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POUR

LE DIMANCHE DE LA PASSION.

Possibilité des commandemens de Dieu. Efficacité de la grâce, pour surmonter nos plus fortes inclinations: combien les excuses des mauvais chrétiens sont vaines. Orgueil et fausse paix, deux causes principales qui les empêchent d'écouter avec plaisir les vérités de l'Evangile. Faux prétexte qu'ils allèguent contre les prédicateurs, pour se dispenser de faire ce qu'ils disent.

Si veritatem dico vobis, quare non creditis mihi?

Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? Joan. VIII. 46.

Il n'y

a jamais eu de reproche plus équitable que

celui que nous fait aujourd'hui le Sauveur des ames, et que l'Eglise met dans la bouche de tous les prédicateurs de l'Evangile. On prêche la vérité, et personne ne la veut entendre; on montre à tous les peuples la voie du salut, et on méprise de la suivre; on élève la voix tout un carême pour crier hautement contre les vices, et on ne voit point de pénitence. Si l'on prêchoit à des infidèles qui se moquent de Jésus-Christ et de sa doctrine, il ne faudroit pas trouver étrange si elle étoit mal reçue; mais que ceux qui se disent chrétiens, et qui font

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BOSSUET. XIII.

profession de la respecter, la renient néanmoins par leurs œuvres, et vivent comme si l'Evangile étoit une fable: Obstupescite, coli, super hoc (1)! « O » ciel! ô terre! étonnez-vous d'un aveuglement si » étrange »>!

Chrétiens, qu'avez-vous à dire contre l'Evangile de Jésus-Christ et contre ses vérités qu'on vous annonce? est-ce que vous n'y croyez pas? avez-vous renoncé à votre baptême? avez-vous effacé de dessus vos fronts l'auguste caractère de chrétien? A Dieu ne plaise! me direz-vous; je veux vivre et mourir enfant de l'Eglise. Dieu soit loué, mon Frère, de ce que le déréglement de vos mœurs ne vous a pas fait encore oublier votre religion et votre foi; mais si vous avez du respect pour elle, si vous croyez, comme vous le dites, que ce que nous vous enseignons c'est la vérité, pourquoi refusez-vous de la suivre ? pourquoi vois - je une telle contrariété entre votre vie et votre créance? Si veritatem dico vobis, quare non creditis mihi? Avez-vous quelque raison, ou quelque excuse, ou du moins quelque prétexte vraisemblable? dites-le - nous franchement; nous sommes prêts de vous entendre.

Chrétiens, voici trois excuses que je trouve, sinon dans la bouche, du moins dans le cœur de tous les pécheurs : c'est là qu'il les faut aller attaquer pour les abattre, s'il se peut, aux pieds de Jésus et de ses vérités adorables. Ils répugnent premièrement à notre doctrine, parce qu'elle leur semble trop haute; et ils disent que cette vie est au-dessus des forces humaines. Ils y résistent secon

(1) Jerem. 11. 12.

dement, parce qu'encore qu'elle soit possible, elle choque leurs inclinations; et ainsi il ne faut pas s'étonner si nos discours leur déplaisent. Enfin la troisième cause de leur résistance, c'est qu'ils se plaignent de nous-mêmes, ou que nous ne prêchons pas comme il faut, ou que nous ne vivons pas comme nous prêchons ; et ils se croient autorisés à mal faire en déchirant notre vie. Voilà, Messieurs, les froides raisons pour lesquelles ils méprisent les enseignemens que nous leur donnons de la part de Dieu; où vous verrez qu'ils mêlent ensemble, le faux, le vrai, le douteux: tant ils sont obstinés à se défendre contre ceux qui ne demandent que leur salut.

Car pour ce que vous nous reprochez que la vie que nous prêchons est trop parfaite, et que vous ne pouvez pas y atteindre, cela est faux manifestement; parce que Dieu si sage et si bon ne commande pas l'impossible. Que si la cause pour laquelle nous vous déplaisons, c'est que nous contrarions vos désirs; pour cela nous confessons qu'il est véritable: aussi notre dessein n'est pas de vous plaire, mais de faire, si nous pouvons, que vous vous déplaisiez à vous-mêmes, afin de vous convertir à notre Seigneur. Enfin quand vous rejetez sur nous votre faute, et que vous dites que notre vie ou notre manière de dire en est cause; en cela peut-être que vous dites vrai, et peut-être aussi nous imposezvous. Mais qu'il soit vrai ou faux, notre faute ne vous justifie pas; et quoi qu'il soit de nous, qui ne sommes que foibles ministres, les vérités que nous annonçons doivent se soutenir par leur propre poids: c'est en peu de mots ce que j'ai à dire. Que

sert de vous demander vos attentions? vous n'êtes guère chrétiens, si vous la refusez à des matières si importantes. Commençons à combattre la première excuse, qui nous reproche que ce que nous prêchons est impossible.

PREMIER POINT.

La première raison de ceux qui, sous le nom du christianisme, mènent une vie païenne et séculière, c'est qu'il est d'une trop haute perfection de vivre selon l'Evangile; et que cette grande pureté d'esprit et de corps, cette vie pénitente et mortifiée, cet amour des amis et des ennemis, passe la portée de l'esprit humain. De vouloir montrer en particulier la possibilité de chaque précepte, ce seroit une entreprise infinie: prouvons-le par une raison générale, et disons que c'est pécher contre les principes, que ce n'est pas entendre le mot de commandement, que de dire que l'exécution en est impossible. En effet le commandement, c'est la règle de l'action; or toute règle est une mesure: Mensura homogenea, dit saint Thomas, proportionata mensurato (1): « C'est une mesure, dit-il, qui doit

s'ajuster avec la chose » : par conséquent si la loi de Dieu est la règle et la mesure de nos actions, il faut qu'il y ait de la proportion, afin qu'elles puissent être égalées; toute mesure est fondée sur la proportion,

Que si le commandement que Dieu nous donne étoit au-dessus de nous, nous aurions raison de lui dire; Seigneur, vous me donnez une règle à laquelle

(1) I. Part. quæst. I, art. V, ad 2. I. 2. quæst. xix, art. 1v, ad 2,

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