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à Dieu, et de les enrichir, s'il pouvoit, de ses dépouilles : voilà les trois chefs principaux sur lesquels je prétends, Messieurs, qu'on fasse le procès à l'honneur du monde. Dieu me veuille aider par sa grâce à poursuivre vivement une accusation si importante, et à soutenir les opprobres et l'ignominie de la croix contre l'orgueil des hommes mondains.

PREMIER POINT.

Donc, mes Frères, le premier crime dont j'accuse l'honneur du monde devant la croix de Jésus-Christ, c'est d'être le corrupteur de la vertu et de l'innocence. Ce n'est pas moi seul qui l'en accuse; j'ai pour témoin saint Jean-Chrysostôme, et dans un crime si atroce je suis bien aise de faire parler un si véhément accusateur. Ce grand prédicateur nous apprend que la vertu qui aime les louanges et la vaine gloire, ressemble à une femme impudique qui s'abandonne à tous les passans: ce sont les propres termes de ce saint évêque (1), encore parle-t-il bien plus fortement dans la liberté de sa langue; mais la retenue de la nôtre ne me permet pas de traduire toutes ses paroles: tâchons néanmoins d'entendre son sens, et de pénétrer sa pensée. Pour cela je vous prie de considérer que la pudeur et la modestie ne s'opposent pas seulement aux actions déshonnêtes, mais encore à la vaine gloire et à l'amour désordonné des louanges: jugez-en par l'expérience. Une personne honnête et bien élevée rougit d'une parole immodeste, un homme sage et modéré rougit de ses propres louanges; en l'une et en l'autre de ces rencontres, la mo

(1) Hom. XVII, in Epist. ad Rom. n. 4, tom. 1x, pag. 627.

destie fait baisser les yeux et monter la rougeur au front on se défend de ces deux attaques par les mêmes armes. Soit que vous vous montriez peu retenu dans la poursuite des plaisirs, soit que ce soit dans la recherche des louanges, on blâme votre impudence. Et d'où vient cela, chrétiens? sinon par un sentiment que la raison nous inspire, que comme le corps a sa chasteté que l'impudicité corrompt, il y a aussi une certaine intégrité de l'ame qui peut être violée par les louanges. C'est pourquoi la même nature nous donne la pudeur et la modestie pour nous défendre de ces deux corruptions; comme s'il y avoit du déshonneur dans l'honneur même, et de la honte dans les louanges. Ne vous étonnez donc pas, chrétiens, si cette ame avide de louanges, qui les cherche et les mendie de tous côtés, est appelée par saint JeanChrysostôme une infâme prostituée : elle mérite bien ce nom, puisqu'elle méprise la modestie et la pudeur.

Toutefois il faut encore aller plus avant, et rechercher jusqu'à l'origine d'où vient à une ame bien née cette honte des louanges. Je dis qu'elle est naturelle à la vertu, et je parle de la vertu chrétienne; car nous n'en connoissons point d'autre en cette chaire. Il est donc de la nature de la vertu d'appréhender les louanges; et si vous pesez attentivement avec quelles précautions le Fils de Dieu l'oblige à se cacher, vous n'aurez pas de peine à le comprendre. Attendite ne justitiam vestram faciatis coram hominibus, ut videamini ab eis (1): « Prenez bien garde » de ne faire pas vos bonnes œuvres devant les hom(1) Matth. vI. 1.

» mes, pour en être regardés. Ne vas point prier >> dans les coins des rues, afin que les hommes te » voient; retire-toi dans ton cabinet, ferme la porte » sur toi, et prie en secret devant ton Père » : Intra in cubiculum tuum, et clauso ostio ora Patrem tuum in abscondito (1). «Ne sonne pas de la trompette pour » donner l'aumône; je ne t'ordonne pas seulement » de la cacher devant les hommes, mais lorsque la » droite le distribue, que la gauche, s'il se peut, »> ne le sache pas » Te autem faciente eleemosynam, nesciat sinistra tua quid faciat dextera tua (2).

