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ruine tous vos raisonnements. Mais la Chine obscurcit, ditesvous; et je réponds: La Chine obscurcit, mais il y a clarté à trouver; cherchez-la. Ainsi tout ce que vous dites fait à un des desseins, et rien contre l'autre 1. Ainsi cela sert, et ne nuit pas. Il faut donc voir cela en détail, il faut mettre papiers sur table 2.

46 bis.

Contre l'histoire de la Chine. Les historiens de Mexico. Des cinq soleils, dont le dernier est il n'y a que huit cents ans *. 46 ter.

Jamais on ne s'est fait martyriser pour les miracles qu'on dit avoir vus. Car ceux que les Turcs croient par tradition, la folie des hommes va peut être jusqu'au martyre, mais non pour ceux qu'on a vus.

47.

Superstition et concupiscence. Scrupules désirs mauvais, crainte mauvaise.

Crainte, non celle qui vient de ce qu'on croit Dieu, mais celle qui vient de ce qu'on doute s'il est ou non. La bonne crainte vient de la foi, la fausse crainte vient du doute. La bonne crainte, jointe à l'espérance, parce qu'elle naît de la foi, et qu'on espère au Dieu que l'on croit; la mauvaise, jointe au désespoir, parce qu'on craint le Dieu auquel on n'a point de foi. Les uns craignent de le perdre, les autres craignent de le trouver.

48.

Salomon et Job ont le mieux connu et le mieux parlé de la misère de l'homme : l'un le plus heureux, et l'autre le plus malheureux; l'un connaissant la vanité des plaisirs par expérience, l'autre la réalité des maux 4.

1. Dictionnaire de l'Académie (1835), au mot Faire: Il se dit particulièrement Des preuves, des raisons qui fortifient, qui confirment, ou qui affaiblissent, qui détruisent une assertion... Ce que vous dites là fait pour moi... Voilà qui fait contre vous... Cela fait à ma cause. Ce sens a vieilli. On a vu déjà cette expression dans le fragment 21 de l'article XXIII.

2. L'Histoire de la Chine, du P. Martini (Historia Sinicæ decas prima) venait de paraître en 1658.

3. C'est un souvenir de Montaigne, III, 6, t. iv, p. 396.

4. En titre dans l'autographe, Misère.

49.

Ezéchiel. Tous les païens disaient du mal d'Israël, et le Prophète aussi : et tant s'en faut que les Israélites eussent droit de lui dire Vous parlez comme les païens, qu'il fait sa plus grande force sur ce que les païens parlent comme lui 1.

50.

Il n'y a que trois sortes de personnes : les unes qui servent Dieu, l'ayant trouvé; les autres qui s'emploient à le chercher, ne l'ayant pas trouvé; les autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux; les derniers sont fous et malheureux; ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

51.

Les hommes prennent souvent leur imagination pour leur cœur ; et ils croient être convertis dès qu'ils pensent à se convertir.

52

La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes, lesquels il faut qu'ils soient toujours présents 2, qu'à toute heure elle s'assoupit et s'égare, manque d'avoir tous ses principes présents. Le sentiment n'agit pas ainsi : il agit en un instant, et toujours est prêt à agir. Il faut donc mettre notre foi dans le sentiment: autrement, elle sera toujours vacillante.

53.

L'honime est visiblement fait pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite; et tout son devoir est de penser comme il faut et l'ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin. Or à quoi pense le monde? Jamais à cela; mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c'est qu'être roi, et qu'être homme.

1. Je ne trouve rien dans Ezéchiel d'où on puisse inférer ce que dit Pascal sans aider beaucoup à la lettre. En titre dans l'autographe, Hérétiques. Voyez XXIII, 44.

2. Plus correctement, lesquels il faut qui soient, ou, qu'il faut qui soient.

53 bis.

Toute la dignité de l'homme est en la pensée. Mais qu'est-ce que cette pensée? qu'elle est sotte 11

54.

S'il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui, et non les créatures passagères. Le raisonnement des impies, dans la Sagesse n'est fondé que sur ce qu'il n'y a point de Dieu. Cela posé, dit-il, jouissons donc des créatures. C'est le pis-aller. Mais, s'il y avait un Dieu à aimer, il n'aurait pas conclu cela, mais bien le contraire. Et c'est la conclusion des sages: Il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures. Donc tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais, puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu, si nous le connaissons, ou de le chercher, si nous l'ignorons. Or, nous sommes pleins de concupiscence; donc nous sommes pleins de mal; donc nous devons nous haïr nous-mêmes, et tout ce qui nous excite à autre attache que Dieu seul.

55.

Quand nous voulons penser à Dieu, n'y a-t-il rien qui nous détourne, nous tente de penser ailleurs? Tout cela est mauvais, et né avec nous3.

56.

Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment; il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables, et indifférents, et connaissant nous et les autres, nous ne donnerions point cette inclination à notre volonté. Nous naissons pourtant avec elle; nous naissons donc injustes: car tout tend à soi. Cela est contre tout ordre: il faut tendre au général; et la pente vers soi est le commencement de tout

Toute la dignité

1. En titre dans l'autographe, Pensée. Pascal avait écrit d'abord : de l'homme est en la pensée. La pensée est donc une chose admirable et incomparable par sa nature. Il fallait qu'elle eût d'étranges défauts pour être méprisable. Mais elle en a de tels, que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature! qu'elle est basso par ses défauts!

2. Dans le texte, ils ne nient pas précisément Dieu, mais l'immortalité de l'âme : « Nous sommes nés de rien, et après ce temps nous serons comme si nous n'avions pas été. II, 1-9.

3. Donc notre nature est mauvaise, donc elle est déchue, donc il y a eu le péché originel.

désordre, en guerre, en police 1, en économie, dans le corps particulier de l'homme. La volonté est donc dépravée.

Si les membres des communautés naturelles et civiles tendent au bien du corps, les communautés elles-mêmes doivent tendre à un autre corps plus général, dont elles sont membres. L'on doit donc tendre au général. Nous naissons donc injustes et dépravés.

56 bis.

Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé. Qui ne voit que rien n'est si opposé à la justice et à la vérité? Car il est faux que nous méritions cela; et il est injuste et impossible d'y arriver, puisque tous demandent la même chose. C'est donc une manifeste injustice où nous sommes nés, dont nous ne pouvons nous défaire, et dont il faut nous défaire.

Cependant aucune religion n'a remarqué que ce fût un pé ché, ni que nous y fussions nés, ni que nous fussions obligés d'y résister, ni n'a pensé à nous en donner les remèdes.

57.

Guerre intestine de l'homme entre la raison et les passions. S'il n'avait que la raison sans passions... S'il n'avait que les passions sans raison... Mais ayant l'un et l'autre, il ne peut être sans guerre, ne pouvant avoir la paix avec l'un qu'ayant guerre avec l'autre. Aussi il est toujours divisé, et contraire à lui-même.

57 bis.

Si c'est un aveuglement surnaturel de vivre sans chercher ce qu'on est, c'en est un terrible de vivre mal en croyant Dieu 2.

57 ter.

Il est indubitable que, que l'âme soit mortelle ou immortelle, cela doit mettre une différence entière dans la morale; et cependant les philosophes ont conduit leur morale indépendamment de cela. Ils délibèrent de passer une heure. Platon, pour disposer au christianisme".

1. En organisation politique; c'est le sens que co mot avait autrefois.

2. Cette pensée s'adresse-t-elle aux pécheurs en général, ou plutôt n'est-elle pas dirigée en particulier contre ceux qui suivent la morale relâchée des casuistes?

3. C'est-à-dire, Platon est bon pour disposer au christianisme. Platon essaie en effet d'établir la morale sur la croyance à l'immortalité de l'âme, à la fin de la République et du Gorgias

58.

Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.

59.

Dieu ayant fait le ciel et la terre, qui ne sentent point le bonheur de leur être, il a voulu faire des êtres qui le connussent, et qui composassent un corps de membres pensants. Car nos membres ne sentent point le bonheur de leur union, de leur admirable intelligence, du soin que la nature a d'y influer les esprits, et de les faire croître et durer1. Qu'ils seraient heureux s'ils le sentaient, s'ils le voyaient! Mais il faudrait pour cela qu'ils eussent intelligence pour le connaître, et bonne volonté pour consentir à celle de l'âme universelle. Que si, ayant reçu l'intelligence, ils s'en servaient à retenir en eux-mêmes la nourriture, sans la laisser passer aux autres membres, ils seraient non-seulement injustes, mais encore misérables, et se haïraient plutôt que de s'aimer; leur béatitude, aussi bien que leur devoir, consistant à consentir à la conduite de l'âme entière à qui ils appartiennent, qui les aime mieux qu'ils ne s'aiment eux-mêmes.

59 bis.

Être membre, est n'avoir de vie, d'être et de mouvement que par l'esprit du corps et pour le corps. Le membre séparé, ne voyant plus le corps auquel il appartient, n'a plus qu'un être périssant et mourant.

Cependant il croit être un tout, et ne se voyant point de corps dont il dépende, il croit ne dépendre que de soi, et veut se faire centre et corps lui-même. Mais, n'ayant point en soi de principe de vie, il ne fait que s'égarer, et s'étonne dans l'inceritude de son être, sentant bien qu'il n'est pas corps, et cependant ne voyant point qu'il soit membre d'un corps. Enfin, quand il vient à se connaître, il est comme revenu chez soi, et

1. Influer est ici un verbe actif, d'y faire circuler les esprits. On croyait alors à l'existence de ce qu'on appelait les esprits animaux, ou simplement, les esprits, c'est à dire les parties les plus subtiles du sang qui circulaient dans les nerfs, et qui étaient les principes de la sensibi! et du mouvement (voir Descartes, des Passions, 1, 10). Cette hypothèse était si accréditée et si populaire, qu'elle a donné certaines expressions à la langue, comme, reprendre ses esprits.

2. En titre dans l'autographe, Morale.

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