamer en ce moment, car nous reconnaissons que les mœurs actuelles ne sont peut-être pas encore suffisamment préparées pour son adoption.

Mais voici les points importans qui établissent la différence du caractère moral des deux législations (1):

1o En Prusse, pour pouvoir exercer les fonctions d'instituteur, il faut être d'un âge mûr, d'un caractère moral, irréprochable, et pénétré de sentimens religieux. Le comité d'examen se compose de deux ecclésiastiques et de deux laïques; le candidat est examiné séparément sous le rapport religieux et sur la capacité. Le comité d'examen religieux est présidé par un ecclésiastique. Lorsque l'instituteur est catholique, la présidence est dévolue à un ecclésiastique supérieur, délégué par l'évêque; cela est logique et la conséquence nécessaire d'une instruction qui doit être morale et religieuse. En France, tout individu, âgé de dix-huit ans, qui n'aura pas été condamné à des peines afflictives ou infamantes, ou privé de ses droits civils, peut, en quelque sorte, aspirer au titre d'instituteur, moyennant un brevet de capacité délivré par une commis

(1) « Le gouvernement prussien s'est surtout occupé de l'éducation du peuple, et l'a voulu morale et religieuse. »

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« Un esprit de religion, de moralité profonde, de respect pour la loi, de dévouement au devoir, règle cette double éducation des maîtres et des disciples. Les hymnes pieux et patriotiques retentissent dans ces écoles, et les maîtres n'oublient rien pour ouvrir le cœur des enfans aux sentimens les plus généreux et les plus élevés. Nous ne doutons pas que ce système n'éveille la raillerie de ceux qui ne trouvent de remarquable au monde que le feuilleton d'un journal. Pour ces derniers, vertu et religion sont de vains mots, d'inutiles et froides paroles. « Dès qu'un enfant est instruit et éclairé, disent-ils, il est assez vertueux. » Pourquoi, d'ailleurs, troubler les écoliers dans la jouissance des droits de l'homme? Pourquoi leur imposer de si rudes devoirs et une tâche si difficile? Il suffit de leur donner les lumières. Les lumières donnent la vertu. >>

<«< Tout cela est absolument faux, quelle que soit l'autorité de ceux qui répandent de pareilles maximes, et quoique lord Brougham, l'un des hommes les plus distingués de l'époque, soit à la tête de la société pour la diffusion des connaissances utiles. Non, certes, les lumières ne suffisent pas. Sans moralité, sans loyauté, sans dévouement, elles n'éclairent point, elles incendient, et nous pensons, avec M. Cousin, qu'un système religieux est la seule base sur laquelle l'éducation morale et intellectuelle puisse se reposer. » (Des Progrès constitutionnels de la Prusse, Revue Britannique.)

sion nommée par le ministre et un certificat de moralité (reconnu à peu près inutile ou illusoire par M. Victor Cousin) délivré par le maire, sur l'attestation de trois conseillers municipaux.

Telle est, pour la France, la garantie de la moralité religieuse de l'instruction primaire.

20 En Prusse, les écoles catholiques, en ce qui concerne l'ordre religieux, sont placées sous la surveillance supérieure de l'évêque du diocèse. Les inspecteurs doivent rendre compte à ce prélat des résultats de leur mission et recevoir ses instructions. Dans la France catholique rien de ce genre n'a été jugé convenable.

30 En Prusse, les instituteurs sont installés avec solennité par les ecclésiastiques, et présentés à la commune dans l'église où ils reçoivent les exhortations des curés ou pasteurs. En France, loin d'imiter cet admirable exemple, l'instituteur est installé, pour ainsi dire clandestinement, par un des membres du comité d'arrondissement qui reçoit son serment.

40 En Prusse, deux ecclésiastiques font partie du consistoire provincial chargé d'examiner la moralité, les principes religieux et la capacité du candidat. En France, la commission d'examen est nommée arbitrairement par le ministre de l'instruction publique.

50 Le comité de surveillance de chaque école, en Prusse, se compose de l'ecclésiastique de la paroisse, des magistrats de la commune et d'un ou deux pères de famille nommés par le consistoire provincial. Les inspecteurs d'arrondissement sont en général des ecclésiastiques, et pour les écoles catholiques, ils sont proposés par les évêques, au choix des consistoires provinciaux, dont un certain nombre d'ecclésiastiques de tous les cultes font nécessairement partie.