C'est pourquoi, dit très-bien saint Jean-Chrysostôme (3), toutes les vertus chrétiennes sont un grand mystère. Qu'est-ce à dire ? mystère signifie un secret sacré. Autrefois quand on célébroit les divins mystères, comme il y avoit des catéchumènes qui n'étoient pas encore initiés, c'est-à-dire qui n'étoient pas du corps de l'Eglise, qui n'étoient , qui n'étoient pas baptisés, on ne leur en parloit que par énigmes. Vous le savez, vous qui avez lu les Homélies des saints Pères : ils étoient avec les fidèles pour entendre la prédication et le commencement des prières. Venoit - on aux mystères sacrés, c'est-à-dire à l'action du sacrifice, le diacre mettoit dehors les catéchumènes et fermoit la porte de l'église. Pourquoi? C'étoit le mystère. Ainsi des vertus chrétiennes. Voulez-vous prier? fermez votre porte, c'est un mystère que vous célébrez. Jeûnez-vous? « oignez votre face, et >> lavez votre visage, de peur qu'il ne paroisse que » vous jeûniez » : Unge caput tuum, et faciem tuam

(1) Matth. v1.6. (2) Ibid. 3. (3) Hom. XIX. in Matth. n. 3, tom. vii, p. 248. Ibid. Homil. Lxx1, n. 4, p. 699, 700.

lava (1): c'est un mystère entre Dieu et vous; nul n'y doit être admis que par son ordre, ni voir votre vertu, qu'autant qu'il lui plaira de la découvrir.

Selon cette doctrine de l'Evangile, je compare la vertu chrétienne à une fille chaste et pudique, élevée dans la maison paternelle dans une retenue incroyable: on ne la mène point aux théâtres, on ne la produit point dans les assemblées : elle garde le logis, et travaille sous la conduite, sous les yeux de son Père, qui est Dieu, qui se plaît à la regarder dans ce secret, charmé principalement de sa retenue, Videt in abscondito (2); qui lui destine un époux; c'est Jésus-Christ; et qui veut qu'elle lui donne un cœur pur et qui n'ait point été corrompu par d'autres affections; qui lui prépare un jour de grandes louanges, et qui ne veut pas en attendant qu'elle se laisse gâter par celle des hommes, ni cajoler par leurs douceurs. C'est pourquoi elle fuit leur compagnie, elle aime son secret et sa solitude. Que si elle paroît quelquefois, comme si un grand éclat ne peut pas demeurer toujours caché, il n'y a que sa simplicité qui la rende recommandable: elle ne veut point attirer les yeux; tous ceux qui admirent sa beauté, elle les avertit par sa modestie de « glorifier son Père » céleste » Glorificent Patrem (3). Voilà quelle est la vertu chrétienne, c'est ainsi qu'elle est élevée : y a-t-il rien de plus sage ni de plus modeste?

Que fait ici la vaine gloire ? Cette impudente, dit saint Jean-Chrysostôme (4), vient corrompre cette bonne éducation, elle entreprend de prostituer sa

(1) Matt. vI. 17. — (2) Ibid. 18. — (3) Ibid. v. 16. — (4) Hom. LXXI. in Matt. n. 3, pag. 698.

pudeur;

pudeur; au lieu qu'elle n'étoit faite que pour Dieu, elle la tire de sa maison, elle lui apprend à rechercher les yeux des hommes: A thalamo paterno eam educit, cùmque pater jubeat eam ne sinistræ quidem apparere, notis ignotisque et obviis quibuscumque passim se ipsam ostentat : elle lui enseigne à se farder, à se contrefaire, pour arrêter les spectateurs. «< Ainsi cette fille si sage est sollicitée par cette impudente à des amours déshonnêtes » : Sic à lena corruptissima ad turpes hominum amores impellitur. Vive Dieu! infâme, cette innocente se gâteroit entre tes mains. O Jésus crucifié, voilà le crime que je vous défère jugez aujourd'hui la vaine gloire, condamnez aujourd'hui l'honneur du monde qui entreprend de corrompre la vertu, qui ose bien la vouloir yendre, et encore la vendre à si vil prix, pour des louanges: jugez, jugez, ô Seigneur, et condamnez en dernier ressort un crime si noir et si honteux.

Et pour vous, mes chers Frères, vous qui, écoutant cette accusation, apprenez qu'il y a une corruptrice qui s'efforce de ruiner tout ce qu'il y a de vertu en vous; au nom de Dieu, veillez sur vousmêmes; au nom de Dieu, prenez garde de ne point faire votre justice devant les hommes pour en être vus et admirés. Attendite, dit-il remarquez ces termes : << Prenez garde ». Cet ennemi dont je vous parle ne viendra pas vous attaquer ouvertement : il se glisse comme un serpent, il se coule sous des fleurs et de la verdure, il s'avance à l'ombre de la vertu pour faire mourir la vertu même. Attendite, attendite : « Prenez garde ». Ah! qu'il est difficile BOSSUET. XIII.

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