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enfance, et tu viens me troubler, juste comme au trefois, lorsque je parlais en secret avec mes fleurs,

ALMANSOR, souriant avec gaieté.

Dis-moi, ma bien-aimée, quelle est cette fleur qui s'appelle aujourd'hui « Almansor? » un triste nom, et qui ne peut convenir qu'à des fleurs de deuil,

ZULEIMA.

Dis-moi d'abord, sombre et sauvage amoureux, quel était le noir orateur de cette nuit?

ALMANSOR.

Un ancien ami et que tu connais bien, c'était le vicil Hassan; dans sa sollicitude pour moi, comme un fidèle animal il avait suivi ma trace.

Mais quitte cet air soucieux, ô douce bien-aimée, écarte ce crêpe noir qui obscurcit ton regard. Comme le papillon, dépouillant l'enveloppe de la chrysalide, déploie ses ailes brillantes et bariolées, la terre s'est dépouillée des ombres dont la nuit voilait sa tête charmante. Le soleil se penche pour l'embrasser; dans la verte forêt s'éveille un suave concert; la source murmure et fait scintiller une poussière de diamants; les jolies petites fleurs versent des larmes de joie. C'est la lumière du jour, comme une baguette magique, qui a réveillé toutes

ces fleurs, tous ces chants, et qui même dans l'âme d'Almansor a dissipé les ténèbres.

ZULEIMA.

Ne te fie pas aux fleurs qui te font ici des signes, ne te fie pas aux chants qui t'attirent en ces lieux. Ces signes, ces séductions, c'est pour te conduire à la mort.

ALMANSOR.

Ah! que personne ne cherche à m'éloigner! futce la mort, je ne reculerais pas. Je suis bien ici, oh! si familièrement bien ! de toutes parts se lèvent les songes dorés de mon enfance! Voici le jardin où j'aimais à jouer, voici les fleurs qui me faisaient de si gentilles mines, voici le chanteur aux ailes de feu qui me saluait chaque matin. Mais dis-moi, ma bienaimée, le myrte n'est plus là; à l'endroit où il s'élevait jadis, c'est bien un cyprès que j'aperçois ?

ZULEIMA.

Le myrthe est mort et sur le tombeau du myrte on a planté le triste cyprès.

ALMANSOR.

Je vois encore le berceau de jasmin et de chèvrefeuille où nous nous racontions les jolies histoires de Modschnoun et de Leïla, le délire de Modsch

noun, la tendresse de Leila, leur amour et leur mort à tous deux. Voici encore le figuier chéri avec les fruits duquel tu récompensais mes contes. Voici le raisin et les pastèques qui nous rafraîchissaient quand nous avions causé longtemps... Mais, dis, ma bien-aimée, je ne vois pas le grenadier où le rossignol se posa un jour et chanta sa plainte amoureuse à la rose rouge.

ZULEIMA.

La rose rouge a été effeuillée par l'orage, le rossignol est mort avec son chant, et des haches cruelles ont abattu le noble tronc du grenadier en fleurs.

ALMANSOR.

Que je me sens bien ici! mon pied est solidement attaché à cette terre chérie, comme par des chaînes secrètes. Je suis captif dans les cercles enchantés que tu as tracés autour de moi, ma belle fée. Les brises parfumées me caressent d'un souffle ami, les fleurs parlent, les arbres chantent, des images connues sortent en dansant du milieu des charmilles... (I aperçoit l'image du Christ, et fait un mouvement de surprise.) Mais dis-moi, ma bien-aimée, il y a là une image étrangère, une image qui me regarde... oh! avec quelle douceur et pourtant aussi avec quelle tris

tesse ! une larme amère tombe de ses yeux dans le

beau calice d'or de ma joie.

ZULEIMA.

Ne connais-tu donc pas cette sainte image, AImansor? ne l'as-tu jamais aperçue en des rêves de béatitude? jamais, pendant tes veilles, ne l'as-tu rencontrée sur ton chemin? souviens-toi bien, ô mon frère égaré !

ALMANSOR.

Oui, je l'ai déjà rencontrée sur mon chemin, cette image, le jour où je revins en Espagne. Sur la gauche de la route qui conduit à Xérès, s'élève magnifiquement une mosquée splendide; mais là où le Muezzin criait du haut de la tour: « Il n'y a qu'un Dieu et Mahomet est son prophète. » On entendait le sourd retentissement des cloches dans les airs ébranlés. Je n'étais encore que sur le seuil et déjà roulait sur moi un sombre torrent de sons d'orgue impétueux qui mugissait avec force, et pareils à la noire liqueur dans le chaudron embrasé du magicien, jetaient en coulant des flots de fumée. Ces accents gigantesques m'attiraient dans l'intérieur de l'édifice comme avec de longs bras, et s'enroulaient autour de mes membres ainsi que des serpents, et

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pénétraient dans ma poitrine, et me perçaient de part en part,... j'aurais dit que le mont Kaff pesait sur mon corps, et que le bec de Simourgh me picotait le cœur. Quand j'entrai, j'entendis, pareils à un chant de mort, les accents voilés de personnages étranges, visages sévères, têtes chauves, avec de larges robes chamarrées de fleurs, et les voix argentines de jeunes garçons vêtus de blanc et de rouge, qui de temps en temps faisaient retentir de petites sonnettes et balançaient de brillants encensoirs d'où jaillissait la fumée. Des milliers de lumières jetaient leurs reflets sur toutes ces scintillations, sur toutes ces paillettes d'or, et partout où se dirigeaient mes regards, partout, dans chaque niche, j'apercevais la même image que je retrouve ici. Partout aussi, elle était triste et pâle de douleur, la face de l'homme que représente cette image. Tantôt, on le flagellait cruellement à coups de lanières, tantôt il tombait affaissé sous la croix; plus loin on lui crachait insolemment au visage, on mettait à ses tempes une couronne d'épines, on le clouait sur la croix, et d'une lance aiguë on lui perçait le flanc... du sang, du sang, il y avait du sang sur toutes ces images. Je vis encore une femme désolée

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