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pièce en quelques mots. Quand le drame commence, un troisième prétendant, le comte Douglas, vient d'épouser la fille de Mac-Gregor. On pense bien que celui-ci avait pris toutes les précautions nécessaires pour détourner de son futur gendre le sort de Duncan et de Macdonald. Des éclaireurs surveillaient les avenues de la forêt voisine, et le château était bien gardé. Déjà Mac-Gregor se félicite d'avoir sauvé le fiancé de sa fille, et comme il ne craint plus que Douglas par intrépidité s'élance lui-même au-devant du péril, il lui raconte une partie de la tragique histoire dont nous venons de parler, le double meurtre de Macdonald et de Duncan au pied du Schwarzenstein. A ce moment-là même, Douglas reçoit un billet signé d'un main inconnue; quelqu'un l'attend au pied du Schwarzenstein pour mesurer son épée avec la sienne. Il part, impatient de venger les deux victimes. Cette fois, en effet, c'est William Ratcliff qui est vaincu. Les spectres qui l'assistaient naguère ne sont plus là pour diriger son bras, et au contraire les fantômes de Duncan et

de Macdonald, l'épée en main, l'assaillent de droite et de gauche pendant que Douglas l'attaque en face. William tombe, et Douglas retourne au château ; mais le soir, après la fête, à l'heure où la nouvelle épousée rentre dans la chambre nuptiale, William arrive, éperdu, ruisselant de sang et protégé de nouveau par les spectres. Une force irrésistible pousse Maria sur son cœur. Tantôt elle panse ses blessures en les couvrant de baisers, tantôt elle a horreur de ce qu'elle fait et veut s'arracher aux embrassements de William. Vains efforts! la mystérieuse puissance qui les domine tous deux les réunit toujours. Enfin, sachant que William Ratcliff a été vu dans le château, Mac-Gregor accourt transporté de rage; William se bat avec l'assassin de son père et l'étend mort à ses pieds, puis il se tue lui-même avec Maria. Lorsque Douglas arrive, il ne voit plus que des cadavres : tous les acteurs de ce sanglant imbroglio ont disparu. Il reste seulement une vieille folle, témoin jadis de l'assassinat d'Édouard, et chargée d'expliquer au milieu de ses divagations le

lien qui unit le crime du passé aux sauvages fureurs

du présent.

Sur cette trame noire et embrouillée, Henri Heine a beau jeter toutes les couleurs de sa poésie, il ne réussit point à sauver un système faux ; le drame fataliste était condamné à mourir. Le Vingt-quatre Février, de Zacharias Werner, était plus nettement conçu, plus dramatiquement enchainé; William Ratcliff est plus poétique, plus idéal. Ce sont pourtant des œuvres de même famille, et le fatalisme de l'amour comme celui du crime révèle le profond chaos que traversait alors la scène allemande. La première édition de William Ratcliff contenait une dédicace en vers où l'auteur s'adresse en ces termes à son ami Rodolphe Christiani : « D'une main puissante j'ai forcé les portes de fer du sombre royaume des esprits, et là j'ai brisé les sept sceaux mystérieux du livre rouge de l'amour; ce que j'ai vu dans les pages éternelles, je le retrace dans le miroir de ce poëme. Mon nom et moi, nous mourrons ; mais ce poëme vivra éternellement. » L'auteur se

trompe il n'y a ici aucune révélation du monde supérieur, aucune doctrine assurée de vivre à jamais; il n'y a que les confessions poétiquement incohérentes d'une âme en proie au mal d'amour. Il caractérisait son œuvre avec plus de vérité lorsque, dans une seconde dédicace à Frédéric Merkel, il s'écriait trois ans plus tard : « J'ai cherché le suave amour, et j'ai trouvé la haine amère; j'ai soupiré, j'ai maudit, j'ai saigné par mille blessures. Puis j'ai frayé nuit et jour, en tout bien tout honneur, avec la canaille humaine. Ces diverses études terminées, j'ai paisiblement écrit William Ratcliff. » Souffrance, fureur, ironie froidement cruelle, voilà les accents nouveaux que Henri Heine faisait retentir au milieu du fratras des drames fatalistes et des fausses imitations shakspeariennes.

De ces deux pièces, la première seulement subit l'épreuve de la scène. Elle fut représentée sur le théâtre national de Brunswick le 20 août 1824, et vertement sifflée. Les amis du poëte racontent qu'une erreur de nom fut la principale cause de cet

échec. Un officier de la garnison, qui vit encore aujourd'hui, s'imagina qu'Almansor était l'œuvre d'un certain usurier israélite fort odieux, et commanda si bien la manœuvre des sifflets qu'il fut impossible d'entendre la pièce jusqu'au bout; elle disparut de l'affiche pour toujours. Il faut croire pourtant que des raisons plus sérieuses expliquent la chute d'Almansor, puisque aucun théâtre ne voulut recommencer l'expérience; le joli poëme, avec toutes ses bouffonneries, ne convenait guère à la scène. En tout cas, il est curieux de voir dans les lettres de Henri Heine le prix qu'il attachait à ses deux tragédies et l'émotion que lui causait l'attente du jugement public. Ces lettres que l'Allemagne ne connaît pas encore, et qu'une main obligeante a mises sous nos yeux (1), sont le commentaire vivant de la pensée du poëte. Quel trouble! que de contradictions! Tantôt il se plaint des coteries qui attaquent les tendances irré

(1) Les lettres de Henri Heine rempliront les quatre derniers volumes des OEuvres complètes; l'éditeur, M. Adolphe Strodtmann, a bien voulu nous communiquer toutes celles qui se rapportent à la période dont nous parlons.

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