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Chaque ville ou commune rurale du département possède un bureau de bienfaisance et des revenus provenant de dotations qui s'élèvent en masse à 754,857 fr. 7 cent. Les budgets inunicipaux ajoutent à ces ressources une allocation totale de 220,985 fr.:à chaque bureau de bienfaisance sont attachés un médecin ou un chirurgien et une sage-femme accoucheuse, qui doivent soigner gratuitement tous les indigens.

Dans les communes rurales, les administrations charitables, dépourvues d'hôpitaux et d'hospices, placent les vieillards et les orphelins chez des particuliers moyennant une pension modique. Jusqu'en 1828, l'usage général était de faire de ces placemens l'objet d'une adjudication publique au rabais. A cette époque, le préfet proscrivit cette forme inconvenante et immorale, et chargea les administrateurs des bureaux de bienfaisance de placer seulement les vieillards et les orphelins indigens et infirmes, qui étaient sans parens, chez d'honnêtes cultivateurs, voit fréquemment des personnes riches abandonner en secret tous leurs revenus aux indigens, ou les employer à fonder des asiles en faveur des pauvres. Nous ne pourrions les nommer sans trahir leur modestie; mais nous aimons à citer particulièrement les dames de Charité, les dames de la Société de Charité maternelle, MM. les curés et les administrateurs des hospices, etc. Nous avons eu trop à nous louer du concours des principaux fonctionnaires qui partageaient avec nous, en 1830, les soins de l'administration, pour ne point leur payer ici un juste tribut d'éloges et de reconnaisance. MM. de Muyssart, maire de la ville de Lille et ses adjoints; M. D'Usart-Descarnes, président de la commission administrative des hospices, M. Lemesre de Brulle, vice-président, MM. de Bardonnenche, Bequet de Mequille, de Garsignies, Saulay de Laistre, Coffins-Spins, et de Godefroy *, sous-préfets; MM. les maires des chefs-lieux de sous-préfectures, de Bailleul, d'Estaires, de Merville, de Turcoing, de Bergues, de Roubaix, du Cateau, de Maubeuge, etc., rivalisaient d'efforts et de zèle pour l'amélioration du sort des malheureux, et ont laissé à leurs successeurs de nobles modèles à suivre.

M. de Godefroy, avant d'exercer les fonctions de sous-préfet à Valenciennes, avait été membre de la commission administrative des hospices de la ville de Lille, où il s'était fait remarquer par un zèle très éclairé. Depuis, ainsi que ses collègues, il a emporté, dans sa retraite, les regrets et les souvenirs de tous les hommes capables d'apprécier un noble carastère, une rare sagesse, et les talous les plus distingués.

moyennant une pension réglée de gré à gré, et avec toutes les garanties de soins et de traitemens convenables. Quant à ceux qui avaient une famille, il fut prescrit d'user des voies judiciaires, s'il en était besoin, pour forcer les parens à les entretenir, sauf à leur accorder un secours s'il était reconnu qu'ils fussent eux-mêmes dans l'indigence.

Le système des secours en nature, à domicile, est à peine connu dans la plupart des petites communes et même dans les villes considérables; les membres des bureaux de charité ayant peu de temps à sacrifier aux soins et à la visite de pauvres dont le nombre est excessif, trouvent plus commode de déterminer une allocation en argent, et quelquefois en pain, à des époques fixes, par mois ou par semaine.

Le service de santé des indigens est organisé dans presque toutes les communes; mais l'ignorance de plusieurs des officiers de santé et des accoucheuses auxquels il est confié dans les campagnes, ne permet pas d'espérer que des soins complets et suffisamment efficaces soient donnés aux malheureux. Les honoraires de ces officiers de santé et sages-femmes sont d'ailleurs fixés au taux le plus modique.

La vaccine est, en général, pratiquée dans le département du Nord. Mais elle éprouve encore des obstacles dans la classe ouvrière par l'effet d'anciens préjugés et par l'insouciance de quelques commissions de bienfaisance.

Des écoles gratuites existent dans tous les établissemens de charité, et, dans presque toutes les communes, un certain nombre d'enfans pauvres doivent être admis gratuitement aux écoles élémentaires. Toutefois, à peine 120 de ces enfans fréquente les écoles; les parens apportent une négligence insurmontable à faire profiter leurs enfans des bienfaits de l'instruction. Un grand nombre même s'y refusent tout-à-fait pour ne pas se priver des chétifs pro

duits qu'ils retirent de bras faibles et prématurément livrés à l'industrie manufacturière.

Nous avons dit que la majeure partie des indigens appartenait à la classe industrielle. En 1829, il n'existait nulle part, pour les ouvriers, de véritable caisse d'épargnes qui pût leur offrir, dans les cas très rares de salaires suffisamment élevés, la possibilité de se ménager quelques ressources pour la vieillesse. Les associations de prévoyance formées dans certaines villes parmi les ouvriers, ne procurent que des économies dont le produit est à peu près exclusivement destiné au cabaret. Aucune précaution d'hygiène, aucune surveillance morale, aucun moyen d'instruction ne sont établis dans les manufactures et ateliers (1).

