Page images
PDF
EPUB

:

je ne puis me joindre, dont je ne puis pas même approcher cela n'est pas de votre sagesse. Aussi n'en est-il pas de la sorte; et lui-même en donnant sa loi, il a été soigneux de nous dire : Ah! mon peuple, ne te trompe pas; « le précepte que je te donne » aujourd'hui n'est pas au-dessus de toi, il n'est pas séparé de toi par une longue distance » : Mandatum hoc, quod ego præcipio tibi hodie, non suprà te est, neque procul positum (1) : «< il ne faut point » monter au ciel, il ne faut point passer les mers » pour le trouver » : nec in cœlo situm neque trans mare positum (2). C'est une règle que je te donne; et afin que tu puisses t'ajuster à elle, je la mets au niveau, tout auprès de toi : Juxta te est sermo valde, valde, valde : « Il est tout auprès, » en la bouche, et en ton cœur pour l'accomplir In ore tuo et in corde tuo, ut facias illum (3). Et vous direz après cela qu'il est impossible?

Mais peut-être que vous pensérez que cela s'entend du vieux Testament, qui est de beaucoup audessous de la perfection évangélique. Que de choses j'aurois à répondre pour combattre cette pensée ! car il est écrit que « les chemins tortus deviendront » droits » Erunt prava in directa (4). Mais je m'arrête à cette raison; qu'elle est solide! qu'elle est chrétienne! Quel est le mystère de l'Evangile? un Dieu homme, un Dieu abaisse : Et Verbum caro factum est (5): « Le Verbe s'est fait chair ». Et pourquoi s'est-il abaissé? Apprenez-le par la suite: Et habitavit in nobis (6): c'est afin de demeurer avec

[blocks in formation]

nous, dit le bien-aimé disciple: et ailleurs; pour lier société avec nous : ut societas nostra sit cum Patre et Filio ejus Jesu Christo. Il ne pouvoit y avoir de société entre sa grandeur et notre bassesse, entre sa majesté et notre néant; il s'abaisse, il s'anéantit pour s'accommoder à notre portée. Il se couvre d'un corps comme d'un nuage, non pour se cacher, dit saint Augustin, mais pour tempérer son éclat trop fort, qui auroit ébloui notre foible vue: Nube tegitur Christus, non ut obscuretur, sed ut temperetur(1). Ce Dieu, qui est descendu du ciel en la terre pour se mettre en égalité avec nous, mettra-t-il au-dessus de nous ses préceptes? et s'il veut que nous atteignions à sa personne, voudra-t-il que nous ne puissions atteindre à sa doctrine? Ah! mes Frères, ce n'est pas entendre le mystère d'un Dieu abaissé ; une telle hauteur ne s'accorde pas avec une telle condescendance.

Ce n'est pas que je veuille rien diminuer de la perfection évangélique; mais je suis ravi en admiration, quand je considère attentivement par quels degrés Dieu nous y conduit. Il nous laisse bégayer comme des enfans dans la loi de nature; il nous forme peu à peu dans la loi de Moïse il pose les : fondemens de la vérité par des figures; il nous flatte, il nous attire au spirituel par des promesses temporelles il supporte mille foiblesses, comme il dit lui-même, à cause de la dureté des cœurs à laquelle il s'accommode par condescendance; il ne nous mène au grand jour de son Evangile, qu'après nous avoir ainsi disposés par de si longues préparations: (1) In Joan. Tract. xxiv. n. 4, tom. 11, part. 1, col. 535.

y

et encore dans cet Evangile il y a du lait pour les enfans, il y a du solide pour les hommes faits: Facti estis quibus lacte opus sit, non solido cibo (1): « Vous » êtes devenus comme des personnes à qui on ne de» vroit donner que du lait, et non une nourriture. » solide ». Lac vobis potum dedi (2): « Je ne vous >> ai nourris que de lait » : tout y est dispensé par ordre. Ce Dieu qui nous conduit ainsi pas à pas, et par un progrès insensible, ne nous montre-t-il pas manifestement qu'il a dessein de ménager nos forces, et non pas de les accabler par des commandemens impossibles qui nous passent? Venez, venez, et ne craignez pas, soumettez-vous à sa loi; c'est un joug, mais il est doux; c'est un fardeau, mais il est léger: Jugum enim meum suave est, et onus meum leve (3) : c'est lui-même qui nous en assure; et il ne dit pas qu'il est impossible de le porter sur nos épaules.