En France, grâces à la chambre des pairs, le curé de la paroisse ou le pasteur sont membres de droit des comités

de surveillance de l'école communale. Un ecclésiastique fait également partie du comité d'arrondissement composé de dix à douze laïques.

60 En Prusse, l'évêque, de concert avec les consistoires provinciaux, choisit les livres de religion à l'usage des écoles catholiques. La charte française de l'instruction primaire est muette à cet égard.

70 En Prusse, la loi ordonne la fermeture des écoles les dimanches et jours de grandes fêtes (à l'exception des écoles de dimanche, instituées pour les adultes négligés dans leur jeunesse et pour les enfans privés d'instruction pendant l'été). En France, rien n'a été prévu sur ce point.

8 En Prusse, la loi ordonne que partout les travaux dè la journée commenceront et finiront par une courte prière et de pieuses réflexions; que les maîtres veilleront en outre à ce que les enfans assistent exactement au service de l'église, les dimanches et fêtes; qu'on mêlera à toutes les solennités des écoles des chants d'un caractère religieux, et qu'enfin l'époque de la communion devra être, pour les élèves comme pour les maîtres, une occasion de resserrer les liens qui doivent les unir, et d'ouvrir leurs âmes aux sentimens les plus généreux et les plus élevés de la religion. En France, la loi est encore complétement muette sur ce point.

Nous ne pousserons pas plus loin ce parallèle.

M. le ministre, en présentant la loi, a insisté sur la nécessité de rendre l'instruction morale et religieuse. La loi adoptée confirme cette nécessité. M. Cousin déclare qu'il ne peut y avoir d'instruction morale sans religion, et de religion sans culte; et M. Guizot exhorte éloquemment les instituteurs à puiser leur constance dans les espérances et les croyances d'un esprit sain et d'un cœur pur !.............

Comment, après de tels principes, est-on arrivé à des

conséquences si opposées? Peut-être s'est-on réservé d'ordonner, par des instructions particulières, des pratiques religieuses dont la dignité de la loi ne comportait pas la minutieuse mention. Mais cela est peu vraisemblable, lorsqu'on voit le ministre débuter par une circulaire où, plaçant en quelque sorte l'instituteur sur la même ligne que le prêtre, il prévoit, de la part de celui-ci, des torts dont il eût été au moins équitable de prévoir que l'instituteur pouvait aussi ne pas être exempt (1). Sans doute, il est probable que le ministre chargé de présenter une loi complétement religieuse, a été arrêté par les observations si franches, et peut-être un peu trop naïves, adressées par M. Cousin à M. le comte de Montalivet, grand-maître de l'Université de France.

Si nous ne nous trompons pas, les paroles du philosophe éclectique, que nous avons citées tout à l'heure, doivent révéler toute la pensée qui a présidé à la rédaction de la partie morale et religieuse de la charte de l'instruction primaire.

Il faut contenir, mais ménager le clergé; il faut que le curé ou le pasteur fasse de droit partie du comité de surveillance de l'école communale, où sa voix ne pourra jamais être prépondérante; il faut qu'un curé ou pasteur de l'arrondissement fasse également partie du comité d'inspection de l'arrondissement, où il se trouvera en présence de dix ou douze laïques. Dès lors, le clergé ne pourra pas dire qu'on l'exclut de l'enseignement primaire. D'un autre côté, les gens qui se croient très grands philosophes ne pourront point s'alarmer de la présence d'un pauvre prêtre

(1) Nous avons été justement étonnés qu'un homme d'un esprit aussi élevé et aussi remarquable que M. Guizot, et qui se montre habituellement religieux observateur des convenances, ait consenti à placer sa signature au bas de la circulaire dont nous avons rapporté quelques passages. Nous regrettons aussi qu'il n'ait pu lui-même méditer, préparer et rédiger le projet de loi de l'instruction primaire, et se soit vu, en quelque sorte, obligé d'adopter et de défendre celui qu'avait conçu la philosophie éclectique.

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