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l'instruction et l'apprentissage du travail; et ce qui faciliterait surtout le succès de ces institutions, serait l'application des méthodes reconnues les plus sûres et les plus parfaites, et leur adoption par les corporations religieuses vouées à l'enseignement du peuple. »

<«< Mais il est à craindre que des difficultés plus graves ne naissent du côté même où l'on devrait le moins les redouter, c'est-à-dire de la part des personnes les plus intéressées à l'amélioration morale des enfans de la classe ouvrière, les parens de ces enfans et les chefs de l'industrie. >>

« L'expérience a prouvé que la plupart des ouvriers pères de familles ne consentent à envoyer leurs enfans dans les écoles que pendant les années où ils ne peuvent absolument rien produire encore par leur travail; qu'ils les en retirent dès que leurs faibles bras sont en état de leur faire gagner quelques centimes, et que c'est à ce déplorable abus de la puissance paternelle, dominée par la misère, que l'on doit attribuer cet affaissement moral et physique que présentent ici tous les âges de la vie. Les enfans, épuisés par un travail précoce, ne recevant qu'une chétive nourriture, habitant la nuit des caves humides et le jour des ateliers malsains, n'ayant sous les yeux, lorsqu'ils arrivent à l'adolescence, que des exemples d'ivro-gnerie, de débauche et de honteux désordres, s'imprègnent bientôt de la contagion générale, et se modèlent complétement sur la génération dégradée qu'ils sont appelés à remplacer dans l'ordre social. »

«< Exposer un aussi pénible tableau, c'est démontrer en quelque sorte la nécessité de limiter, dans cette portion de la société qui réclame les secours de la charité publique, l'exercice de la puissance paternelle. »

« Je prévois toutes les objections que doit faire naître la pensée de porter une atteinte quelconque à un principe aussi sacré que l'autorité des pères sur les enfans; elles

sont graves sans doute, mais elles ne sont pas sans réplique. >>

<< L'homme qui invoque la protection et les secours de la charité publique se place de lui-même dans une catégorie exceptionnelle. En se faisant inscrire sur les listes des indigens (inscription qui devrait, à mon avis, être précédée d'une enquête et accompagnée de formalités authentiques et légales), il peut être considéré, de fait et en droit, comme mineur, et, à ce titre, la loi pourrait l'assujettir à une sorte de tutelle qu'exerceraient les administrations charitables sous la surveillance de l'autorité judiciaire. >>

<<< Cette tutelle aurait pour effet, 1o d'obliger l'ouvrier, inscrit légalement sur les registres de l'indigence, à verser, dans une caisse d'épargnes, une portion du salaire de son travail, si ce salaire venait à excéder ses besoins; 2o de se soumettre aux réglemens relatifs à l'enseignement et à l'hygiène domestique, qui lui seraient applicables ainsi qu'à sa famille; 3o enfin, et surtout, de lui enlever la surveillance et l'autorité, à l'égard de ses enfans, jusqu'à un âge déterminé en ce qui concerne l'éducation et l'instruction, sauf à lui accorder un supplément de secours équivalent au produit qu'il aurait pu retirer du travail de ces enfans. >>

<<< Il serait facile de justifier par des considérations d'intérêt général, comme sous le rapport de l'avantage de l'ouvrier indigent et de sa famille, la nécessité de mesures législatives destinées à consacrer et à appliquer ces principes, d'autant mieux que les obligations imposées à l'ouvrier indigent seraient toujours facultatives de sa part. En renonçant à devenir une charge pour la société, il reprendrait la plénitude de ses droits de citoyen et de père. »