Le goût des boissons fortes est tel, dans les villes, parmi la classse ouvrière, que des pères et souvent des mères de famille mettent en gage leurs effets pour le satisfaire, et vendent même, dans ce but, les vêtemens dont la charité publique ou la bienfaisance particulière ont couvert leur nudité. L'institution des monts-de-piété existant à Lille, à Cambrai, à Douai, à Bergues et à Valenciennes, loin de soulager la misère du peuple, ne sert guère qu'à augmenter sa démoralisation et son dénuement (2).

L'instruction religieuse a grand'peine à se faire jour au milieu d'un tel abrutissement; la voix des respectables membres du clergé n'est que peu ou point écoutée. D'ailleurs le petit nombre de prêtres existant dans le diocèse ne saurait satisfaire à des besoins si étendus et qui exigeraient,

(1) M. Dupont, médecin à Lille, auteur d'un mémoire sur les moyens d'améliorer la santé des ouvriers de cette ville, a proposé l'établissement d'une société de secours mutuels, dont il trace le plan et les statuts. Cet ouvrage respire les vues les plus charitables et le zèle le plus éclairé.

(2) Voir le chap. XIX relatif aux monts-de-piété, livre III.

en quelque sorte, des soins journaliers et permanens pour chaque famille.

On concevra facilement qu'impuissantes à soulager une misère aussi profonde et aussi invétérée, la plupart des administrations de bienfaisance n'osent entreprendre aucun essai d'améliorations nouvelles dans la crainte d'indisposer, par des innovations sans succès, une multitude en proie à toutes les horreurs du besoin. Ces sortes de fonctions, peu recherchées, ne sont guère exercées avec dévouement que par l'effet d'un sentiment religieux assez fort pour faire braver tous les dégoûts et même les dangers qui les accompagnent. Ce degré de vertu est plus rare que la charité qui se borne à donner; aussi se trouve-t-on obligé, le plus souvent, de s'en reposer, pour la distribution des secours, sur des agens officieux qui, sous le nom de pauvriseurs, remettent directement l'argent ou les bons de - pain, selon qu'ils le jugent convenable, d'après les listes d'indigens qu'ils ont la faculté de dresser sans contrôle. Ce n'est que dans un très petit nombre de paroisses que des sœurs ou des dames de charité distribuent des secours à domicile aux malades et aux indigens.

Dans la plupart des communes, les fonds affectés aux bureaux de bienfaisance, réunis aux produits des quêtes et des dons charitables, sont toujours insuffisans, surtout pendant la saison rigoureuse. Alors l'administration supérieure est assaillie de la part des communes et des bureaux de charité, de demandes tendant à autoriser des impositions extraordinaires pour venir au secours des pauvres. Dans plusieurs villes, en 1828 et 1829, on a même employé secrètement, à cet objet des allocations destinées à d'autres services. L'impérieuse nécessité était le motif et l'excuse d'actes aussi irréguliers; ainsi la taxe des pauvres s'est déjà forcément introduite, avec le paupérisme anglais, dans cette portion de la France, comme les com

pagnes inséparables des doctrines économiques et industrielles de nos voisins d'outre-mer.

L'administration n'a cessé, surtout dans les années 1828 et 1829, d'opposer tous ses efforts au développement officiel de cette taxe; mais en vain se déguise-t-elle sous le nom de travaux de charité ou de supplément de secours aux bureaux de bienfaisance, son existence est consacrée de fait, et la force des choses a fait reconnaître le droit des pauvres à l'assistance publique. L'opinion générale, dans le département du Nord, est préparée à cette innovation dans la législation française. Déjà les mœurs de la classe indigente ont pris la teinte qui caractérise les pauvres d'Angleterre. Les liens de gratitude qui unissent le pauvre à son bienfaiteur et les principes de charité qui rapprochent le riche du pauvre, disparaissent peu à peu au milieu de cette immensité de misère collective. Les abus spéciaux à la taxe des pauvres d'Angleterre se manifestent graduellement. On remarque que, dans les communes du département du Nord, le nombre des pauvres est toujours en rapport avec la quotité des fondations charitables et qu'il existe moins d'indigens là où les revenus des bureaux de bienfaisance sont plus modiques. Cela ne veut pas dire que l'indigence soit factice dans cette contrée : malheureusement elle n'est que trop réelle; cela prouve seulement que ces fondations, dont les pauvres s'exagèrent toujours l'importance et qui peuvent exciter plus ou moins la paresse et l'imprévoyance de quelques-uns d'entre eux, appellent impérieusement la misère là où elle a plus d'espoir d'être soulagée. La reconnaissance du droit des pauvres à des secours publics, rend d'ailleurs leur exigence progressive, et amène l'affaiblissement des vertus fondées sur l'exercice réciproque de la charité.

Du reste, c'est surtout dans la capitale du département, à Lille, que la réunion effrayante de tous les

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