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WILLIAM RATCLIFF

TRAGÉDIE

(Janvier 1822)

A RODOLPHE CHRISTIANI

D'une main puissante j'ai forcé les portes de fer du sombre royaume des Esprits, et là j'ai brisé les sept sceaux mystérieux du livre rouge de l'amour. Ce que j'ai vu dans les pages éternelles, je l'ai retracé dans le miroir de ce poëme. Mon nom et moi, nous mourrons; mais ce poëme vivra éternellement.

1823.

II

A FRÉDÉRIC MERCKEL

J'ai cherché le suave amour et j'ai trouvé la haine amère, j'ai soupiré, j'ai maudit, j'ai saigné par mille blessures. Puis j'ai frayé nuit et jour, en tout bien tout honneur, avec la canaille humaine. Ces diverses études terminées, j'ai paisiblement écrit William Ratcliff.

Hambourg, 12 avril 1826.

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La scène se passe de nos jours dans l'Ecosse du Nord.

Une chambre dans le château de Mac-Grégor. Marguerite est à genoux immobile, dans un coin.

SCÈNE PREMIÈRE

MAC-GRÉGOR, DOUGLAS, MARIE, MARGUERITE.

MAC-GRÉGOR, unissant les mains de Douglas et de Mario. Vous voilà maintenant mari et femme. Comme vos mains sont unies, ainsi vos cœurs, dans la peine et dans la joie, doivent être unis pour toujours. Deux puissants sacrements, celui de l'Église et celui de l'amour, vous ont liés; une double bénédiction

repose sur vos têtes, et j'y ajoute encore la bénédic

tion paternelle. (Il pose sa main sur leurs têtes et les bénit.)

DOUGLAS.

Je suis fier, milord, de vous nommer aujourd'hui mon père.

MAC-GRÉGOR.

Et moi bien plus fier encore de vous donner le nom de fils.

Ils s'embrassent.

MARGUERITE, chantant d'une voix saccadée avec l'accent de la folie.

Pourquoi ton épée est-elle rouge de sang, Édouard, Édouard? »

DOUGLAS, se levant en sursaut et regardant Marguerite
avec effroi.

Pour Dieu, milord, quel est ce son aigu, ce son de cristal fêlé ? la voilà qui se met à parler, la muette image...

MAC-GRÉGOR, avec un sourire contraint.

Ne vous en inquiétez pas, c'est la folle Marguerite. Elle appartient au château. Il y a bien des années qu'elle est cataleptique. Les yeux fixes, elle reste souvent agenouillée pendant de longues heures dans la position la plus pénible; puis de temps en temps,

comme une pierre qui pourrait parler, elle se met sans faire aucun mouvement, à piailler quelque vieille chanson...

DOUGLAS.

Pourquoi gardez-vous au château un tel épouvantail?

MAC-GREGOR, à voix basse.

Chut! parlez moins haut! elle entend chaque parole... il y a longtemps que je l'aurais congédiée... mais je ne le puis...

MARIE.

Laissez en paix la pauvre bonne Marguerite; contez-moi plutôt quelque nouvelle, Douglas. Quelle est la physionomie de Londres? chez nous, en Écosse, on n'est au courant de rien.

DOUGLAS.

La physionomie de Londres? toujours la même. on court, on se presse, chevaux et voitures parcourent les rues dans tous les sens; tout le jour on dort et la nuit devient le jour. Vauxhalls, routs, piqueniques se disputent la victoire. Drury-Lane et Covent-Garden attirent la foule. L'opéra fait fureur. On échange des banknotes pour des notes de musique, des milliers de voix beuglent le God save the

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