<< D'un autre côté, il semble que des motifs de salubrité publique et d'ordre social donneraient le droit au gouver

nement d'astreindre les propriétaires et directeurs de manufactures et d'ateliers: 1o à ne recevoir aucun ouvrier au-dessous de douze ans, à n'en recevoir aucun de cet âge qui ne sût lire, écrire et calculer, et n'eût été reconnu par un homme de l'art capable de se livrer sans danger au travail des fabriques; 20 à rendre leurs ateliers parfaitement salubres; 30 à établir dans leurs manufactures des écoles pour les ouvriers adultes; 40 à séparer les sexes et à donner de suffisantes garanties du respect dû aux bonnes mœurs et à la religion; 5o à former, pour leurs ouvriers, des caisses d'épargnes et de prévoyance; 60 enfin, à se soumettre, sous ces divers rapports, à la surveillance des agens délégués par l'autorité, etc. (1). »

Ces vues, et quelques autres analogues présentées par M. Simonde de Sismondi et plusieurs écrivains philantropes, seront traitées avec plus d'étendue dans la partie de cet ouvrage consacré à l'examen de la législation relative aux indigens et aux ouvriers. Elles ont été inspirées par l'étude approfondie de la nature de l'indigence dans le département du Nord, et notre ouvrage lui-même n'est, à proprement parler, que le développement des observations faites dans cette province sur une branche d'économie sociale trop peu connue et trop généralement négligée.

Au reste, depuis l'époque où nous recueillions des notions propres à nous guider dans la tentative de soulager

(1) Ce qui précède est extrait d'un rapport du préfet du Nord sur la situation des indigens de ce département, et d'un mémoire sur les colonies d'indigens, établies dans le royaume des Pays-Bas, adressé au ministre de l'intérieur, le 19 mai 1829. Les vues de M. le vicomte de V..... avaient été l'objet de l'examen du conseil supérieur d'agriculture du royaume, et d'un rapport fait à ce conseil, en juillet 1830 (H), par M. le comte de Tournon, pair de France. Les conclusions favorables de ce rapport furent adoptées par le conseil supérieur, et devaient être insérées, le 25 juillet 1830, au Moniteur, lorsque la publication des ordonnances de ce même jour vint ébranler la France et l'Europe.

le sort de la classe ouvrière et indigente d'une province qui nous sera toujours chère à bien des titres, une grande commotion politique a aggravé encore le mal dont nous cherchons les remèdes. S'il faut en croire les récits qui nous sont parvenus, le nombre des indigens s'est accru momentanément d'une manière extraordinaire dans le département du Nord. Ce n'est pas exagérer que de porter cette augmentation au tiers, c'est-à-dire à 55,000 individus (1), ce qui aurait élévé le chiffre total des pauvres à près de 220,000 (le 1/4 411 environ de la population générale). Puisse le nouveau gouvernement parvenir à adoucir efficacement une telle misère!.... Mais les circonstances ne permettent guère d'espérer que de longtemps il soit possible de guérir une plaie si profonde et qui tient aux vices d'une société corrompue dans ses principes moraux et économiques.

(1) Ou 11,500 ouvriers chefs de famille.

CHAPITRE IV.

DE LA MENDICITÉ EN EUROPE.

Pour avoir le droit d'interdire et de punir la mendicité, il faut avoir réussi à faire disparaître l'indigence.

La mendicité, ce dernier degré de l'indigence et de la dégradation humaine, n'est que la conséquence extrême des causes qui produisent la misère publique; elle ne fait que révéler avec plus d'énergie les vices de l'état social.

Dans presque tous les états de l'Europe, les lois civiles considèrent, en général, la mendicité comme un délit punissable de leur côté, les Livres sacrés renferment ce précepte: « Qu'il n'y ait point d'indigent ni de mendiant parmi vous (1). »

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Ainsi la législation est d'accord sur ce point avec le christianisme, la nécessité de faire disparaître la mendicité; mais l'une veut atteindre le but par des châtimens, l'autre par la charité et par la morale.

La législation, dans son absolutisme sévère, suppose que la mendicité ne peut être l'effet que de la paresse et de la fainéantise. C'est admettre que la véritable misère est partout suffisamment secourue.

(1) Deuteronome, XV, 4.

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