Toutefois je passe plus loin, et je veux bien accorder, Messieurs, que les commandemens de Dieu sont impossibles : oui, à l'homme abandonné à luimême, et sans le secours de la grâce. Or c'est un article de notre foi, que cette grâce ne nous quitte pas que nous ne l'ayons premièrement rejetée; et si tu la perds, chrétien, Dieu te fera connoître un jour si évidemment que tu ne l'as perdue que par ta faute, que tu demeureras éternellement confondu de ta lâcheté Non deserit, si non deseratur (4); « Il ne se » retire point à moins que l'on ne l'abandonne le » premier ». « J'ai bien lu, dit saint Augustin, qu'il

(1) Heb. v. 12. — (2) I. Cor. 11. 2. — (3) Matth. x1.30.-(4) S. Aug. in Ps. cxlv. n. 9, tom. iv, col. 1629.

» en a ramenés à la divine voie-plusieurs de ceux qui >> l'abandonnoient; mais qu'il nous ait jamais quittés » le premier, c'est une chose entièrement inouie ». C'est donc une extrême folie de dire que les commandemens nous sont impossibles, puisque nous avons si près de nous un si grand secours aussi tous ceux qui l'ont assuré ont senti justement le coup de foudre; et tant que l'Eglise sera Eglise, une telle proposition sera condamnée par un anathême irrévocable.

Par ce principe solide et inébranlable, que tout est possible à la grâce, se détruit facilement la vaine pensée des hommes mondains qui accusent leur tempérament de tous leurs crimes. Non, disent-ils, il n'est pas possible de se délivrer de la tyrannie de l'humeur qui nous domine : je résiste quelquefois à ma colère, mais enfin à la longue ce penchant m'emporte; pour me changer, il faut me refaire : c'est ce qu'ils disent ordinairement, vous reconnoissez leurs discours. Eh bien! chrétiens, s'il faut vous refaire, est-ce donc que vous ignorez que la grâce de Dieu nous réforme et nous régénère en hommes nouveaux? Les apôtres naturellement tremblans et timides sont rendus invincibles par cette grâce: Paul ne se plaît plus que dans les souffrances: Cyprien renouvelé par cette grâce, « voit ses doutes se dissiper, ce qui >> étoit auparavant scellé pour lui s'ouvrir devant » lui, les choses qui ne lui représentoient que ténè»bres devenir lumineuses; il surmonte aisément des » difficultés qui lui paroissoient insurmontables » : Confirmare se dubia, patere clausa, lucere tenebrosa,... geri posse quod impossibile videbatur (1): (1) Epist, 1. p. 2.

et le reste, qu'il explique si éloquemment dans cette belle Epître à Donat. Augustin, dans la plus grande vigueur de son âge, professe la continence, que dix jours auparavant il croit impossible.

Et tu appréhendes, fidèle, que Dieu ne puisse pas vaincre ton tempérament et le soumettre à sa grâce? c'est entendre bien peu sa puissance; car le propre de cette grâce, c'est de savoir changer nos inclinations et de savoir aussi s'y accommoder. C'est pourquoi saint Augustin dit qu'elle est «< convenable et » proportionnée; qu'elle est douce, accommodante » et contempérée » : Apta, congruens, conveniens, contemperata: permettez-moi la nouveauté de ce mot; je n'ai pu rendre d'une autre manière ce beau contemperata de saint Augustin; ceux qui ont lu ses livres à Simplicien savent que tous ces mots sont de lui: « qu'elle sait nous fléchir et nous attirer de la » manière qui nous est propre » : quemadmodum aptum erat (1); c'est-à-dire qu'elle remue si à propos tous les ressorts de notre ame, qu'elle nous mène où il lui plaît par nos propres inclinations, ou en retranchant ce qu'il y a de trop, ou en ajoutant ce qui leur manque, ou en détournant leur cours sur d'autres objets. Ainsi l'opiniâtreté se tourne en constance, l'ambition devient un grand courage qui ne soupire qu'après les choses véritablement élevées, la colère se change en zèle, et cette complexion tendre et affectueuse en une charité compatissante.

Mais à qui est-ce, mes Frères, que je dis ces choses? Ceux qui nous allèguent sans cesse leurs inclinations, qui se déchargent sur leur complexion de (1) De div. quæst. ad Simpl. lib. 1, tom. VI, col. 95.

« PreviousContinue »